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[Critique] “Afectados” (Rester debout) un documentaire fort qui rappelle la logique de déshumanisation de la crise

[Critique] “Afectados” (Rester debout) un documentaire fort qui rappelle la logique de déshumanisation de la crise

19 November 2016 | PAR Olivia Leboyer

afectados

Nous vous recommandons vivement ce documentaire espagnol, sobre et très humain, sur la crise économique et sociale. Ruinées par les banques, expropriées, de nombreuses personnes, laminées, poussées à la désespérance, se reconstruisent lentement une coquille, ensemble. Des témoignages forts, utiles. Le film est en salles depuis le 16 novembre, et mérite vraiment votre attention.

[rating=4]

Silvia Munt filme les effets de la crise, avec une économie de moyens. Juste des témoignages face caméra, des visages en plans serrés, les réunions d’échange. Jamais nous ne sortons de ces espaces clos, sinon pour quelques plans d’immeubles impersonnels, tristes. Ce qui s’est passé ? Des hommes et des femmes qui avaient une vie normale, avec un métier, un revenu, ont soudain tout perdu, leur salaire, puis leur toit. Poussés par les banques dans la spirale de l’endettement, ils se retrouvent démunis, au sens fort. « On avait confiance dans la banque. Ils jouent avec l’ignorance des gens et essaient d’augmenter encore la dette. » confie un homme dans la cinquantaine, qui a accepté sans réfléchir les offres de refinancement qui allaient le couler.

Les récits font entendre une détresse palpable. Les personnes acculées perdent jusqu’à leur colère. Peu à peu, elles en viennent à se sentir responsables de leur malheur, comme si elles n’avaient pas assez « bien fait » les choses. Qu’est-ce que j’ai raté ? Comment j’en suis arrivé là ? sont des questions qui reviennent souvent. Une femme, encore belle, nous dit qu’elle a perdu toute confiance en elle, et tout espoir : on fait souffrir ses proches (certains ont le sentiment d’avoir entraîné leurs parents dans leur chute), on s’enfonce et, petit à petit, on s’interdit de rêver ou d’être heureux, d’avoir une vie et des projets : « Tu deviens une personne triste. La peur s’immisce en toi. » Pour les femmes enceintes, en particulier, la perspective de devoir squatter un appartement appartenant aux banques est source d’inquiétudes.

Alors, par moments, nous assistons à de minuscules épiphanies, lorsqu’une victoire est remportée : une dation retrouvée, une expulsion annulée. Grâce à l’action collective. Si les angoisses restent tues, confinées entre quatre murs, tout est perdu. Les séances de réunion nous montrent un tas de gens apeurés, repliés, honteux qui, soudain, osent se livrer et échanger. Le sens du vivre ensemble, de l’entraide rayonne, par instants. « Maintenant, on sait comment survivre. On sait ce que l’on est : des personnes. Et des personnes peuvent s’entraider. »

Dans la lignée du I, Daniel Blake de Ken Loach, ou du glaçant 99 homes de Ramin Bahrani (vainqueur du Festival de Deauville 2015, présidé par benoît Jacquot et sorti seulement en DVD en raison du thème peu vendeur!), ce documentaire nous rappelle l’importance des liens humains. Aimer un peu plus les gens, ce n’est pas encore le grand soir mais, si c’est tout ce qui nous reste, c’est déjà précieux.

Afectados (Rester debout), de Silvia Munt, 1h22. Sortie le 16 novembre 2016.

visuels: affiche et photo officielles du film.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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