Cinema

DVD : Fin de concession, de Pierre Carles

27 June 2011 | PAR Mikaël Faujour

Connu notamment pour sa critique virulente du système médiatique dominant, Pierre Carles revenait fin 2010 dans les salles (“alternatives”) avec Fin de concession, récemment édité en DVD. Portant sur la mystérieuse reconduction automatique de la concession hertzienne de TF1, bien que la chaîne n’ait jamais respecté ses engagements de 1987 (le fameux “mieux-disant culturel”), l’enquête de Pierre Carles s’avère infructueuse. Et le documentaire évolue plutost vers un bilan désabusé, voire un constat d’échec de l’information alternative et de la critique des médias. Un documentaire mi-figure mi-raisin, qui s’il ne figure pas parmi les meilleures de ses productions n’est cependant pas dépourvu de matière à réfléchir.

Depuis plus de 15 ans, Pierre Carles développe dans ses documentaires une activité critique sans aucun ménagement pour les puissants et les riches, devant qui la servilité – médiatique notamment – est de mise. Sa filmographie porte d’une part sur le salariat et le productivisme en tant qu’ils forment une idéologie (voir notamment les excellents Attention danger travail et Volem rien foutre al païs, ou encore un fameux docu sur Domino’s Pizza, réalisé pour la série Strip Tease). D’autre part, il est l’auteur d’une série de documentaires portant sur les médias, singulièrement sur les connivences entres les pouvoirs médiatique, politique et financier. Son travail se situe dans la mouvance de livres capitaux de la critique des médias tels que Sur la télévision de Pierre Bourdieu (à qui il a consacré un documentaire : La sociologie est un sport de combat, en 2001) et Les Nouveaux chiens de garde de Serge Halimi, ainsi que du défunt canard PLPL devenu Plan B, à présent en dormance.

Pour point de départ, Fin de concession s’interroge sur un événement qu’il serait léger de considérer comme mineur : la privatisation de TF1 en 1987 et les engagements programmatiques pris par le groupe Bouygues. Pour rappel, c’est sur la base d’un “mieux-disant culturel” avec cahier des charges ambitieux proposant de valoriser la création française et la production culturelle, que TF1 avait été privatisée, par la vente au groupe industriel Bouygues, dont elle demeure aujourd’hui la priopriété. Il était alors question de rien moins que de diffusion de classiques du théâtre ou de l’opéra en première partie de soirée (lire ici l’article de Libé, paru en 2007, sur les 20 ans de la concession à TF1 des ondes hertziennes).

Pourquoi les promesses n’ont pas été tenues ? Pourquoi TF1, devenue le parangon de la télévision-poubelle, a-t-elle pu bénéficier ensuite d’une reconduction automatique et inquestionnée de sa concession ? Pierre Carles part en quête de réponses auprès des protagonistes (décideurs politiques, présentateurs-vedettes, dirigeants de TF1…). Mais, les uns et les autres lui ferment la porte au nez, connaissant trop le bestiau. C’est à peine si la ruse (il se fait passer pour le caméraman franco-uruguayen d’une journaliste de télévision hispanique) lui permet d’obtenir grand-chose, en l’espèce, un échange avec Etienne Mougeotte. En fil rouge, remonte comme un renvoi l’abomination idéologique des années 80, ressortent des images de protagonistes ayant attisé l’exécrable climat idéologique et médiatique dont nous n’en finissons pas de payer les frais. Surtout, à renfort d’images d’archives, se fait jour la toile des connivences méditatico-politico-financière et de la risible servilité de ce que Karl Kraus nomma jadis la “journaille” : Jean-Pierre Elkabbach, Arlette Chabot, David Pujadas, Emmanuel Chain, se rendant régulièrement au Crillon (hôtel de luxe parisien sur la place de la Concorde), au côté de grands patrons pour le Dîner du Siècle.

Peu à peu, l’échec de l’enquête initiale amène des questions plus réflexives et, au fond, un amer constat : née dans l’enthousiasme subséquent aux grèves de 95 et de l’émergence de l’altermondialisme, la critique des médias, malgré tous ses efforts, n’a rien changé. Pire : Pierre Carles est presque devenu un “bon client” que certains s’amusent presque à visiter possiblement pour s’en enorgueillir, ce qui le déstabilise d’ailleurs en flattant son orgueil (interviews de Michèle Cotta, Jean-Marie Cavada, Elise Lucet). L’espace critique dans les médias télévisés a quasiment disparu (le sort d’Arrêt sur images, pourtant d’une virulence limitée, condamné à s’exiler sur Internet, est symptomatique), laissant rêveur à la vue des nobles vitupérations adressées à la télévision, au mitan des années 70 (déjà à cette époque !), par le regretté Jean-Edern Hallier à Jean-Marie Cavada ou aux frères Duhamel, considérés alors comme des larbins du giscardisme.

Le docu s’achève de façon à la fois jouissive et amère. Jouissive pour l’humiliation de David Pujadas, présentateur du journal télévisé, d’une crasse servilité à l’égard des puissants (qu’illustre un extrait d’interview à l’Elysée) et à la position de tanceur vis-à-vis des pauvres (rediffusion d’une interview où il fait la morale à un syndicaliste de Michelin après la destruction d’un bureau de préfecture subséquent à l’annonce de fermeture du site)… Celui-ci se voit en effet, lors d’un happening, peindre son scooter en couleur or et adresser une “laisse d’or” par un petit groupe lié au regretté canard satirique Plan B, en sa qualité de “chien de garde” du pouvoir. On rit en écoutant les réactions évoquant un “attentat”, parlant d’ “abjection”, surtout après avoir vu la farce dont il était question ; on rit  – jaune – surtout en mesurant le larbinisme ambiant que ces réactions indiquent comme le bouton la fièvre, et plus encore en écoutant ce tout petit homme annoncer (voir plus bas la vidéo, extraite d’une soirée Arte), en substance, que le journalisme fait erreur en croyant devoir protéger la veuve et l’orphelin, que cela serait un cliché. Amère, surtout, par le constat d’échec qu’il dresse d’une action critique que l’on sait par ailleurs diverse (sites Internet, associations, publications alternatives happenings  : on pense aussi au délicieux entarteur Noël Godin, aux parodies de Groland, à l’humour critique des Guignols de l’info, à toute une tradition de la presse satirique qui à présent vivote seulement), et qui n’a cependant en une quinzaine d’années rien changé à la situation.

En ceci, Fin de concession est un document donnant à méditer : quelles peuvent bien être les nouvelles modalités d’action militante pour faire changer une situation – ici médiatique, mais la chose vaut autant pour les questions politiques, économiques et sociales – qui n’a de cesse de se dégrader depuis les années 90 (voire 80)… Que l’échec serve de fertilisant à l’optimisme et la recherche de nouvelles voies : telle est la meilleure façon sans doute de recevoir ce film.

Gagnez 4×2 places pour Noces de sang le 10 juillet à l’Etoile du Nord
Gagnez 2×6 places pour La Seconde Surprise de l’amour les 5 et 6 juillet sur la Colline des Mourgues à Villeneuve lez Avignon
Mikaël Faujour

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