Cinéma : La fille du RER, d’André Téchiné
Après son film sur les années Sida « Les Témoins » André Téchiné retrouve Michel Blanc pour « La fille du RER ». Il y imagine autour de la rayonnante Emilie Dequenne la vie de la jeune femme qui avait porté plainte pour un crime antisémite imaginaire en 2004. Une juste mesure de poétique et de glauque, de politique et d’intime. Sortie le 18 mars.
André Téchiné adapte à l’écran avant même qu’elle soit jouée sur les planches une pièce de Jean-Marie Besset. Celle-ci s’inspire du fait divers qui avait défrayé la chronique en 2004.
Une jeune femme blanche porte plainte pour crime antisémite dans le RER. Non juive, mais portant sur elle une carte de visite d’un avocat juif, elle aurait été tailladée et peinte de croix gammées par une bande de « Blacks » et de « Beurs » dans l’indifférence générale des passagers. Les journaux s’emparent de l’affaire qui résonne fort dans une opinion publique encore secouée par le meurtre d’Ilan Halimi et très sensible à la montée de l’antisémitisme. Or, il s’avère que la « fille du RER » a menti.
Plutôt que de se pencher sur les soubassements politiques de cette « affaire » (Comment se fait-il que les médias aient pu faire mousser l’affaire avant même que la moindre preuve ait été disponible ?), Besset et Téchiné préfèrent plonger dans l’intime d’une jeune-femme assez mal dans sa peau pour inventer un si grand mensonge. Ils imaginent la vie de la menteuse et mettent d’autant mieux en lumière un grand malaise social.
Ils l’affublent d’une mère aimante (Catherine Deneuve), d’une vie pavillonnaire de française moyenne, un peu glauque (bruits de RER, difficulté de trouver un emploi, petit ami envoyé en prison pour avoir de loin participé à un trafic de drogue …) mais pas trop (gazouillements des enfants que la mère garde, séances de roller et de nage jouissives, et par-delà les différences de classe, aide généreuse d’un grand avocat juif parisien interprété par Michel Blanc).
Filmée sous tous les angles, Vivaldi à l’appui, et vêtements bariolés flottants sur sa silhouette parfaite, Emilie Dequenne échappe toujours au spectateur, dans un mélange de grâce, de folie, et de vie animale qu’on n’avait pas vu à l’écran depuis Sandrine Bonnaire dans « A nos amours ». Téchiné sait parfaitement ne pas la saisir dans des fondus pas enchaînés, où elle semble disparaître comme Ophélie sous la surface de l’eau. En parallèle à une vie de RER, recherche de boulot, et squats langoureux avec son lutteur de petit copain (Nicolas Duvauchelle), le grand train du grand avocat avocat Blaustein et de sa famille de juifs riches et névrosés (parmi lesquels la volcanique Ronit Elkabetz, telle qu’en elle-même, même en Français) ne paraît pas bien plus grandiose.
Catherine Deneuve est comme d’habitude parfaite, en veuve de militaire, solidement ancrée dans ses principes moraux et sa condition de classe un peu moins que moyenne. Et le personnage du jeune adolescent huppé tiraillé entre sa mère et son père vient apporter une autre touche de légèreté à un film qui interroge sans dénoncer.
Le résultat est une image de la vie même, telle qu’on aimerait la garder sur le cœur.
André Téchiné, « la fille du RER », avec Emile Dequenne, Catherine Deneuve, Michel Blanc, Ronit Elkabetz, Nicolas Duvauchelle, et Mathieu Demy, 1h45.
Yaël Hirsch
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