[Interview] Xavier Dolan : « Avec Mommy, j’ai eu l’impression que les gens arrêtaient de critiquer mes films comme on corrige le devoir d’un élève »
Mommy, le nouveau film de Xavier Dolan est l’événement de l’automne. Depuis sa récompense du prix du Jury au dernier festival de Cannes le 5ème film du Québécois suscite l’envie. Nous avons profité de sa tournée promotionnelle démentielle pour aller à sa rencontre. En résulte un entretien décontracté, dense et très enrichissant. La critique quant à elle est à lire ici.
Tom à la ferme a constitué un virage par rapport à vos premiers films, vers un cinéma plus épuré, mais on a le sentiment que Mommy est un peu la symbiose de tous vos films mélangeant à la fois le coté introspectif, le lyrisme et les sentiments.
Je retirerai simplement Tom à la ferme de l’équation. C’est le film de genre, l’espèce de digression, j’avais envie d’essayer un truc nouveau. Mais effectivement Mommy est la symbiose des trois autres. Je pense juste que c’est tout le temps comme ça que j’ai eu envie de raconter les histoires, au début comme j’ai aucune expérience, aucune formation, je me débrouillais comme je pouvais pour raconter mes histoires. Avec le temps on fait des erreurs des découvertes, on essaye de s’améliorer en tant qu’artiste, je pense que Mommy est tout simplement mon 5ème film, j’en ai eu quatre autres avant pour apprendre, pour me tromper en quelque sorte. Mais c’est toujours le cinéma que j’ai rêvé de faire. Evidemment à chaque film il y a des erreurs, mais une fois terminé je me suis toujours dit « c’est exactement le film que je voulais faire ». Mais par exemple, quand je regarde Laurence Anyways aujourd’hui, j’ai un recul par rapport au film, j’ai aucun regret c’est le film que je voulais faire, Les Amours imaginaires, je me dis il y a 10 secondes de trop à la fin de chaque scène, J’ai tué ma mère on en parle même pas, car quand je le vois je trouve ça très laid et ça me rend fou mais j’étais fondamentalement cette personne là qui était touchée par les thèmes qui transpirent dans mon premier film.
Le thème de la relation mère-fils est prédominant dans votre cinéma, en quoi est-il cher à vos yeux ?
J’aime la mère, elle m’inspire. C’est une sorte de filon inépuisable, une mine de possibilités. La mère est une figure, un personnage qui, par définition, par sa nature, a beaucoup plus d’aspérités, beaucoup plus de caractère, de failles. J’aime beaucoup écrire pour les femmes, parler des femmes. Chez le personnage de la mère on voit les sacrifices qu’elle a pu faire pour avoir des enfants, on voit les rêves qui ont été mis de côté, c’est un personnage qui pour moi est plus complexe psychologiquement et plus intéressant à filmer. Il me donne plus d’idées en tant qu’acteur. Le spectre de ses préoccupations est plus vaste, celui de ses regrets, de ses secrets est plus développé, plus large. Je pourrais faire des films sur les mères jusqu’à la fin de ma vie, sans arriver au bout du sujet, j’en aurais jamais fini.
Mon père n’était pas très présent quand j’étais petit j’ai donc grandi entouré de femmes. Ma mère, mes professeurs, des belles-mères, ma grande tante qui m’a pratiquement éduqué et chez qui j’ai grandi à la campagne. Je pense que le noyau dur d’un artiste, sa vraie formation ce n’est pas les choses qui l’influencent tardivement dans sa vie, ça peut juste changer ses goûts, mais ça ne change pas qui il est. J’aurais pu faire Mommy en 2009, je l’aurais pas écrit comme ça, j’ai pris du gallon depuis. Ma vraie formation en tant qu’artiste, mes vraies influences c’est pas les films que je peux voir en salle maintenant, c’est ce qui m’a vraiment influencé quand j’avais entre 4 et 8 ans. C’est là qu’on entre dans tous les films américains, les drames familiaux, Madame Doubtfire, Jumanji, Batman Returns, Matilda, La petite princesse, Titanic, Maman j’ai raté l’avion. C’est vraiment ça mes vrais instincts. C’est à ce moment là que mes influences vitales qui viennent de la mère rentrent en compte.
Par rapport à cette image de la femme dont vous venez de nous parler, est-ce que l’on peut parler d’un certain féminisme artistique ?
Oui, bien sûr. J’écris pour les femmes, pour les actrices. J’essaie de défendre la femme. Je trouve que sa quête de positionnement dans la société par rapport à ses droits ou à l’égalité, cette recherche là d’appartenance comporte tous les éléments narratifs idéaux d’un film : des scènes de solitude, de remise en question, de crise, d’affirmation d’identité ou de liberté. J’étais au défilé Chanel ce matin, à la fin les mannequins ont défilé avec des grandes pancartes de revendication pour les libertés individuelles et les droits des femmes, « ladies first », c’était très beau, un peu inattendu. Donc oui on peut parler de féminisme.
Vos influences viennent donc de votre jeunesse, mais dans l’une des scènes fortes du film on pense rapidement à une séquence de Six Feet Under …
Tout à fait. C’est une des seules réelles influences et références de Mommy et personne n’en parle. Personne ne parle de cette séquence du rêve inspirée de celle de la série qui a changé ma vie. Depuis que j’avais vu ça j’avais envie de la reprendre … C’est pas du plagiat en même temps puisque c’est différent et dans un autre contexte, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Ce sont tellement des thèmes qui me sont chers, la mort, le temps qui passe, les gens qui changent, les rêves enterrés, morts-nés, les relations éphémères qui s’effritent. Le moment que j’aime le plus dans le film, qui quand j’en parle me donne un peu envie de pleurer, c’est quand Steve est dans la voiture à l’arrière, il s’en va, puis on est dans la voiture, il y a les bagages dans le cadre, puis on est dans la vitre du fond, on voit juste le corps qui disparaît en faisant un signe de main puis la voiture s’en va et il la voit déjà plus.
C’est encore un aspect de la mère que vous n’aviez pas exploré, la mère seule, sans enfant.
Oui. Pourtant ce qui m’inspire ce ne sont pas les relations mère-fils. C’est la mère. Je suis toujours plus inspiré quand vient le temps d’écrire le personnage d’une mère que n’importe quelle autre personnage et n’importe quelle mère d’ailleurs, que ce soit Nathalie Baye dans Laurence Anyways. Les gens me disent que c’est la première fois que je reviens à la relation mère-fils depuis J’ai tué ma mère. Alors que c’est faux, j’ai jamais eu l’impression d’avoir quitté ce personnage de la mère, et on retrouve même Anne Dorval dans Les Amours imaginaires.
En ce qui concerne la musique, vos chansons de fin sont toujours bien pensées et raccords avec l’épilogue. Est-ce-que vous construisez vos films en fonction de cette chanson finale ?
Tout d’abord il est vrai que j’aime ces chansons de fin, et la meilleure pour moi est sans aucun doute celle de Laurence Anyways, à savoir Let’s go out tonight de Craig Armstrong. Mais en règle générale, non je construis le film en fonction des autres chansons. Mommy par exemple a été écrit à partir de la chanson de la scène du rêve dont nous parlions. C’est la magnifique chanson de Ludovico Einaudi (il sort son téléphone et nous la fait écouter), Experience que j’ai découverte grâce à un ami. Quand je l’ai entendue, j’ai pensé à une horloge, un cœur qui bat, et à ce moment où tu vois des enfants grandir, des gens changer, la beauté se faner, les feuilles d’automne qui tombent. J’ai tout de suite écrit la séquence puis je me suis demandé quel film je vais faire à partir de ça, et j’ai pensé à Mommy, ce film que j’avais en tête depuis plusieurs années.
Donc aucun rapport avec la chanson de fin Born to Die de Lana Del Rey qui fait penser au nom du personnage de Anne Dorval – Die ?
Non c’est venu après. J’ai beaucoup hésité sur cette chanson, à un moment donné ça devait être une chanson de Green Day. J’aime beaucoup ce que fait Lana Del Rey, mais de loin c’est la chanson du film qui me touche le moins parce qu’elle ne fait pas partie de la playlist du père. J’aurais voulu qu’elle en fasse partie. Si on regarde bien la playlist que le garçon possède, on trouve tous les titres du film mais pas Born to Die. Il y aurait un anachronisme car le père est mort avant. Mais je pouvais pas m’en empêcher : « Born To Die », non seulement il y a le prénom de Die, mais en plus c’est le film sur des gens qui sont de par leur ADN rejetés par le système, car la pauvreté étant souvent héréditaire et il faut du courage et de la force pour s’en sortir. C’est horrible de dire ça mais en fait ils sont mieux morts que vivants tant la place qu’on leur fait dans cette société est dégoutante. La dernière séquence est une séquence de victoire. Je fais des films, sur l’amour, sur la liberté, sur l’amitié.
Vous avez déjà pensé aux chansons pour votre prochain film ?
Tout est déjà pensé. Les chansons sont là au moment du scénario. Je vais pas vous gâcher le plaisir de les découvrir, mais ce que je peux vous dire c’est que la bande-annonce qui est déjà montée dans ma tête va être sur ce morceau (il ressort à nouveau son téléphone) : Map of the problematique de Muse. On sent venir le climax et tout s’emballe et c’est la merde. Vous allez l’entendre ! Et pour le premier teaser, si j’arrive à obtenir les droits, ça devrait être sur (nouvelle session musique via son Iphone) : Thinking About you de Radiohead. Les paroles sont formidables et vont de pair avec mon film qui sera sur le show business.
Votre prochain film sera anglophone et sans votre troupe d’acteurs fétiches, comment l’abordez vous ?
Pour commencer je vais continuer à faire des films chez moi, c’est à dire au Québec et avec toute mon équipe technique. Donc je vais l’aborder de la même manière, c’est juste une histoire en anglais. Pour moi la progression c’est pas en termes de territoire ou de gloire mais en fonction des gens avec qui on travaille. Meryl Streep ou non (rires). Ce sont des grands esprits avec qui on peut créer, échanger. J’aurais un grand plaisir à la diriger, je le ferai. Je me rappelle quand j’ai travaillé avec Nathalie Baye sur Laurence Anyways, il y avait des gens qui me disaient « tu peux pas lui parler comme ça, tu peux pas la diriger, tu lui donnes beaucoup de notes, tu crois que ça va lui plaire ? ». Je me disais « j’ai le privilège de travailler avec elle, mais ce serait juste passif, je ne pourrais pas la diriger véritablement ? » Tous les plus grands acteurs ont besoin d’être dirigés . Ce n’est pas un film de studio, où ils sont seuls, sans note, sans costume où tout le monde se fout de toi. Donc si moi je devais travailler avec Meryl Streep je lui dirais « Meryl, less is more » (rires). C’est une blague bien évidemment, mais ça me ferait grandement plaisir de travailler avec elle.
En ce qui concerne vos personnages, êtes-vous plus fataliste ou plutôt en faveur du libre arbitre les concernant ?
Je fais des films sur des personnages libres mais la société les ostracise et en décide autrement. C’est comme dans Laurence Anyways, Laurence est une femme qui veut être libre mais qui est perpétuée. Je pense que je fais des films où la fatalité, le pessimisme ne viennent jamais spécifiquement des personnages car eux sont plein d’espoir. Oui je fais des films où la vie n’est pas un jardin de roses, mais j’essaie de faire des films heureux et beaux. Le tragique vient de la société, de l’intolérance, l’enfer c’est les autres …
Dans vos films, tous vos personnages sont sujets à la question de l’emprisonnement, de la liberté, ils essayent d’exister dans le regard de l’autre, celui d’une mère, d’une amante.
Oui tout à fait puisque l’on essaye de plaire à la société, de trouver sa place. La quête de mes personnages c’est une quête de liberté, d’affranchissement, d’appartenance. Ce ne sont pas des marginaux qui ne veulent rien savoir de la société. Ils voudraient appartenir à un milieu, à une société plus vastement, mais malgré eux ils y arrivent pas. Mais oui ils veulent exister dans le regard de l’autre, comme moi d’ailleurs.
Comment vivez vous cette frénésie actuelle autour de votre personnage ? Vous générez autant de haine que d’amour, comment gérer cette agitation médiatique ?
J’ai l’impression depuis Cannes que je génère plus d’amour et cela m’a vraiment apaisé car c’est vraiment lourd. Les gens sont durs, ils sont cruels, de mauvaise foi.
C’était un peu le cas concernant votre accueil critique assez virulent pour Laurence Anyways.
Moi j’étais heureux de faire ce film. J’en étais fier. Le plus dur c’est quand on ne comprend pas pourquoi les gens nous ont pas aimé. Qu’on voit que derrière cette médisance, cette haine et ces critiques, il y a une forme de gratuité. Moi je lis TOUT. Les critiques positives, négatives, tous les entretiens, c’est très formateur. Il faut apprendre à choisir. Les attaques personnelles sont évidemment le pire poison, mais il y a des critiques très négatives qui sont très intéressantes et éducatives. Je suis tellement jeune, j’ai tellement appris à l’arrachée, j’ai investi tout mon argent, c’est tellement une voie particulière que je ne pourrais pas prodiguer des conseils. Lors d’une master class aux États-Unis on m’avait demandé de donner des conseils sur le cinéma et j’avais longtemps réfléchi à la réponse. J’ai décidé de penser sur « comment réagir aux critiques ». Moi ce que je réalise c’est qu’il faut apprendre à choisir, à évoluer. Là tout d’un coup avec Mommy, j’ai eu l’impression que les gens arrêtaient de critiquer mes films comme on corrige le devoir d’un élève.
Pour revenir sur votre actualité à propos de la Queer Palm. On a compris que vous souhaitiez vous détacher des étiquettes, pensez-vous que vos propos ont été mal interprétés ?
Il y a de ça évidemment. Soyons vraiment honnêtes, je ne sais pas si j’ai dit que j’étais vraiment dégoûté par ces prix. En l’occurrence je ne suis pas « dégoûté » que ces prix existent. Mais je suis contre et je le réitère. Et pourtant ça me fait mal de m’en prendre à l’initiative de gens qui cherchent à ouvrir les horizons et à séduire les mentalités réfractaires. Je ne veux pas travailler contre qui que ce soit. Tant mieux si le jury de cette année-là m’a choisi pour la Queer Palm, je suis content qu’ils aient aimé mon film. Cela dit, je ne comprends pas comment cette récompense peut aider un film. Pourquoi est-ce-que le public irait plutôt voir un film parce qu’il a gagné la Queer Palm ? Je crois pas à ce raisonnement. Même moi qui suis gay, je ne pense pas que ce prix me pousse à aller voir un film avec ce prix. Imagine pour les hétéros du coup ! Surtout en France, il reste une mentalité à séduire, à convaincre, une mentalité réfractaire. On l’a bien vu ces dernières années avec tous ces gens qui prennent la rue pour manifester contre les droits les plus fondamentaux des gens … Dans le reste de l’occident on vous regarde dans une incompréhension. Cela nous fait peur de voir des gens afficher autant de haine, en plus en s’appropriant la noblesse de religions spirituelles conçues pour générer l’amour, l’amitié et l’entraide. Moi je suis choqué et je voulais évidemment pas m’inscrire dans un tel débat. Puis tout s’est emballé, les polémiques servent et desservent les autres. Il y a toujours un opportuniste pour se glisser sous les projecteurs en pleine promotion de Mommy. Je réitère tout ce que j’ai dit : pour moi on ne convainc pas les gens en nommant. On peut éduquer en allant dans les écoles. Mais surtout dans des films qui prétendent reléguer l’homosexualité au second plan pour en faire un attribut secondaire, comme le fait d’être juif, noir etc. Dire qu’un film est gay, refuser de comprendre que dans l’imaginaire collectif malheureusement c’est une étiquette qui peut être rédhibitoire. Beaucoup de gens sont venus me voir après Laurence Anyways pour me dire que malgré leurs préjugés de départ ils ont su aborder et comprendre ce que les transsexuels pouvaient ressentir.
Un distributeur n’achète pas un film parce qu’il a gagné une Queer Palm. Jamais je ne rejetterai ces festivals là, au contraire je suis très content que mes films y soient allés. Ce que je dis c’est que en dehors de giron communautaire ça sert à rien d’apposer des étiquettes sur des films qu’on voudrait partager avec tout le monde. On se coupe d’une partie du monde en étant grégaire
Interview – table ronde en présence de Thomas Perillon (Le Bleu du Miroir), Laure Croiset (Toutlecine) et Noémie Spilmont (TNV).
Visuels © Hugo Saadi / Shayne Laverdiere
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