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Rupert Everett : « Je vois Oscar Wilde comme une figure christique »

Rupert Everett : « Je vois Oscar Wilde comme une figure christique »

22 December 2018 | PAR Yaël Hirsch

L’inoubliable acteur du Mariage de mon meilleur ami vient de sortir en France un film intense, The Happy Prince. Il y incarne celui qu’il a tant joué les textes sur les planches et dont il a endossé la vie avec The Judah Kiss de David Hare : Oscar Wilde. Pour Everett, qui a mis presque dix ans à faire ce film, la fin de Wilde entre la Bretagne, Naples et Paris, est l’histoire d’un martyr. L’auteur de la ballade de la geôle de Reading s’est sacrifié pour avoir été le premier à être ouvertement gay. Nominé aux European Films Awards, l’acteur et réalisateur y a rencontré la presse, avec élégance et authenticité.

Comment avez-vous décidé de vous concentrer sur les dernières années de Oscar Wilde ?

Premièrement, il y a plusieurs autres films sur Oscar Wilde et ils se focalisent tous sur sa vie jusqu’à ce qu’il aille en prison. Et deuxièmement parce que je vois Wilde comme une figure christique. D’une certaine manière The happy Prince raconte la Passion d’Oscar Wilde, sa punition et la fin de sa vie. J’ai toujours été fasciné par cette époque de sa vie depuis avoir lu le livre de Richard Ellmann en 1980. Wilde lui-même était assez fasciné par la figure du Christ et a beaucoup écrit à ce sujet dans De Profundis. Sa version du Christ est superbe et il me semble que tout séminariste devrait le lire. Je pense aussi qu’il se percevait lui-même comme une figure christique : il considérait que le mouvement de libération des homosexuels était né grâce à lui, et c’est vrai d’une certaine façon. Le portrait d’Oscar Wilde sur le boulevard Saint-Germain en 1900 est le premier portrait d’un homme ouvertement homosexuel dans l’histoire moderne. L’homosexualité n’était même pas un mot avant cela, et ce n’était certainement pas un sujet de débat. Aucune femme n’aurait parlé d’homosexualité ou l’aurait même compris. Par exemple quand la reine Victoria a passé la loi en 1885 (Labouchere amendment), à cause de laquelle Wilde a été emprisonné, on lui a dit qu’il faudrait maintenant rédiger une même loi pour les lesbiennes, celle-ci a rétorqué ‘ne me dites pas que les femmes font aussi ces choses- là !’ Il n’y avait aucune représentation de l’homosexualité jusqu’à ce qu’arrive Oscar Wilde en 1900 et cela a tout changé. C’est à ce moment que commença le mouvement de libération des homosexuels. Son sacrifice a été la naissance de l’homosexualité dans l’espace public.

Vous avez joué Wilde sur les planches et endossé le personnage dans The Judas Kiss notamment. Cela vous a aidé pour diriger le film ?

The Judas Kiss a eu lieu, parce que cela faisait environ quatre ans que j’essayais de terminer mon film et je n’arrivais pas à trouver de quoi le financer. J’avais vu Liam Neesom dans la pièce à New-York, et j’ai demandé à David Hare si je pouvais mettre en scène la pièce et l’utiliser comme une sorte d’audition pour les gens qui avaient de l’argent, pour leur montrer que je pouvais jouer ce rôle et en fin de compte cela a très bien marché : La pièce a eu du succès, j’ai convaincu la BBC et Lionsgate de participer au film au Royaume-Uni.
Mais jouer dans la pièce était aussi un très bon exercice pour moi en tant qu’acteur qui s’apprêtait à devenir le réalisateur, parce que quand on joue dans une pièce comme cela pendant environ deux ans, on commence à véritablement connaitre le personnage.

Qu’avez-vous appris de cette expérience en tant qu’acteur et réalisateur ? Qu’est-ce que vous préférez ?

J’ai adoré cette expérience et j’aimerais beaucoup travailler de nouveau en tant que réalisateur. Ce que j’ai appris, c’est que le véritable travail du réalisateur n’a pas lieu pendant le tournage du film mais plutôt avant, notamment lorsqu’on choisit les gens avec qui l’on veut travailler. J’ai eu beaucoup de chance parce que je savais exactement le genre de film que je voulais faire, et j’ai choisi – et j’ai réussi à les convaincre – des personnes absolument fantastiques avec qui travailler. Un incroyable costumier, chef de production… Tous les rêves que j’avais lorsque j’ai rencontré au début de ma carrière Danilo Donati, Piero Tosi, toutes ces figures du cinéma italien dont j’admirais l’esthétique et la subtilité, j’ai pu les réaliser. J’ai aussi choisi d’excellents acteurs. Une fois sur le plateau, le réalisateur est en vérité assez inutile, parce que tout le monde sait ce qu’il doit faire et le fait. Le réalisateur ne dit même plus ‘action’ !

Pensez-vous que l’histoire d’Oscar Wilde soit encore pertinente de nos jours ?

Bien qu’il s’agisse d’un film historique, The Happy Prince est le portrait de ce que c’est que d’être un homme homosexuel dans le monde d’aujourd’hui. Je sais que ça peut sembler alarmiste mais je pense qu’on est tous d’accord pour dire que dans les trois-quarts des pays du monde, être gay ou lesbienne ou trans, c’est une histoire de vie ou de mort. Mais, encore pire, dans nos pays, lorsque je voyageais par exemple en Italie pour promouvoir le film en mai, j’ai été absolument stupéfié d’entendre tant d’histoires de comportements homophobes. Avec la vague de populisme qui parcourt l’Europe, il y a comme un retour de l’homophobie. Regardez la France et les manifestations contre le mariage gay. Donc bien qu’on ait, évidemment, fait d’énormes progrès depuis les jours d’Oscar Wilde, nous vivons à une époque à laquelle tout peut arriver. Dans ma communauté il faut être extrêmement vigilant et ce film est en réalité un film sur la situation présente.

Qu’est-ce que ça vous fait d’être nominé pour un prix au festival du film Européen ?

C’est incroyable d’être ici aux European Film Awards. J’étais là à la toute première édition European et j’ai décidé en tant que jeune acteur, alors que la plupart des acteurs britanniques vont en Amérique une fois qu’ils ont un peu de succès – qu’il serait bien mieux d’essayer d’infiltrer la scène du cinéma européen et de devenir un acteur européen. C’était censé se passer comme cela en 1989. En tant qu’homme gay, je me suis dit que je pourrais être « ténébreux » (dit en Français nldr), donc je suis allé vivre en France, j’ai commencé à travailler dans des co-productions entre des français et des italiens. Mais ce projet de 1989 ne s’est pas vraiment matérialisé parce qu’on n’a pas vraiment trouvé une langue commune, et que tous les marchés étaient assez insulaires. Mon rêve a toujours été de réaliser un film européen. Et c’est ce qui s’est passé avec The Happy Prince : il y a des acteurs européens de divers pays, ils parlent trois langues différentes, il a été financé par différentes institutions européennes, et cela parle d’un personnage qui est l’un des piliers de l’Europe dans laquelle nous vivons maintenant. Donc venir ici aux European Film Awards et bien sûr d’être reconnu c’est merveilleux. C’est comme la fin d’un long voyage.

Pensez-vous réaliser un autre film ?

J’ai un projet pour lequel j’essaye de trouver de l’argent. C’est un film sur mon histoire, basé sur le livre que j’ai écrit sur l’époque où ma famille m’a envoyé à Paris faire un échange en 1976, quand j’avais 17 ans.

Que pouvez-vous nous dire de la série ‘The Name of the Rose’ (Au nom de la Rose ?) sur laquelle vous étiez en train de travailler ?

On vient de finir, on l’a filmé cette année à Cinecitta. C’est presque plus intéressant que le film parce que c’est un livre tellement long et intense qu’il se prête mieux à la télévision qu’au film. Et puis c’était une excellente opportunité pour moi de passer d’Oscar Wilde à l’inquisiteur. Ça a été une très belle année pour moi. Un acteur espère toujours pouvoir passer d’un rôle à un autre et qu’ils soient tous très différents.

Vous avez souvent dit votre méfiance à l’égard du « show business » ? Est-ce que vous commencez à l’apprécier en peu plus ?

J’aime être un acteur et un réalisateur mais ce milieu est assez dur et même cruel. Tout comme il est anti-femmes et anti-gays, il est aussi anti-âge donc c’est assez dur de continuer dans ce milieu dans sa soixantaine. On a développé, dans cette ère virtuelle, une façon de communiquer assez brutale. Personne n’a inventé de règles de ‘bonnes manières’ dans le monde des réseaux sociaux et de l’email.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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