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Cannes 2018, ACID, “Cassandro the Exotico” : Entretien avec Marie Losier, réalisatrice de tableaux vivants underground

Cannes 2018, ACID, “Cassandro the Exotico” : Entretien avec Marie Losier, réalisatrice de tableaux vivants underground

13 May 2018 | PAR Aurore Garot

Toute La Culture a rencontré Marie Losier, réalisatrice du beau portrait-documentaire Cassandro the Exotico, présenté dans la section ACID au Festival de Cannes

C’est la première fois que vous êtes projetée au festival de Cannes… et en plus avec Cassandro ! Comment s’est passée la projection officielle ?

Je suis très émue, surtout que mon film a été choisi par quinze réalisateurs pour l’ACID (Association du cinéma indépendant), ce qui signifie beaucoup pour moi. Avec Cassandro, nous n’avions vu le film que deux jours avant de partir et sur un petit écran. J’ai passé cinq ans dessus et je n’avais plus la distance nécessaire pour le visionner. Quand nous sommes arrivés à Cannes et qu’il a été projeté sur grand écran et avec un public autour de nous, je me suis rendue vraiment compte que j’avais bien fait un film. Cassandro a fondu en larmes et m’a dit “c’est tellement beau, c’est tellement moi !”. Sa carrière prend fin, il ne montera plus ou très peu sur le ring pour se concentrer sur les cours qu’il donne pour transmettre son savoir de catcheur. Ce film était donc un moyen de rendre hommage à sa vie, à son énergie et son acharnement, tout en l’aidant à tourner définitivement la page pour continuer à avancer. Et puis, pour lui, c’est aussi un peu sa revanche…

Contre quoi ?

Contre le machisme, qui était ancré dans l’univers du catch, et contre ceux qui lui crachaient dessus, parce qu’il était ouvertement gay et travesti. À l’origine, les Exotico était des catcheurs hétérosexuels, qui s’habillaient en femme pour faire rire le public. Ce n’était qu’une mise en scène, qu’une moquerie de macho et non pas une identité… jusqu’à ce que Cassandro débarque sur le ring en se déclarant ouvertement gay et en disant “fuck that, je serai un vrai Exotico tout en étant un vrai catcheur”. Il a transformé leur image grâce à son acharnement et son talent. Mais, malgré le fait qu’il ait dû se battre dix fois plus que les autres catcheurs, il se faisait humilier, poignarder et a fait deux tentatives de suicide. Aujourd’hui, en partie grâce au film, ils le saluent et le respectent. C’est comme si c’était sa deuxième heure de gloire.

Vous avez l’habitude de filmer des personnalités assez atypiques ! Alan Vega, Deborah Krystal, Tony Conrad, le couple Genesis et Lady Jaye Breyer P’Orridge… Comment en êtes-vous arrivée à Cassandro ?

Je vis dans un milieu très underground à New-York, très marginal. J’attire et je suis attirée par ces personnalités un peu (beaucoup) “bigger than life”, avec une certaine énergie communicative,  très indépendantes, qui disent “fuck” à la société et à ses codes normatifs. J’ai rencontré Cassandro dans les coulisses d’un spectacle burlesque de la Lucha Libre. Il était en train de répéter une chorégraphie et quand il m’a vue, une petite femme dans la foule, il m’a dit “qui t’es toi ?” et ça a commencé comme ça. Nous nous sommes retrouvés ensemble sur un bateau à Mexico qui nous emmené sur une île réputée pour être une île fantôme des enfants noyés. Il s’est ouvert à moi pendant des heures, il m’a raconté sa vie, ce qu’il faisait, ce qu’il avait subi etc… et à la fin, il m’a dit “pourquoi on en ferait pas un film ?”. Il avait eu la même idée que moi ! Nous sommes devenus amis et je le suivais partout, chez lui, dans sa salle d’entraînement, dans ses hôtels… Ce sont les amitiés qui deviennent des films avec moi.

Comment décrivez-vous votre cinéma ?

Je n’aime pas les étiquettes, je ne dis pas que je fais du documentaire ou du cinéma queer. Je fais du cinéma d’amitié, d’amour et de liberté. Je filme de manière très instinctif avec ma caméra 16 mm, en faisant un peu ce travail de détective, de  reporter ou même d’ethnologue. Les portraits permettent de découvrir la société, la politique, un pays, des corps de métier à travers une vie. C’est une approche du monde moins directe et plus individuelle, mais tout aussi enrichissante. Faire des films, c’est comme les acteurs qui sont capables d’incarner des centaines de personnages, dont, par exemple, un pompier, et qui font un stage avec des professionnels pour améliorer leur jeu, afin que celui-ci soit réaliste. Quand on fait un film, c’est un peu une autre façon de pousser des portes pour découvrir un monde, des vies, des métiers… La vie est tellement riche !

Votre caméra 16 mm est un peu votre marque de fabrique…

Elle a d’abord une valeur sentimentale, car c’est un ex-amoureux qui me l’avait offert quand j’étais aux beaux-arts (car oui, je n’ai pas fait d’école de cinéma !). Depuis, elle ne m’a jamais quittée. J’aime beaucoup le cinéma expérimental et il y a quelque chose de magique dans les pellicules, car elles ne permettent que trois minutes de film, et quand c’est enregistré, on ne peut pas revenir en arrière  ! Il faut toujours être très concentré car les bobines coûtent assez cher. La pellicule offre un rapport très tactile, une forme de matière et provoque des effets parfois inattendus avec la lumière, les filtres, les apparitions / disparitions, les accélérations / les ralentis, ce qui fait son charme… Et puis, cela provoque un rapport très intime avec la personne que l’on filme. C’est une sorte de danse à deux !

Cassandro the Exotico, film de Marie Rosier, avec Cassandro, présenté au festival de Cannes, à l’ACID. Durée : 73 minutes. Prochainement au cinéma.

Visuels : ©Tamara Films ©Aurore Garot

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