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Isabel Sandoval, réalisatrice de “Brooklyn Secret” : « Chaque image a un potentiel de sensualité »

Isabel Sandoval, réalisatrice de “Brooklyn Secret” : « Chaque image a un potentiel de sensualité »

16 June 2020 | PAR Yaël Hirsch

Lauréat du festival Chéries-Chéris et sélectionné à la Mostra de Venise et au Festival de Cabourg, Brooklyn Secret de Isabel Sandoval sort enfin sur nos écrans le 1er juillet. Un coup de cœur de la rédaction que vous pouvez aussi voir en avant-première au Grand Action de lendemain de la réouverture des cinémas le 23 juin. Rencontre avec la réalisatrice.

Combien avez-vous mis de vous-même dans le personnage d’Olivia et dans le jeu ?

En termes de narration, les similarités entre mon parcours et celui d’Olivia sont fortes : nous sommes toutes deux des migrantes philippines et toutes deux transgenres. Néanmoins, Brooklyn Secret demeure un projet très personnel dans le sens où cela a canalisé beaucoup d’anxiété et de vulnérabilité que j’ai pu ressentir les premiers mois après l’élection de Donald Trump et que j’ai mises dans le portrait et le milieu du personnage. L’on peut dire que l’humeur et le ton du film sont une transposition fidèle de mon état d’esprit quand je l’ai tourné.

En fait, Olivia a deux secrets : sa transition et son statut d’immigrée clandestine. Comment avez-vous composé des échos entre ces deux secrets ?

J’écris des personnages qui existent dans une réalité sociopolitique particulière, ils sont incarnés et disent ce que c’est que d’être membre d’une minorité aujourd’hui aux Etats-Unis, dans le climat politique qui est le nôtre et qui prend en compte la race, le genre et l’immigration. Cela dit, je refuse de limiter un personnage à ces réalités matérielles. J’essaie de donner plus d’épaisseur, de plonger dans les complexités et les idiosyncrasies, et je l’ai vraiment fait pour Olivia. Bien sûr, c’est une transgenre sans papiers d’origine philippine, mais n’est pas juste CELA. Ainsi, Brooklyn secret parle de questions sociales, mais au-delà de la politique, c’est simplement un film humain. Olivia prend soin d’une vieille dame juive.

Brooklyn demeure-t-il un melting-pot ?

Tout à fait, Brooklyn fait partie de New-York qui est le melting-pot ultime. C’est une métropole où l’immigration est un point crucial de l’histoire et de la personnalité de la ville depuis le 17e siècle. Et donc, c’était très important pour moi que Brooklyn Secret décrive la vie de migrantes de plusieurs générations et milieux. C’est le genre de détail qui fait de New-York, New-York.

Alex travaille dans un abattoir au plus proche de la viande et Olivia aide une femme physiquement vieillissante. Il y a une matérialité très forte dans ce film…

Il y a une certaine intimité dans ces images qui sont soit dures soit sensuelles, parce qu’elles sont viscérales et crues. Je crois que cela irrigue le film avec une texture de réalisme qui est aussi lyrique et délicate. Je pense que chaque image a un potentiel de sensualité.

Brooklyn secret est aussi une histoire d’amour. C’est possible une vraie histoire d’amour ?

Je crois que la connexion entre Alex et Olivia vient de leur sensation commune d’isolement : le passé troublé d’Alex l’a séparé de sa famille alors que l’exil d’Olivia est politique et lié à son immigration. Ils parviennent à trouver l’un en l’autre un soutien émotionnel, même s’ils naviguent dans des sentiments complexes, ambivalents qui proviennent d’un homme cisgenre élevé dans une culture macho qui se trouve attiré par une femme transgenre. C’est particulièrement difficile pour lui parce qu’il n’a pas la maturité émotionnelle et la sophistication qui lui permettent de comprendre ses sentiments. Et ne parlons pas de les exprimer! L’amour n’est jamais simple et clair, du moins pas dans mes films.

Est-ce que l’aspect politique du film est encore plus fort aujourd’hui qu’il y a un an ?

L’aspect politique a en effet pris du poids, particulièrement en ce qui concerne les droits des transsexuels. Il y a quelques jours, l’administration Trump est revenue sur les droits à la protection sociale de la communauté transgenre. Et s’ils s’en prennent impunément à la communauté trans, qu’est-ce qui va les empêcher de viser les autres minorités ? Ce qui est inquiétant est que le préjudice et l’oppression sont devenus partie prenante de notre réalité quotidienne et se sont normalisés. Il ne faut pas que Trump soit réélu en novembre.

Le film parvient à créer un lien fort entre le spectateur et le personnage d’Olivia. Comment ?

La pulsion et le désir sont des instincts humains premiers. Je voulais les exprimer en termes purement visuels. Il me semble qu’ajouter des dialogues est à la fois facteur de déconcentration et non nécessaire. C’est une idée que je veux continuer d’explorer en allant même plus loin et en prenant plus de risques dans mes prochains films : faire le portrait d’émotions primordiales comme l’extase et le chagrin d’amour avec un minimum d’image et de son. Je veux interroger le pouvoir expressif du minimalisme.

Pouvez-vous nous parler de la photo de Brooklyn secret ?

Aux origines du film, avec un regard vers le cinéma philippin et notamment Brillante Mendoza, il est tentant d’attendre une image néoréaliste. Je propose quelque chose de différent – une sensibilité alternative du monde en développement, si l’on peut le décrire ainsi – où le film touche à des questions sociales comme le genre ou l’immigration et être lyrique, séducteur et délicat aussi dans sa composition. Il y a quelque chose de très subtil : la douceur des couleurs, la langueur du rythme, permettent de proposer un film à la fois politique et sensuel. Il faut aussi rendre hommage au directeur de la photographie, Isaac Banks, qui est extrêmement talentueux.

visuel : affiche du film

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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