Cinema
[Critique] Des « Chiens errants » qui ne mordent pas assez fort

[Critique] Des « Chiens errants » qui ne mordent pas assez fort

10 March 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

Avec ce dixième film, le taïwanais Tsai Ming-liang plonge dans la noirceur. Ici, plus de numéros musicaux. Lenteur, sobriété, rage, mais aussi poésie, et talent cinématographique à l’état pur, qui se manifeste par moments… Avis aux amateurs. Qui pourront goûter, après une heure et trente-cinq minutes difficiles, car pas assez viscérales, quarante minutes d’une atroce beauté.

[rating=2]

Les Chiens errantsHsiao Kang gagne sa vie en tenant un panneau publicitaire à un carrefour. Le soir, il retrouve son fils et sa fille, très jeunes encore. Ils mangent et se lavent où ils peuvent. Puis se couchent dans un coin –en ruine- de Taipei… Pas réjouissant, ce dixième conte de Tsai Ming-liang.

Au début, on ne reconnaît pas la patte du cinéaste. Où sont les numéros musicaux qui faisaient le sel du très futuriste The Hole (1999), ou du très sexuel La Saveur de la pastèque (2005) ? le subtil décalage existentiel que l’on trouvait, en 2001, dans Et là-bas, quelle heure est-il ? Avec sa lenteur habituelle, qui prend le temps de saisir les situations, Tsai Ming-liang  commence par s’attacher ici, longuement, à des fragments du réel. Très noirs. Et pas assemblés dans un ordre cohérent.

En ne renonçant pas, heureusement, à la stylisation. Celle qui faisait le prix de Visage, tourné en 2008 au Musée du Louvre avec Laetitia Casta  et Fanny Ardant. Sans rien souligner, il fait de ses personnages des figures intrigantes, tellement il colle à leurs actions banales. C’est qu’il en a, du talent pour capter l’infime (ses dix œuvres, toutes sorties en France depuis 1995, lui ont valu deux Ours d’argent à Berlin, un Lion d’or, ainsi qu’un Lion d’argent à Venise pour ces Chiens). Et il n’oublie pas les ruptures non plus. Son éternel panneau en main, Hsiao Kang –incarné par l’excellent Lee Kang-sheng– prononce sur son carrefour, le temps d’un long plan, un poème chantant le désespoir d’un général du XIIème siècle luttant contre une invasion. Puis le chante. Talent cinématographique, à nouveau.

N’importe, ces instants sont trop fugaces. Et la forme du film, trop réaliste, trop fragmentaire et pas assez contextualisée, décourage. Tout cela se répète, jusqu’à l’écœurement. Jusqu’à ce qu’un basculement ait lieu, au bout d’une heure trente-cinq. On assiste alors à l’ « avant » de toute cette histoire de vie marginale. Une vie de famille -avec une mère encore présente- dans un décor de pur cauchemar. Dans ces quarantes dernières minutes, sans le moindre effet spécial, un malaise sourd croît en nous. Insidieux. Nous offrant, du fait de l’humanité des personnages, un miroir pour nous regarder. Puis tout s’achève dans un plan long, long, long… qui rappelle que contre tous les montages frénétiques, se dresseront toujours les plans fixes dans lesquels résident une évolution. Des plans qui, à eux seuls, racontent une histoire. La marque des très grands auteurs. De ceux que l’on célèbre à la Cinémathèque française.

Cette dernière partie éclaire le titre. Pas très sexy, « Les Chiens errants ». Davantage après la vision du film. Ces âmes errent sur la Terre après être passées par l’Enfer. Décrit dans les quarante minutes fatales. Sublimes. Trop courtes. On eût aimé y passer plus de temps, dans cet Enfer. Sur un tel sujet, éminemment social, et avec un tel talent, tout était réuni pour qu’on ait mal. Très mal. Dommage.

Les Chiens errants, un film de Tsai Ming-liang avec Lee Kang-sheng, Lee Yi-Cheng, Lee Yi-Chieh, Chen Shiang-chyi, Lu Yi-Ching. Drame taïwanais, 2h18.

Visuels: affiche et photo Les Chiens errants © Urban Distribution

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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