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[Berlinale 2021, Forum] “Juste un mouvement” : évocation d’une vie de révolutionnaire, à la forme très ouverte

[Berlinale 2021, Forum] “Juste un mouvement” : évocation d’une vie de révolutionnaire, à la forme très ouverte

04 March 2021 | PAR Geoffrey Nabavian

Pour relater le parcours d’Omar Blondin Diop, mort en 1973, le réalisateur et artiste contemporain Vincent Meessen tisse un film en forme de beau kaléidoscope sombre, au carrefour des temps et des époques.

Juste un mouvement est un film qui trace un portrait du sénégalais Omar Blondin Diop, militant maoïste qui vécut mai 68 à Nanterre et à Paris alors qu’il avait vingt-et-un ans, joua dans La Chinoise de Jean-Luc Godard, mena des actions révolutionnaires au Sénégal comme en France, puis fut finalement condamné à l’emprisonnement sur l’île de Gorée, dans la baie de Dakar, où il mourut dans des circonstances peu claires en 1973, à vingt-six ans.

Pour raconter ce que fut cet homme, ainsi que son existence et sa pensée, des membres de sa famille s’expriment à l’écran, à intervalles réguliers. Ils racontent, sobrement filmés dans l’ombre, sous des angles non-frontaux. D’emblée, le décalage vers un ailleurs pointe, au sein de ce film dont la trame pourrait évoquer un documentaire, mais où la forme mélange les temporalités et juxtapose des images de natures très différentes – vues récentes du Sénégal, interviews, archives, extraits de films… – afin d’atteindre à l’essai poétique. Une vie ne pouvant se limiter à des faits et des pensées, celle d’Omar Blondin Diop sera évoquée ici au sein d’un film kaléidoscopique, opérant des décalages et glissements afin d’éclairer cette existence de révolutionnaire de différentes manières.

Une existence en mouvement perpétuel

Sont mentionnés ses “happenings” dans les amphithéâtres de l’université de Nanterre en 1968, sa rencontre avec Jean-Luc Godard via Anne Wiazemsky et sa participation à La Chinoise, son expulsion de France – où il  sera autorisé à revenir à condition d’arrêter la politique – puis son engagement contestataire dans le Sénégal présidé par Senghor. Alors que Pompidou doit venir faire sa visite dans le pays, les protestations contre la mainmise que la France y exerce se font entendre, et des drapeaux français sont notamment accrochés partout, à outrance, en signe de désaccord : Omar Blondin Diop, alors à Paris, revient au Sénégal pour essayer de faire libérer des prisonniers politiques. Plus tard, du fait d’un projet contestataire impliquant un enlèvement – qu’il avait renoncé en fait à mettre en œuvre – il sera arrêté puis emprisonné sur l’île de Gorée, où il mourra.

Alors que le mouvement de 68 commençait, “il voyait bien que la réalité africaine était irréductible à tous les schèmes conceptuels disponibles de la pensée“, affirme l’un de ceux qui parlent d’Omar, précisant que ce dernier passa ensuite sa vie à se questionner et à interroger les formes que devait prendre son action contestataire. Un autre intervenant rapporte cette phrase envoyée par Césaire à Senghor, une fois Omar mort : “Chez toi, comme chez Mobutu, les intellectuels crèvent dans les culs de basse-fosse ?” Certaines de ces personnes interviewées reviennent aussi sur leur propre pensée politique d’alors, et leur envie d’agir au Sénégal. Avec presque toujours une voix posée et comme optimiste. Un ton qui finit par se craqueler brutalement chez l’un, lorsqu’il évoque Omar finalement mort.

Une figure guettée au tournant, encore aujourd’hui, par le réalisateur

Durant tout le film, des vues du Sénégal urbain à l’époque contemporaine sont aussi données à regarder. Au détour d’un plan, un portail de chantier avec marqué “Shanghai Construction” accroche l’attention, par exemple : ces images évoquent beaucoup, sans aucun effet superflu. Et les contestations du XXIe siècle agitant le pays – avec la dénonciation de la corruption liée aux ressources, notamment – sont également montrées. Y compris à travers le travail de certains rappeurs, donné à entendre à un moment du film, et mettant en cause notamment la Françafrique.

Puis l’on revoit Omar Blondin Diop dans La Chinoise. Ses scènes dans le film de Godard sont données à observer. En fait, il ne joue pas : il est lui, à l’écran, il habite l’espace avec sa fougue souterraine et concentrée, exposant ses idées aux acteurs. On le voit, surtout, essayer d’être là, de faire passer ce qu’il porte en termes d’énergie contestataire, ancrée dans une époque. On se dit qu’au fil de Juste un mouvement, son réalisateur Vincent Meessen traque lui aussi la figure d’Omar Blondin Diop, à travers son époque à lui, à travers le passé de son pays, et au sein des instants qu’il filme. Peut-être son but est-il de se demander si, des décennies après sa mort, Omar est toujours là. On le suit.

Juste un mouvement, de Vincent Meessen, est projeté dans le cadre de la Berlinale 2021, dans la section Forum.

Visuels : © Jubilee / Thank You & Good Night productions / Spectre productions / Magellan Films

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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