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[Critique] Avec “Le Père de Nafi”, Mamadou Dia tutoie l’universel

[Critique] Avec “Le Père de Nafi”, Mamadou Dia tutoie l’universel

08 June 2021 | PAR Julia Wahl

Premier long-métrage de Mamadou Dia, Le Père de Nafi a remporté au Festival de Locarno le Léopard d’or de la section “Cinéastes du Présent” et le Prix de la Meilleure première œuvre. Découverte d’un film original.

Yonti. Ce petit village du Sénégal a comme guide spirituel l’imam Tierno, un homme doux et ouvert. Mais sa fille, Nafi, s’est éprise de son cousin germain, Tokara, fils d’un musulman rigoriste et intolérant. Aussi Tierno cherche-t-il à faire échouer ce mariage.

Une guerre fratricide

Sur cet argument qui pourrait paraitre rebattu, Mamadou Dia nous présente la guerre fratricide qui fait rage dans le petit village de Yonti. Si les pères de Nafi et de son amoureux Tokara sont frères, tout les oppose. La douceur de l’un et la violence de l’autre ; la simplicité du premier et la hauteur du second, qui se fait appeler “El Hadj”. Le mariage devient rapidement un enjeu qui dépasse les deux jeunes gens. Le soutiennent la grand-mère, qui espère par cette alliance réconcilier ses deux fils fâchés ; mais aussi Ousmane, le père de Tokara, qui, à force de cadeaux de mariage, entend acheter la bénédiction de son frère.

En effet, l’imam en titre du village est Tierno : c’est donc lui que les villageois sont susceptibles de suivre sur le plan spirituel. Mais Ousmane croit davantage en un cheikh à l’islam rigoriste et armé. Pour mettre la main sur le village, ce dernier utilise Ousmane comme émissaire et corrompt les paysans pauvres à l’aide de semences. Malgré l’opposition de Tierno, les rues se peuplent rapidement de hijabs noirs et d’hommes marchant au pas.

Un village sublimé

La caméra de Mamadou Dia filme magnifiquement ce village qu’il situe dans celui de son enfance, Matam. Des plans aériens mettent en valeur le fleuve qui en borde les maisons et soulignent la petitesse de cet endroit, comme si ce conflit pour le contrôle d’un village si anecdotique avait quelque chose de ridicule. La façon dont les personnages se découpent dans le ciel d’un magnifique bleu clair, la gravité des visages – notamment celui d’Alassane Sy, qui joue Tierno – aimantent le regard. Les scènes de jour, clair comme le sable et le ciel, alternent avec l’obscurité rouge, vert et bleu foncé des nuits, grâce à des éclairages nocturnes superbement suggérés.

Naissance d’un mythe

L’une des forces de ce film est toutefois de s’élever au-dessus de son ancrage local et de tutoyer l’universel. Les guerres fratricides lui confèrent une dimension mythique qui l’inscrit dans une forme d’uchronie. Peu importe en effet que les débats entre Tierno et son frère concernent la religion : l’un de leurs derniers échanges, qui tourne autour de l’amour parental, donne à la jalousie fraternelle sa juste place. Des Romulus et Rémus contemporains qui se battent pour le contrôle d’un petit village sénégalais.

Visuel : affiche du film

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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