[Critique] « American Sniper » avec Bradley Cooper. Un très bon Clint Eastwood filmant la déshumanisation d’un héros de guerre
American Sniper est un film fort, ambivalent et complexe sur la figure d’un héros de guerre déshumanisé. Prenant ses distances avec le patriotisme béat dans lequel il aurait pu se vautrer, Clint Eastwood signe au contraire un drame humain bouleversant tenu par l’interprétation sans faille de Bradley Cooper. Du très bon cinéma.
[rating=4]
Synopsis officiel: Tireur d’élite des Navy SEAL, Chris Kyle est envoyé en Irak dans un seul but : protéger ses camarades. Sa précision chirurgicale sauve d’innombrables vies humaines sur le champ de bataille et, tandis que les récits de ses exploits se multiplient, il décroche le surnom de “La Légende”. Cependant, sa réputation se propage au-delà des lignes ennemies, si bien que sa tête est mise à prix et qu’il devient une cible privilégiée des insurgés. Malgré le danger, et l’angoisse dans laquelle vit sa famille, Chris participe à quatre batailles décisives parmi les plus terribles de la guerre en Irak, s’imposant ainsi comme l’incarnation vivante de la devise des SEAL : “Pas de quartier !” Mais en rentrant au pays, Chris prend conscience qu’il ne parvient pas à retrouver une vie normale.
Clint Eastwood est peut être le cinéaste américain le plus populaire en France, aux côtés de David Fincher et Woody Allen. Il avait connu son premier échec depuis des lustres avec un biopic musical un peu fade (Jersey Boys) mais revient ici à ce qu’il sait faire de mieux. Une mise en scène classieuse et percutante, un acteur au sommet, et son éternelle interrogation sur la figure du héros. L’ambition est d’abord cinématographique: comment réinventer la manière de filmer la guerre ? L’excellent Fury avec Brad Pitt embarquait une caméra intimiste à bord d’un tank, quelques semaines avant la fin de la 2nde guerre mondiale, pour suivre un groupe de soldats en huit- clos. American Sniper se pose lui au plus près d’un homme qui voit la guerre et combat à distance, tue de loin, à travers la lunette de son viseur. Dans une guerre moderne où les ennemis sont mobiles, entraînés, utilisant à merveille les recoins de villes à moitié détruites. Clint Eastwood s’inspire d’une histoire vraie pour interroger la figure du héros malgré lui et la déshumanisation d’un soldat. En gardant la distance nécessaire qui permettra à un Républicain d’y voir un grand film patriote et à un Démocrate d’y trouver un manifeste sur les ravages d’une guerre inutile.
Le scénario fait lentement évoluer le film vers l’ambivalence et la complexité. La figure du cow-boy texan, pétri de bonnes valeurs, de religion et de patriotisme est introduite de manière volontairement caricaturale. Tout comme son entrainement militaire et ses discours va-t-en-guerre simplistes. Les choses se compliquent en foulant le sol irakien et en se confrontant à la réalité de dilemmes insolubles. Impliquant notamment de tirer sur des enfants, de faire le “bon choix” et d’avoir la responsabilité de la mort de ses camarades sur les épaules. Bradley Cooper ne s’est pas seulement transformé physiquement. Il apporte une vraie profondeur à ce personnage qui aurait pu n’être qu’un agité de la gâchette parmi d’autres, en un peu plus doué. Le héros s’emmure de plus en plus dans le silence, se rassure sans trop y croire en s’accrochant à des phrases toutes faites sur la protection des Etats-Unis contre les “bad guys”. Mais la pression s’intensifie. Et une incroyable scène de combat rapproché en pleine tempête de sable l’emmènera vers l’acceptation. De sa propre peur, de son épuisement et des mauvaises raisons qui le poussent à rester. La fausse polémique entourant la sortie ne résiste pas à longtemps au visionnage du film. Clint Eastwood parle de la guerre moderne plus que de la guerre en Irak. Ne développe pas les personnages autochtones car sa caméra suit uniquement son héros, de tous les plans. Et fait surtout très attention à laisser les interprétations ouvertes.
On n’avait rarement aussi bien filmé le poids écrasant de la culpabilité refoulée, la difficulté de rentrer chez soi et de retourner à la vie normale, de se débarrasser des images, des situations et des sons du champ de bataille qui hantent en permanence. Les images du générique, très “main sur le cœur et sur le drapeau” sont vite oubliées. Car Eastwood signe une nouvelle fois un très bon film, qui assume son ambivalence politique et s’attache surtout à l’humain.
American Sniper, un film de guerre de Clint Eastwood avec Bradley Cooper, durée 2H15, sortie le 18/02/2015
Bande-annonce et visuels officiels.