Critique The Social Network : un thriller magistral et lucide sur le siècle facebook
Inspiré de l’histoire tumultueuse des débuts de facebook et de son créateur Mark Zuckerberg, The social network est une analyse passionnante des dessous d’un phénomène de société. Une réussite indiscutable qui rappelle dans sa forme l’excellent Zodiac du même cinéaste. En évitant le film historique plan-plan, le réalisateur a su insuffler un souffle et une portée bien plus large à un film éminemment politique. A la manière d’un Christopher Nolan pour son Dark Knight, David Fincher amène sa patte personnelle sur un projet qui sentait pourtant bon le marketing facile. De nombreux médias annoncent le Fight Club du 21ème siècle. Après un Benjamin Button assez décevant, David Fincher retrouve au contraire le style quasi documentaire de son précédent long-métrage, Zodiac qui suivait la traque sur plusieurs décennies d’un sérial killer jamais retrouvé. Abandonnant ses tics visuels clinquants, Fincher filme de manière très épurée pour coller au plus près de son histoire.
Star et millionnaire avant la sortie de la fac, Marc Zuckerberg est un pur personnage de cinéma. Génie passionné d’informatique, il va s’inspirer d’une bonne idée pour créer un système de réseau social qui va progressivement inonder le monde entier. Symbole d’une génération, Facebook est la traduction en outil technique d’une société où la vie privée disparaît et où le réseau compte autant que le talent. The social network est construit sur un aller retour entre deux procès entrepris contre le créateur de facebook et l’histoire de la création du phénomène. Cette trame permet de maintenir le suspense tout en décrivant de façon méthodique les étapes qui ont amené Zuckerberg à devenir le plus jeune milliardaire américain. Fincher, méticuleux, voire maniaque inonde en effet son scénario d’une multitude de détails et d’explications techniques précises.
Le film nous emmène dans les coulisses des grandes universités américaines où les dirigeants de demain pensent déjà à se placer dans un système qui leur est réservé. Harvard est présentée comme une organisation sociale très hiérarchisée, où les places dans les bons « clubs » sont chères à prendre. Entre les fils à papa qui font jouer leurs relations et les talents qui tentent de se faire une place, les relations humaines sont mécaniques et intéressées. Génie absolu, Zuckerberg tente de dynamiter ce système élitiste tout en s’y inscrivant pour assouvir son désir de reconnaissance. The social network nous rappelle que le succès de facebook naît de ce système pourri où le fait d’avoir sa carte quelque part est vu comme une fin ultime. Réservé d’abord aux étudiants de Harvard, le réseau social s’étend aux autres universités prestigieuses de la IV League pour créer le désir d’y entrer. Sur Facebook, on affiche sa vie mais on choisit surtout qui peut la partager avec nous. On compte ses « friends » pour pouvoir démontrer sa sociabilité. On ajoute des personnes en ayant consulté leur profil pour vérifier si elles peuvent nous apporter quelque chose. Fincher semble vouloir associer la création de Facebook et la success-story de son improbable créateur nerd à une forme de démocratisation de l’univers étriqué des grandes facs américaines. Consciemment ou pas, The social network montre aussi à quel point l’élitisme retrouve très vite sa place dans un phénomène qui se veut pourtant promouvoir la mise en réseau globale et le dépassement des anciennes frontières sociales. Les logiques financières reprennent le dessus et la soif de pouvoir de Zuckerberg est immédiatement récupérée par les cercles d’influence traditionnels.
Au-delà de ce constat minutieux et froid de la transformation d’une bonne idée en poule aux œufs d’or, David Fincher dresse le portrait d’un inadapté, avec une certaine tendresse. Un des dialogues du film le dit d’ailleurs clairement: « Tu n’es pas un salaud, mais tu essayes tellement ». Plus qu’un simple geek, Zukerberg apparaît comme un génie dont le cerveau produit dix idées en parallèle à la minute mais qui ne peut communiquer avec les autres. L’acteur Jesse Eisenberg arrive d’ailleurs à la perfection à produire un débit de paroles hallucinant et une attention à géométrie variable, toujours en avance sur son interlocuteur. En partant de la création de Facebook, David Fincher retrouve certains de ses thèmes fétiches : l’obsession compulsive, l’inadaptation et les relations de pouvoirs. N’épargnant pas certaines longueurs nécessaires à la minutie de son enquête, The social Network passionne pourtant de bout en bout et nous fait constamment réfléchir. Un film d’une rare intelligence.
Gilles Hérail
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