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Avec The Fabelmans, Spielberg raconte les débuts de Spielberg

Avec The Fabelmans, Spielberg raconte les débuts de Spielberg

25 January 2023 | PAR Yohan Haddad

Un an après sa réactualisation de West Side Story, le toujours plus fructueux Steven Spielberg revient derrière la caméra pour nous conter l’histoire de son enfance, à travers un nouveau film bouleversant qui puise pour la première fois dans son histoire personnelle.

Féerie personnelle

Comme dans tout film de Steven Spielberg, l’animation de son studio Amblin, qui apparaît avant le générique, fait office de porte d’entrée dans un monde féerique, avec son vélo provenant directement de l’univers d’E.T, représentation majeure du cinéaste depuis les années 1980. Pourtant, force est de constater qu’après une simple annonce du titre, le film nous propose d’entrer cette fois-ci dans un univers qui nous semble familier, loin de la féerie Spielbergienne. Exit les dinosaures, les extraterrestres, les requins, où encore l’animation. Pour la première fois depuis La Liste de Schindler, Steven Spielberg s’attaque à un véritable projet personnel, en racontant pour la première fois son histoire à travers le prisme de sa découverte du cinéma au début des années 1950 jusqu’au milieu des années 1960, décennie fatidique qui le verra rejoindre le monde de la télévision, où il réalisera quelques années plus tard des épisodes de séries télévisées.

Mais n’allons pas trop loin : durant les 2h30 qui composent The Fabelmans, dont le titre fait référence au nom de famille des personnages, Spielberg raconte l’enfant qui est encore en lui en se concentrant sur plusieurs moments clés qui ont défini sa cinéphile, à savoir sa découverte, lorsqu’il était très jeune, de Sous le Plus Grand Chapiteau du Monde, blockbuster aux accents épiques des années 1950 réalisé par Cecil B. DeMille, alors maître en la matière. Cette découverte va alors changer la perspective du jeune Sammy, qui mettra tout en oeuvre pour reproduire cet accident de voiture à l’aide de jouets achetés par ses parents. Après un saut temporel de plusieurs années, que le cinéaste ne justifie pas par une annonce de date, Sammy use désormais de sa caméra Super 8 pour réaliser ses propres projets avec le groupe de scouts dont il fait partie, empreint de cette même passion. D’après les dires de Spielberg lui-même, il aurait essayé de récréer image par image les films de son adolescence, sans pouvoir s’empêcher d’améliorer toutefois certains mouvements, dans une véritable dynamique d’auteur. C’est d’ailleurs la première fois depuis A.I. Intelligence Artificielle, en 2001, que Spielberg est crédité en tant que co-scénariste de l’un de ses propres films. Quoi qu’il en soit, l’ambition de The Fabelmans est bien celle de raconter une mémoire de cinéphile, pas seulement celle des films vus, mais plus spécifiquement celle des films conçus, là où les images du passé ressurgissent pour graver les souvenirs d’un homme. Plus que ça, d’une personnalité atypique qui s’est toujours épanoui dans la fantaisie d’une époque et d’un monde qu’il n’a pas connu, façonnant dans le même temps le cinéma tel qu’on le connaît aujourd’hui.

La famille, la famille

Si The Fabelmans est bien un film sur la découverte du cinéma sous sa forme théorique et pratique, il s’agit avant tout d’un film sur la famille, et pas n’importe laquelle. À travers une mécanique Spielbergienne brillamment huilée, le cinéaste nous propose en début de film une fable idéale sur la famille, avec des parents parfaits qui traînent ses enfants au cinéma, se sacrifient pour leur offrir des cadeaux onéreux, tout en donnant un amour véritable propre à certaines valeurs juives. Cette idée est visible dans  cette séquence au début du film, où quand l’enfant demande pourquoi il n’y a pas de guirlandes de Noël sur leur maison, le père répond que la lumière apparaît « 8 fois en une semaine chez eux », expliquant avec malice le principe de Hanukkah aux spectateurs. La religion prend une place étonnante dans le film, sans toutefois accaparer l’espace de la narration, apparaissant à petites touches pour montrer l’appartenance de Spielberg à une communauté qu’il note comme enjouée, comme l’illustre ces séquences familiales avec la présence des grands-mères à table. Pourtant, l’idéal Spielbergien se casse la figure dans la seconde partie du film. Le cinéaste déconstruit avec brio 40 ans de cinéma en revenant à la brutalité de son monde. En choisissant de montrer l’égarement de ses parents, qui passe par la liaison de sa mère avec le meilleur ami du père, Spielberg réussit à émouvoir en montrant qu’en grandissant, les parents ne sont pas si parfaits, et que le symbole judaïque de la mère, modèle idéaliste, peut s’écrouler à tout moment. À travers une performance brillante de Paul Dano et Michelle Williams, qui réussissent à nous émouvoir sans pathos, le film réussit à retranscrire avec fidélité l’esprit d’une époque, et d’une famille qui pourrait également exister aujourd’hui, dans une ère où le travail nécessite des bouleversements, comme c’est le cas de la famille au sein du film, qui est obligé de suivre le parcours professionnel du père.

Au gré des bouleversements familiaux, le film réussit toujours à rester réaliste au travers de petites touches qui nous ramènent à la réalité, à travers la dépression de la mère, où encore avec les choix moraux du père, illustré comme une figure (presque) parfaite par Spielberg. Le film brille justement par cette thématique, montrant un cinéaste plus lucide que jamais sur qui il est vraiment, et sur ce qui a fait de lui ce qu’il est devenu, sans jamais verser dans le cliché, à l’image de James Gray et de son Armageddon Time, qui propose également une vision réaliste de parents pouvant se montrer très durs avec l’enfant. Toutefois, il est important de noter que Spielberg ne perd jamais ses tics de mise en scène, à travers ces gros plans sur ses figures d’inspirations, à savoir son oncle Boris, où encore sa première copine, qui bénéficient de ces plans afin de montrer l’importance qu’ils ont eu dans la vie du cinéaste.

Qu’en est-il du cinéma (et du cinéaste) ?

C’est bien la question qui habite le film, où en traitant la place du septième art dans son début de vie, Steven Spielberg interroge également la place du cinéma au fil des années. En témoigne ces plans de salles pleines au début, ou moins pleine durant la projection de L’Homme qui Tua Liberty Valence de John Ford, séquence d’apparence anecdotique qui devient programmatique à la fin du film, où lors d’une scène absolument savoureuse, justifiée par un mouvement panoramique de toute beauté, le jeune Sammy rencontre un John Ford incarné par un David Lynch en grande forme, où quand un immense cinéaste interprète « le plus grand cinéaste de tout les temps », selon le producteur TV qui accompagne le jeune Sammy dans le bureau de Ford.

Car si The Fabelmans est bel et bien un film sur la famille, il s’agit surtout d’un récit initiatique d’émancipation, où comme Frédéric Moreau dans L’Éducation Sentimentale de Flaubert, qui monte sur Paris pour réussir, la montée du jeune Sammy Fabelman sur Los Angeles paraît inévitable pour se faire un nom dans cette industrie cinématographique hollywoodienne des années 1960. Au travers d’une photographie transcendante de Janusz Kami?ski, où les teintes bleutées de la maison familiale jouent sur la nostalgie, et où le soleil de l’Arizona fait office de contraste avec les malheurs familiaux, Spielberg s’observe dans le prisme de sa caméra, en donnant à voir qui il est vraiment, dans un geste d’une lucidité étonnante, surcôtant (peut-être ?) ses performances en tant que jeune cinéaste, comme lorsqu’il monte ce film de plage pour un lycée aux tendances catholiques, dont il est la cible d’insultes antisémites. Ce passage à vide est également le symbole de sa rencontre avec une première copine qui tente de l’initier à Jésus Christ au travers de plusieurs séquences hilarantes, qui remettent la place de la religion sur la table.

Au bout du compte, The Fabelmans s’impose comme l’un des meilleurs films de Steven Spielberg, peut-être le plus abouti depuis le début du 21ème siècle, plongeant pour la première fois dans son histoire personnelle avec une lucidité étonnante mais non pas moins formidable, où les traces de son cinéma, impeccables techniquement et toujours empli de cette idéalisme qui a façonné sa carrière, bouleversent plus que jamais. Il lui aura fallu 40 ans de carrière pour se plonger dans son passé, mais 40 ans bien justifiés, tant The Fabelmans apparaît désormais comme l’une de ses oeuvres majeures. La famille et le cinéma, pour toujours.

Visuel : © Storyteller Distribution Co., LLC. All Rights Reserved.

 

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Yohan Haddad

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