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[Critique] “Numéro une” dans un monde d’hommes, par Tonie Marshall

[Critique] “Numéro une” dans un monde d’hommes, par Tonie Marshall

08 October 2017 | PAR Olivia Leboyer

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Tonie Marshall excelle à filmer les univers féminins (Vénus Beauté, France Boutique) : ici, elle décrit un monde construit par et pour les hommes, et dans lequel une femme tente de s’imposer. Toute seule, elle ne le pourra pas : féminisme, solidarité entre femmes, vieux réflexes machistes, Tonie Marshall s’attaque à un sujet important, avec un parti-pris de glamour et de légèreté. Cocktail surprenant, à découvrir dès le 11 octobre.

[rating=3]

Dans Vénus Beauté Institut, des femmes se groupaient, dans un petit cocon rose, véritable mundus muliebris, pour résister à la dureté du monde environnant, par la douceur et les soins. Ici, c’est une femme forte qui conquiert une place dans l’univers des entreprises du CAC 40, un monde d’hommes.

Emmanuelle Blachay (Emmanuelle Devos) a suivi des études d’ingénieure plus que brillantes et occupe une place de choix dans le comité exécutif d’une grande entreprise dans l’énergie. Cette position, elle estime qu’elle ne la doit qu’à elle-même : sa réussite tient à ses efforts, son mérite, son intelligence. Individualiste, consciente de sa valeur, Emmanuelle n’a pas l’habitude des groupes et ne se sent pas spécialement attirée par le combat féministe. Mais, un beau jour, un think tank féministe (présidé par les très élégantes Francine Bergé et Suzanne Clément) lui fait une proposition : l’aider à entrer dans le club très fermé du CAC 40. Dubitative, Emmanuelle hésite d’abord, avant d’accepter. Le film livre une réflexion intéressante sur les rapports entre l’individu et le groupe. Cette femme qui revendique son indépendance et sa force propres a du mal à se reconnaître dans les codes de la solidarité féminine.

Mais, face au machisme ambiant, elle doit bien reconnaître que la cause des femmes a un sens. En chef d’entreprise à la misogynie tranquille et affirmée, presque onctueuse, Richard Berry impressionne, tandis que Benjamin Biolay campe un opportuniste sans attaches très convaincant.

Rythmé comme un thriller, le film se regarde avec beaucoup de plaisir. Dommage que l’ambition d’Emmanuelle soit à ce point expliquée, sur un mode psychanalytique assez lourd : une petite fille peut devenir ambitieuse soit avoir, comme moteur, une mère morte noyée et une rivalité avec un père Dom Juan (Sami Frey, parfait de classe et d’ironie). Quelques clichés auraient pu être évités (le mufle Richard Berry qui pleure à l’opéra…). Belle, très chic (la garde-robe est encore un ton au-dessus de ce que portent les femmes de pouvoir, dans les affaires ou en politique), Emmanuelle Devos possède ce rayonnement naturel du pouvoir. Petit adage à méditer, livré par Benjamin Biolay : les hommes recherchent trois choses, le pouvoir, le sexe et l’argent ; en général, ils n’en possèdent jamais que deux sur les trois.

Signe que, dans cette quête de puissance, quelque chose ne tourne pas très rond.

Un film parfois maladroit, mais revigorant et très plaisant.

Numéro une, de Tonie Marshall, France, 1h50, avec Emmanuelle Devos, Suzanne Clément, Richard Berry, Sami Frey, Benjamin Biolay, Francine Bergé, Anne Azoulay, John Lynch. Sortie le 11 octobre 2017.

visuels: affiche, photo et bande annonce officielles du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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