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Christophe Leparc nous parle de la 40e édition du Festival Cinemed de Montpellier

Christophe Leparc nous parle de la 40e édition du Festival Cinemed de Montpellier

09 October 2018 | PAR Yaël Hirsch

Fondé en 1979, le Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier s’apprête à souffler ses 40 bougies avec un programme foisonnant. Avant que les festivités n’ouvrent avec Robert Guédiguian à la Présidence du Jury, du 19 au 27 octobre 2018, et à l’heure où toute la programmation est en ligne sur le nouveau site de Cinemed, Christophe Leparc, directeur du Festival et Secrétaire Général de la Quinzaine de réalisateurs, nous parle de la programmation exceptionnelle de cette année 2018.

40 ans c’est un bel âge …
Le fait que le Festival existe toujours au bout de 40 ans prouve que ses bases étaient solides et pertinentes. La particularité géographique qui est à la fois la seule contrainte et la seule chose remarquable dans la définition du festival. Se pencher sur le cinéma méditerranéen est intéressant à double-titre : pour les enjeux actuels mais il ne faut pas oublier également que dans l’Histoire du cinéma, il y a beaucoup de pays qui sont fondateurs et constitutifs de l’art cinématographique, la France bien sûr mais aussi l’Italie, l’Espagne, la Yougoslavie l’Egypte ont une riche tradition cinématographique qui fait qu’il y a une histoire derrière nous. Avec les rétrospectives on peut toujours se plonger dans un pan de cette Histoire du cinéma. Par exemple pour cette édition, la Rétrospective sur l’âge d’or de la comédie italienne va nous permettre de revoir des grands classiques et de nous plonger par la gaîté dans un patrimoine extraordinaire.

Robert Guédiguian en Président du jury participe de cette plongée dans l’Histoire du cinéma méditerranéen ?
Robert Guédiguian, c’est carrément l’histoire du Cinemed ! Il nous accompagné à chaque étape. Avec son premier film, Dernier été, il était déjà présent à Cinemed en 1981. On lui a donné une carte blanche, Ariane Ascaride était venue, Il est aussi le symbole que la méditerranée est très présente dans le cinéma d’auteur. Il y a beaucoup de cinéaste qui comptent récemment qui sont du bassin méditerranéen. A Cannes, cette année on retrouvait en compétition officielle l’Italie, l’Espagne bien sûr mais aussi l’Egypte avec Yomeddine, ou le Liban avec Nadine Labaki. A la Quinzaine, il y avait un film tunisien, un film serbe et plusieurs films espagnols. Quand le festival a été créé c’était pour montrer ces cinémas-là, qui n’étaient pas très présents : On a projeté le premier long-métrage Te souviens-tu de Dolly Bell ? de Kusturica (1981), qui est venu plusieurs fois une fois connu. Quant à Christian Mungiu, il était venu avec ses premiers courts métrages.

Pour Guédiguian, il n’était pas pris au sérieux, au début. Et puis l’on a vu son œuvre se constituer et lui devenir incontournable dans le cinéma d’auteur, au point de faire partie du jury du festival de Cannes cette année. L’exemple de Robert est très intéressant car on l’a vu passer du statut du petit cinéaste régional à l’auteur reconnu et incontournable. Sa trajectoire est un peu une métaphore du cinéma méditerranéen. Il y a une évolution du festival qui a participé à cette reconnaissance du cinéma méditerranéen. Les distributeurs ont fini par s’intéresser à ces films. Par exemple, Manuel, de Dario Albertini a été distribué par Le Pacte, après avoir remporté l’Antigone d’or l’an dernier (lire notre article). Ce qui est nouveau, c’est que on a des grandes avant-premières de films faits par des figures populaires comme Khairon ou Grand Corps Malade. Cela s’explique en partie par le partenariat que nous avons avec le cinéma Diagonale, qui est un cinéma d’art et d’essai qui a plus de 30 ans et est l’une des salles qui fait le plus d’entrée en France. On fait six avant-premières là-bas. Et l’on travaille désormais avec tous les cinémas de la ville. C’est un peu du gagnant/ gagnant : le festival a acquis une notoriété et cette exposition dans les cinémas de Montpellier permet aux distributeurs de tester si le public est réceptif. C’est nouveau et nus permet d’acquérir une reconnaissance nationale, là où nous avions déjà une reconnaissance régionale et internationale mais la reconnaissance nationale n’était pas évidente

Et vous continuez de découvrir des nouveaux regards ?
Le festival est toujours tourné vers l’avenir. Nous continuons à explorer ce qui se crée en termes d’image autour du bassin méditerranéen. Par exemple, notre focus cette année sur les jeunes auteurs libanais nous permet de remarquer qu’il y a de nombreux projets de cinéma dans de pays. Et nous sommes friands de découvrir et de montrer ces nouvelles énergies. Par ailleurs, on ouvre cette 40e édition avec une série italienne qui vient d’être réalisée. Il miracolo est écrite par deux réalisateurs de cinéma, joué par des comédiens de cinéma comme Jean-Marc Barr et Alba Rohrwacher. Et c’est très intéressant de voir que des auteurs, à travers la série, peuvent donner libre cours à une forme d’expression artistique qui va au-delà du cinéma. On n’a pas vocation à devenir un festival de séries, mais c’est pour montrer qu’il y a dans ce format des qualités et que cette extension du cinéma est aussi un terrain d’exploration. Et l’une des évolutions de Cinemed consiste à s’intéresser à la mise en relation d’auteurs et de producteurs au moment où les films sont en train de se construire. Il y a 28 ans, nous avons mis en place une bourse d’aide au développement pour soutenir des auteurs au moment de l’écriture de leur film. Chaque année, on sélectionne 15 projets en développement des pays de la méditerranée. Chaque auteur avec son producteur et défend son projet devant un jury de professionnels, sous la houlette cette année du directeur de la Cinéfondation Georges Goldenstern. Et depuis une dizaine d’années, on invite les professionnels à rencontrer les équipes. Et chaque année, la meilleure façon de voir que le programme fonctionne, c’est de voir arriver en compétition des films qui ont eu une bourse d’aide au développement à Cinemed. Par exemple, Amin de Philippe Faucon…

Dans les 40 ans du Festival, y-at-il eu des moments où la situation politique tendues entre deux ou plusieurs pays méditerranéens vous a empêché de montrer des films ?
Nous n’avons jamais transigé : à partir du moment ou un film est bon et provenant de la méditerranée, on le prend. Il y a eu des moments par exemple dans les années 1990 où, lorsqu’on projetait un film israélien, les cinéastes du Maghreb disaient qu’ils boycotteraient. Certains ne sont pas venus, nous les avons laissés faire et puis ils ont fini par revenir. Bien sûr, le Liban est toujours officiellement en guerre contre Israël et les réalisateurs libanais et israéliens éviteront de se faire prendre en photo ensemble. C’est une mesure de précaution. Vous avez vu la polémique autour de l’Insulte de Ziad Doueiri, qui a été interdit au Liban parce que des scènes ont été tournées en Israël ! Et pour les pays de l’ex-Yougoslavie, il y a aussi eu un moment où c’était très tendu dans les années 1990. Mais paradoxalement, les cinéastes avaient au contraire besoin de se parler hors des Balkans, notamment Goran Markovitch, qui disait que Montpellier l’avait un peu sauvé. Il savait qu’en venant au festival, il allait retrouver une confraternité naturelle avec ses confrères cinéastes de tous les pays.

Un an après #metoo est-que ce tsunami qui a fait trembler le monde du Cinéma a changé des choses à la manière dont vous pensez la programmation et l’organisation de Cinemed ?

Pas vraiment. Mais c’est parce que je suis un peu comme Monsieur Jourdain. J’ai toujours pratiqué le féminisme sans même le savoir ou du moins avec évidence. D’abord j’ai travaillé au Festival International des films de Femmes, à Créteil donc les femmes cinéastes c’était mon quotidien. A la sélection de Cinemed, il y a naturellement une parité hommes/femmes et quand on regarde un film, souvent on ne regarde pas le genre du réalisateur mais on obtient naturellement la parité, par simple effet des politiques déjà mises en place pour aider les femmes. Du coup on se retrouve naturellement, en se focalisant sur la qualité des œuvres, à 4 films sur les 10 de la compétition, réalisés par des femmes. Plus de la moitié des projets pour la bourse au développement sont portés par des femmes. Cet effet « Monsieur Jourdain », fait que par rapport à #metoo je ne me suis pas senti concerné.

Vous rendez hommage à Clotilde Coureau. Comment l’avez-vous  rencontrée?
J’ai appris à la connaitre au moment de l’Ombre des femmes de Philippe Garrel qui était à la Quinzaine en 2015 (voir notre article). Elle vient de tourner avec des cinéastes aussi divers que Rebecca Zlotowski et Paul Verhoeven. Après je l’ai invitée à participer au jury de courts-métrages de la quinzaine et j’ai découvert une personnalité très attachante et très engagée. Elle a une grande volonté de transmission, notamment auprès des jeunes en difficulté. Je me suis dit que ce serait bien qu’elle vienne pour discuter avec les lycéens et les étudiants. Et dans ses films, depuis Le petit criminel de Jacques Doillon (1990) ou Le poulpe de Guillaume Nicloux (1998), elle a toujours un rapport fort avec les auteurs. Elle choisit aussi des sujets politiques, comme le rôle de Gisèle Halimi dans Le Viol de Guillaume Tasma (2017) ou Le Ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar (2016, lire notre critique). Et pour sa rencontre publique, elle a appelé Michel Ciment qui accepté tout de suite. Le dialogue qu’ils vont avoir par rapport au métier de comédien promet d’être intéressant.

Quel est le moment clé où Cinemed soufflera ses 40 bougies ?
Si je devais en choisir un : le lundi du festival quand toute la famille Guédiguian sera là. Nous allons vraiment faire la fête à Robert, avec tous les comédiens qui l’entourent depuis longtemps, une exposition qui tourne ensuite que nous faisons pour ce 40e anniversaire. Et nous continuerons la fête toute la semaine avec lui et ses proches. Nous organisons aussi des concerts, des ciné-concerts dont un autour du Liban. Nous avons invité un groupe qui a composé des musiques de films libanais récents, les Bunny Tylers sur des images de Harold Lloyd, une confrontation drôle et prometteuse.
Visuel : affiche du festival

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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