“Les jeunes loups” de Marcel Carné, censuré et maudit, ressort en version restaurée
Sorti en avril 1968, juste avant l’effervescence de mai, Les jeunes loups, étrillé par la critique, censuré pour immoralité, a fait un flop. Mérité ? Sans être un grand film, ce Carné possède un charme et une vitalité séduisants. A découvrir pour le beau Christian Hay, disparu très jeune.
Drôle de drame (1937), Le jour se lève (1939) ou, surtout, Les enfants du Paradis (1945), sont des Carné inoubliables. Grâce aux dialogues de Jacques Prévert, aux décors d’Alexandre Trauner, mais aussi au regard de Marcel Carné. Comme Julien Duvivier, Marcel Carné a souvent été critiqué par la génération suivante. Or, justement, pour cet esthète, éternel amoureux, la jeunesse qui s’enfuit constituait un grand problème. En prenant de l’âge, Carné est de plus en plus fasciné par les jeunes loups, dont les aspirations et les mœurs semblent si nouvelles. Est-ce si sûr ? Les tourments de l’amour ne forment-ils pas un éternel retour ? C’est le thème de ces Jeunes loups qui, après Les Tricheurs (1958, avec Laurent Terzieff et Pascale Petit), scrute les métamorphoses de la jeunesse.
La critique n’a pas manqué de souligner les maladresses, dans les dialogues ou les situations. Elles sont plutôt touchantes. L’admiration de Marcel Carné pour Christian Hay, jeune photographe de plateau à qui il a confié le rôle-phare, est palpable. Regard gris perdu, silhouette souple et musclée, Christian Hay est de tous les plans. Sa diction traînante marque l’indifférence affectée par le jeune homme, qui cherche à paraître : chic, désinvolte, dans le vent. Haydée Politoff (superbe Collectionneuse chez Eric Rohmer) joue ici une toute jeune dessinatrice de mode, Sylvie, tombée amoureuse d’Alain qui, lui, se prostitue pour enfin devenir quelqu’un. S’il parle sans cesse d’argent, c’est surtout de reconnaissance qu’il a besoin. Souvent délaissée, Sylvie se balade dans Montmartre ou dans le quartier latin, dans les boîtes La Cage ou Chez Popov. Sur les marches de la Butte, elle croise Chris (Yves Beneyton), hippie en rupture avec sa famille aristocrate. Il chante des paroles folks, et croit en l’amour. Sylvie aussi, mais comme Alain affirme que cela n’existe plus…
“La jalousie, faut laisser ça aux vieux, ça les occupe“, crâne Alain. Chris, qui ne fait pas semblant et refuse de “coucher par dépit“, se moque gentiment de ses deux amis en remarquant qu’ils souffrent tout autant que les générations passées. “Oui, mais nous on ne fait pas de mélo. On serre les dents” nuance Sylvie. Autre témoin des chassés-croisés stupides d’Alain et Sylvie, le gérant de leur hôtel, incarné par Roland Lesaffre, l’ami de coeur de Marcel Carné. On remarque aussi la présence de Maurice Garrel, en entrepreneur richissime et lubrique.
Les sous-entendus, les regards appuyés font un peu sourire, mais l’énergie dégagée par les trois jeunes acteurs est revigorante. Lors d’une séquence étonnante et très étirée, Alain emmène Sylvie à Deauville. Comme dans un homme et une femme, mais ils n’imitent pas la scène culte. Ils préfèrent la grande piscine de Deauville, sans maillots de bain.
La psychologie des personnages est trop surlignée dans les dialogues. Pourtant, le film distille une jolie mélancolie sur le carpe diem et nous séduit par sa fraîcheur. La chanson “I’ll never leave you“, grand succès de l’époque (chantée par Nicole Croisille) a été composée spécialement pour Les jeunes loups.
Les jeunes loups, de Marcel Carné, France, 1968, 1h44, avec Christian Hay, Haydée Politoff, Yves Beneyton, Roland Lesaffre, Maurice Garrel, Elizabeth Teissier du Cros. Musique Jack Arel. Sortie en salles, en version restaurée, le 28 septembre 2022.
visuels: photo officielle du film©.