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[Critique] “Ida” de Pawel Pawlikowksi, un magnifique double portrait de femmes en noir et blanc

[Critique] “Ida” de Pawel Pawlikowksi, un magnifique double portrait de femmes en noir et blanc

29 January 2014 | PAR Yaël Hirsch

Avec son noir et blanc épuré, son cadrage saisissant et sa revisite nuancée de la Pologne des années 1960, Ida de Pawel Pawlikowski est l’un des bijoux cinématographiques de cet hiver. Prix de la critique internationale au Festival de Toronto 2013, ce double portrait de femmes oscille avec génie entre fureur de vivre et mystique, douleur du passé, communisme pesant et twist again de la libération sexuelle… Un immense coup de cœur en salles le 12 février 2014.

[rating=5]

Orpheline ayant connu toute sa vie les joies simples et spirituelles du couvent, Anna (radieuse et irradiante jeune première Agata Trzebuchowska) apprend qu’elle a une tante et la mère supérieure l’enjoint à rencontrer cette femme, avant de prononcer ses vœux. A contre-coeur, la toute jeune-femme emporte un petit bagage vers la grande ville et va rencontrer sa parente. Elle arrive un matin comme un autre dans la vie de Wanda (sublime Agata Kulesza), et tandis que vacillant encore d’une soirée très arrosée, sa tante congédie son amant d’une nuit pour reprendre le chemin du tribunal où elle travaille comme magistrate, une seule phrase bouleverse la vie de la jeune nonne : “Alors comme ça tu seras une sœur juive?”. Sans ménagement, la tante apprend à sa nièce qu’elle s’appelle Ida Lebenstein et que ses deux parents sont morts pendant la guerre. Elle congédie la gamine, mais se ravise et lui propose de l’accompagner pour retrouver où ont vécu et sont morts leur famille. La femme mure, alcoolique et à la sensualité agressive trimbale la jeune sœur à la coiffe prude dans sa petite voiture blanche. Le couple improbable retourne sur un passé éminemment douloureux pour Wanda, qui a adoré sa sœur Rosza, mère de Ida, et qui a laissé une partie d’elle dans la forêt polonaise, là où on abattait les juifs sans leur donner de sépulture…

Évoquant à la fois la Shoah, le jazz avide de liberté des années 1960, l’antisémitisme polonais, mais aussi la force et le calme de la spiritualité chrétienne avec la pureté fondamentale du personnage de Ida et les abus du communisme à travers les contrastes de Wanda, personnage touchant mais aussi monstrueux en tant qu’ancienne grande procureure qui a eu la tête de nombreux “ennemis du peuple”, Pawel Pawlikowski se contente du noir et du blanc pour mieux refuser les manichéismes. Celui qui a révélé Emily Blunt avec My summer of love (2004) et qui a adapté avec brio le best-seller de Douglas Kennedy, La femme du Veme (2011) s’attaque avec Ida à un sujet à la fois plus intime et très sensible qu’il traite avec une pudeur et une sensibilité bouleversantes.

Sa caméra fixe les silhouettes et les visages avec une douceur infinie mais pratique le décentrement systématique du cadrage, si bien que ses deux héroines apparaissent à la fois comme des icônes et comme des êtres faibles et solitaires. La musique – classique ou de dancing- coule comme la sensualité des forêts de bouleaux enneigées, tandis-que la violence du passé, continue de résonner hors-champs : une menace sourde qu’aucune mélodie moderne ne saurait apaiser. Lumineux et paradoxal, Ida travaille présent et passé, rencontre et non dits, sensualité et foi, patriotisme et noirceur, avec une finesse que sa beauté académique ne fait que renforcer. Un immense film, porté par deux actrices époustouflantes.

Ida, de Ida de Pawel Pawlikowski, avec Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska, Pologne, 1h19, 2013, dist. Memento films, Sortie le 12 février 2014.

Photos : ©Sylwester Kazümierczak

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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