Cinema
[Critique] “Jessica Forever”, drame SF d’avant-garde, et vraie belle tentative

[Critique] “Jessica Forever”, drame SF d’avant-garde, et vraie belle tentative

12 May 2019 | PAR Geoffrey Nabavian

Pour leur premier long-métrage, les artistes Caroline Poggi et Jonathan Vinel donnent à suivre une guerrière de l’amour, dans un monde d’anticipation très original et marqué par la prise de risque. A voir, avant qu’il ne soit trop tard.

Jessica Forever est un film dont la thématique est grande, belle, forte et pas si abordée que ça au cinéma : la Jessica du titre est une combattante du futur qui s’est donnée pour mission de recueillir tous les jeunes hommes en grave manque d’amour de son monde. Tous ces jeunes gars écorchés vifs, sans famille aimante, seuls au monde ou abandonnés, ou tout comme, que la rage qu’ils se sentent au ventre conduit à faire le mal ou à se faire mal. Un thème de fond universel, fort, et plus que jamais actuel.

Ainsi, dès les premières scènes, dès l’aube sur laquelle s’ouvre le film, un jeune homme perturbe une banlieue pavillonnaire toute calme et normale en se jetant sur une baie vitrée. Filmé de loin d’une manière experte, le plan frappe. Jessica veille, et ses “soldats” viennent ramasser le blessé, au milieu des éclats de verre. On découvre ensuite les règles de cette fratrie, au fil de scènes simples et fortes, telle cette remise, en gros plans successifs, d’un “cadeau” par chaque soldat au nouvel arrivant, de façon à lui constituer un vrai inventaire de jeune gars aimé. Ce qui ne l’empêchera pas, quelques séquences plus tard, de retrouver ses instincts violents. En balancement entre douceur pure et littérale, et violence viscérale, la réalisation de Caroline Poggi et Jonathan Vinel – très remarqués pour leurs courts, parmi lesquels After School Knife Fight, montré au sein du programme Ultra Rêve – impressionne de par l’œil de cinéma qu’elle impose, très personnel, et la maîtrise souterraine dont elle fait montre.

Être recueilli par Jessica ne signifie pas échapper au danger : dans le futur qui nous est peint – bien plus suggéré par la réalisation que par les décors – les “orphelins” violents sont traqués et tués sans sommation, par les drones des autorités. Des machines figurées avec peu de moyens, mais des effets marquants pour compenser, telle cette arrivée massive, à toute vitesse, lors de leur première apparition. De ce fait, les jeunes hommes du film portent des armes, et des gilets pare-balles. Et bien que le soleil nimbe les espaces du film (banlieue calme, île…), la mort frappe. Et elle est prétexte à des scènes élégiaques, avec prises de risque… Tel ce passage où résonne la splendide musique aux guitares rugissantes de l’artiste Jesu. Des effets qui n’étouffent pas l’émotion.

Triste, profond, fragile, maîtrisé aussi, et marqué par une volonté d’essai : Jessica Forever apparaît comme une vraie tentative avant-gardiste, au sein de laquelle le rythme global s’adapte aux règles définies, et prend une forme originale (avec des scènes qui montrent le quotidien, l’attente…). On salue aussi l’implication forte de tous les “participants” du projet, à ce titre : à l’écran, les acteurs brillent, entre autres, et se révèlent magnétiques et engagés à la fois. La très graphique Aomi Muyock captive, et s’avère fort bien entourée, par le mutique Ymanol Perset ou le sanguin Eddy Suiveng, entre autres. Qu’ajouter, donc ? On dira qu’au sein de ce film risque-tout et personnel, quelques citations d’Orange mécanique s’invitent. Mais on sent, cependant, que les auteurs les convoquent car ils ont réfléchi sur elles, et sur la manière dont elles pouvaient éclairer la violence souterraine qui court le long de leur oeuvre. On repense à ce titre à ce centre commercial si bien filmé, galerie à achats à la fois imprégnée de tentations et de dangers. Et invitation au rêve, à l’image du film tout entier. A voir (infos ici), avant qu’il ne soit trop tard.

Visuel : © Le Pacte

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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