Cannes 2022, Un certain regard : Tirailleurs, film au fond nécessaire qui rate sa forme
Co-produite et interprétée par Omar Sy, cette évocation engagée de l’enrôlement de force des Sénégalais par la France pendant la Première Guerre mondiale déçoit, du fait de ses scènes trop explicatives.
1917, au Sénégal. Bien que déjà dans la quarantaine, Bakary (Omar Sy) est accepté à l’enrôlement pour aller faire la guerre en France. La vérité est qu’il veut sauver son fils (joué par Alassane Diong) qui lui a été pris de force, pour partir effectuer la même tâche.
On peut saluer Tirailleurs car il donne à voir l’enrôlement forcé des jeunes du Sénégal par la France pendant ces années de conflit sans faire de détour, dans sa cruauté et sa dureté, et en même temps sans appuyer cet aspect avec du pathos. De même, le geste engagé final qu’il tente n’apparaît pas en trop, on le reçoit comme une proposition, intelligente, pas martelée.
Le souci que l’on peut rencontrer, devant ce film interprété et co-produit par Omar Sy, se situe ailleurs : devant lui, on peut ressentir bien peu d’émotion. On nuance, car ses choix de forme parleront peut-être à certaines sensibilités. Mais à d’autres… Il y a d’abord la musique, confiée à Alexandre Desplat, qui en plus d’être fade, déréalise un peu tout : elle apparaît pompeuse et illustrative.
Ce n’est ensuite pas tant la mise en scène de Mathieu Vadepied qui empêche de se sentir pris dans les situations : la Première Guerre mondiale n’est pas montrée dans son caractère sanglant, mais peu importe cet aspect, après tout des corps tombant ou gisant peuvent bien suggérer son côté tragique et sans pitié. Non : c’est la façon dont sont scénarisées les scènes qui irrite vite. On sent que le souci central est ici d’expliquer le contexte. Et le film a tendance à montrer sans faire ressentir : on accède bien peu à la complexité humaine des protagonistes, même sa surface n’apparaît souvent qu’à peine effleurée. Difficile, donc, de vibrer pour eux.
Etant donné que la mise en scène paraît chercher, déjà, à produire des images simples afin de ne pas étouffer le propos, le fait que ce dernier soit communiqué via des effets scénaristiques trop simples au sein des scènes épuise vite sa force : on comprend, mais on peine à ressentir. Quelques séquences font leur effet, telle celle où Bakary et son fils font évader leurs codétenus, au début, directe, rythmée et bien filmée. Mais en bien d’autres endroits, on ressent peu de choses.
Du même coup, on se contente de s’intéresser aux efforts des acteurs – Omar Sy, mais surtout le très convaincant Alassane Diong – pour porter ces faits avec le plus de force qu’ils peuvent. Et on garde en tête l’un des aspects intéressants du métrage : le travail, bien mené tout du long, sur les dialectes, et la place qui leur est ici accordée.
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Visuel : © Marie-Clémence David 2022 – Unité – Korokoro – Gaumont – France 3 Cinéma – Mille Soleils – Sypossible Africa