A l'affiche
[Compétition] “Mommy”, Xavier Dolan cadre son Oedipe dans un film parfaitement génial

[Compétition] “Mommy”, Xavier Dolan cadre son Oedipe dans un film parfaitement génial

22 May 2014 | PAR Yaël Hirsch

On vient à peine de se remettre de Tom à la Ferme, sorti en salles au mois d’avril qu’on rempile à Cannes pour un nouveau film du prolifique et créatif réalisateur canadien Xavier Dolan. Après avoir bluffé la quinzaine, il y a deux ans, avec Laurence Anyways, le plus jeune réalisateur de la sélection officielle (25 ans!) revient au thème de J’ai tué ma mère, les relations mère-fils, et réinvite Suzanne Clément et Anne Dorval à représenter ce lien. Dans un Mommy aux couleurs rougeoyantes, il révèle le charisme de Antoine Olivier Pilon et parvient à faire un film qu’il appelle « moins latin », c’est-à-dire plus cadré et concentré. Pour un effet encore plus fort que dans ses derniers films ! Dolan confirme son génie dans une œuvre profonde et profondément originale. Un des films les plus enthousiasmants de cette compétition officielle.

[rating=5]

Dans un futur québécois proche, où il est possible de donner les pleins pouvoirs à l’univers psychiatrique sur des mineurs fragiles, une veuve sensuelle et au parler truculent (Anne Dorval magnifiée par les tenues excentriques que lui attribue Dolan) récupère son fils maladivement hyperactif et violent, après qu’il a défiguré un de ses camarades dans une institution spécialisée. « Winneuse » par essence, cette mère courage (qui se pose comme ado immature, mais est en fait une éducatrice de talent) renonce à tout et organise une vie à la fois bourgeoisement pavillonnaire et excentrique au quotidien pour vivre au mieux avec ce fils charismatique, Steve (Antoine Olivier Pilon). Elle est aidée dans sa quête par une voisine un peu bègue et très calme, la placide Kyla (Suzanne Clément).

Faisant écho à son film J’ai tué ma mère, mais en même temps totalement différent, Mommy est une ode à LA mère dans un monde où le quotidien est magnifié par une musique des années 1990 et le génie des personnages pour être toujours gagnants de la morosité. Un beau repas et la banlieue se transforme en Versailles, un tour en longskate et le format 1 :1 qui cadre les portraits au cœur de l’écran, s’élargit aux sons du Wonderwall d’Oasis pour laisser place à la pure joie de vivre.

Se renouvelant sans cesse, Dolan propose une version doublement originale de l’Oedipe : c’est le point de vue de la mère qu’on sonde, et ce, dans le contexte d’un triangle où le père est absent : c’est l’étrangère qui apporte savoir, extériorité et stabilité pour cadrer l’amour inconditionnel de la mère au fils charismatique et dangereux.

Visuellement, donc, et par l’unité limpide de l’action, Dolan cadre ces sentiments viscéraux et bouleversants d’une mère prête à tout sacrifier pour élever son fils, pour gagner, malgré tout. Un film réellement « métaphysique » qui se pose dans les yeux et les corps des spectateurs en plusieurs couches, en commençant par les couleurs rousses et la musique et en se muant peu à peu à une représentation pure et parfaite de l’amour le plus originel. Magistral !

« Mais s’il est un sujet que je connaisse sous toutes ses coutures, qui m’inspire inconditionnellement, et que j’aime par-dessus tout, c’est bien ma mère. Quand je dis ma mère, je pense que je veux dire LA mère en général, sa figure, son rôle. Car c’est à elle que je reviens toujours. C’est elle que je veux voir gagner la bataille, elle à qui je veux écrire des problèmes pour qu’elle ait toute la gloire de les régler, elle à travers qui je me pose des questions, elle qui criera quand nous nous taisons, qui aura raison quand nous avons tort, c’est elle, quoi qu’on fasse, qui aura le dernier mot, dans ma vie ». Xavier Dolan.

Mummy, de Xavier Dolan, avec Anne Dorval, Antoine-Olivier Pilon, Suzanne Clément, Canada, France, 2h14. En compétition.

visuel : photo officielle du film

Cannes, Jour 8 : le mélodrame d’Hazanavicius, l’humour de Dumont, le buzz Godard et le génie Dolan
Tancredi au Théâtre des Champs-Elysées : à voir les yeux grands fermés
Avatar photo
Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration