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“Goutte d’or”, Karim Leklou voyant escroc et consolateur d’âmes

“Goutte d’or”, Karim Leklou voyant escroc et consolateur d’âmes

10 February 2023 | PAR Olivia Leboyer
Goutte d’or

De Clément Cogitore, nous avions beaucoup aimé Ni le ciel, ni la terre (2015), plongée hallucinée au sein d’une troupe de soldats en Afghanistan, où les disparitions inexpliquées viennent hanter ceux qui restent. Même mystère épais dans Goutte d’or, à l’exotisme plus familier : le quartier de Barbès et son économie souterraine. Au cœur du film, un faux voyant, escroc aux regard habité, magnifiquement incarné par Karim Leklou.

Une nouvelle fois, Clément Cogitore explore les zones floues, entre la réalité et les ombres. Le réel, est-ce ce que l’on voit ou ce en quoi l’on croit ? Le film s’ouvre sur la salle d’attente d’une petite échoppe de voyance : après un laps de temps angoissant, les clients sont conduits dans une petite pièce, où ils doivent tenir devant eux une photo. Auparavant, ils ont dû laisser tout ce qu’ils avaient sur eux de magnétique, portable, ceinture et bijoux. Le voyant, Ramsès (Karim Leklou, également excellent dans Pour la France de Rachid Hami), après avoir tranquillement compulsé l’historique du téléphone portable du client, fait son entrée et, naturellement, impressionne. Quelques minutes intenses, et cent euros d’engrangés.

Ces petits trafics de bric et de broc, Clément Cogitore les scrute sans les juger. D’ailleurs, les séances ont un effet de consolation, pour de vrai. Karim Leklou impose sa silhouette placide et son regard hanté, tout en douceur. On comprend qu’il a été élevé par un père assez étrange, féru de croyances entremêlées. Ramsès fabrique de la croyance, si l’on veut, marchandise comme une autre et qui répond à un besoin bien tangible. Avec un sens dramaturgique, il ferme les yeux, les rouvre et convoque les absents. Grâce à son syncrétisme flou, dans le quartier, “ce voleur et ce menteur” a pris la clientèle des autres communautés, africaine notamment. Cocasses, les scènes où les voyants tentent de délimiter leurs périmètres respectifs montrent bien ce que cette économie de survie a de précaire.

Un jour, un tout jeune adolescent marocain lui arrache son collier talisman. Puis c’est la bande d’enfants des rues dont il fait partie qui, vociférant en meute, va chercher appui auprès de Ramsès. C’est un mage, il peut retrouver leur frère, non ? Curieusement, oui. Guidé par on ne sait quelle intuition, Ramsès retrouvera le jeune garçon.

Aucune péripétie, pas même de récit au sens strict ici : Clément Cogitore saisit une durée compacte, où les événements s’enchaînent, se superposent, se croisent, sans explication. Le film possède une belle puissance d’évocation. Où vont les enfants du Royaume ?

Goutte d’or de Clément Cogitore, France, 1h38, 2023, avec Karim Leklou, Jawad Outouia, Elyess Dkhissi, Ahmed Benaïssa, Elsa Wolliaston, Malik Zidi, Yilin Yang, Loubna Abidar. Sortie le 1er mars 2023.

visuel : photo officielle du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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