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Quinzaine: le Carrosse d’or 2023 pour Souleymane Cissé

Quinzaine: le Carrosse d’or 2023 pour Souleymane Cissé

18 May 2023 | PAR Olivia Leboyer

La Quinzaine s’ouvre chaque année par le Carrosse d’or, qui couronne un cinéaste pour l’ensemble de son œuvre. Lucide, courageux, Souleymane Cissé pose sur la société malienne un regard implacable et très humain. Le destin de la toute jeune Ténin nous captive et nous bouleverse.

Dans le Mali des années 1970, quelle liberté pour les corps et les cœurs ? La dictature, les pesanteurs sociales et religieuses corsètent la société. Den Muso (La jeune fille) s’ouvre sur une scène de femmes à leur toilette, d’une belle sensualité. Des corps sous la douche, qui prennent le temps de respirer, puis de paresser.

La séquence d’après, tranchante, nous montre la confrontation entre un riche patron, d’une usine de cycles, et l’un de ses jeunes employés, Sékou, venu batailler ferme, yeux dans les yeux, pour une augmentation. “Je vous remplace par n’importe quel travailleur qui guette la place“, lance le patron, “et moi, je vous remplace par un autre patron“, réplique-t-il avant de claquer la porte. Et avec les femmes ? Guidé par le plaisir de l’instant, Sékou passe de l’une à l’autre.

Un jour, il prend en mobylette la sœur d’une amie, Ténin, une jeune fille muette, à la beauté gracile. Pendant que la bande de jeunes ouvre des pastèques, nous voyons Sékou forcer les jambes de Ténin pour la violer. Ténin se trouve être la fille de son ancien patron. Patron mû par le profit et la respectabilité, Sékou mû par son désir, Ténin mue par une force neuve, qui la dépasse. Chaque personnage progresse dans son entêtement.

D’un plan à l’autre, les séquences se heurtent, les contrastes s’affirment. Un orange saturé de lumière, presque irréel, envahit l’écran. Dans de longs plans séquences, nous suivons Ténin, de dos, évoluant de sa démarche un peu chaloupée. Comme en fuite, la plupart du temps. Ou bien épanouie et rieuse, lorsqu’elle joue avec un tuyau d’arrosage. Petits moments suspendus, comme ces mains qui roulent machinalement un rosaire, sur les marchés. Brutalité et douceur, vie et mort, les cycles se poursuivent, sous nos yeux.

Den Muso de Souleymane Cissé, Mali, 1975, 1h28, restauré en 2020 par Souleymane Cissé et la Cinémathèque française, en collaboration avec la Cinémathèque Afrique et l’Institut français, avec Dounamba Dany Coulibaly, Fanta Diabaté, Oumou Diarra, Balla Moussa Keita.

visuels: photo officielle du film.©

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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