[Critique] « Mademoiselle Julie » : Jessica Chastain sous un œil aiguisé
Compagne d’Ingmar Bergman, et interprète pour lui, notamment dans Sonate d’automne, Liv Ullmann signe ici un nouveau film en tant que réalisatrice, quatorze ans après Infidèle. Dans cette adaptation de la célébrissime pièce d’August Strindberg, sa mise en scène, pleine de sens, fait du bien. Sa maîtrise technique traque et révèle Jessica Chastain. Mais son film est desservi par trois points noirs : le manque d’actualisation de l’œuvre, une fin qui traîne, et… Colin Farrell.
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Jouée, jouée et rejouée… Adaptée au cinéma par Alf Sjöberg, Mike Figgis… La pièce Mademoiselle Julie, écrite en 1888, reste le classique d’August Strindberg. Pour la transposer à l’écran, Liv Ullmann a choisi de conserver sa forme : trois interprètes seulement. John le valet, Kathleen la cuisinière et Mademoiselle Julie, fille du riche propriétaire de la demeure où se déroule l’action. Mademoiselle Julie qui va séduire John. Et l’entraîner dans un jeu dangereux, où ils ne cesseront de se mener mutuellement par le bout du nez… Qui est le maître, et qui le sert ? C’est la question que peut poser ce drame. Comment Liv Ullmann la rend-t-elle actuelle ?… Elle n’essaie même pas. Ce n’est pas son propos. Le texte est respecté, et se déroule toujours à la fin du XIXème siècle. Décevant ? Un peu. Après…
Au-delà de l’histoire qu’elle raconte, Mademoiselle Julie constitue un exercice pour actrice. Cette fille de propriétaire plane sans arrêt entre plusieurs temporalités. Elle idéalise, elle divague, elle commet des actes inconsidérés, elle essaye de les rattraper, toujours en rêvant… Et parfois, elle s’écrase au sol. Focalisant son intérêt sur le mystère de cette figure, Liv Ullmann braque sur elle son objectif. Suit ses variations de visage et d’humeur grâce à une mise en scène précise, qui marque par son usage d’une palette large de procédés. Avec, toujours, une justification. Sa caméra épouse le mouvement des corps. De plus, elle filme Jessica Chastain. Qui livre ici une éblouissante performance. Calme, perdue dans ses nuages, à deux doigts de chanter son texte, elle devient tout à coup furie sous l’effet du mal qui la ronge. Avec une déchirante justesse. Innocente, défaite, vieillie avant l’heure, euphorique… elle traverse tout. On voit jouer une actrice. Une vraie. Une grande ?
Sauf que, pour que les scènes fonctionnent parfaitement, il faut être deux. Et hélas, son partenaire lui est inférieur. Colin Farrell a beau respirer comme un fou, manifester de la détresse par ses gestes nerveux, il reste en surface. Il souligne trop. Il fabrique. La simplicité dévastatrice de Jessica Chastain lui fait défaut. Du même coup, son jeu forcé alourdit les scènes. Et la fin traîne en longueur. Enfin, si vous voulez une actrice, et une belle mise en scène qui la traque, et surtout, si vous ne connaissez pas ce classique, allez voir le film. Qui nous permet également de retrouver une interprète qu’on aime, un peu perdue de vue : Samantha Morton. A la hauteur, elle aussi, de son personnage.
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