A l'affiche
ACID : “Nome”, croyances et mutations dans la Guinée-Bissau de 1969

ACID : “Nome”, croyances et mutations dans la Guinée-Bissau de 1969

19 May 2023 | PAR Olivia Leboyer

Sana Na N’Hada livre une fresque historique ample et romanesque, où les temporalités s’entremêlent. Que reste-t-il des croyances ancestrales dans un pays en mutation ? Que reste-t-il des révolutions, lorsqu’elles trahissent leurs idéaux ? Un film puissant et inspiré.

Le film s’ouvre sur une scène d’enterrement : un petit garçon, Raci, doit sauter par-dessus le corps de son père. Puis, il est envoyé dans la forêt sacrée pour fabriquer un tobomlon. Le rite d’initiation demande du temps, de la patience, un accord avec la nature. Nous sommes en 1969, et la guerre pour l’indépendance de la Guinée-Bissau fait rage depuis 1956.

Dans ce petit village, un jeune homme, Nome, se distingue naturellement par son courage, son intelligence. Il s’appelle Nome, qui signifie homonyme. “J’ai le même nom que“, dit-il en souriant. Mais le même nom que qui ? C’est son oncle qui l’a baptisé ainsi. Alors, à qui, à quoi va-t-il s’attacher ? Lorsque la belle Nambu est envoyée au village, il en tombe amoureux. Mais sa soif de liberté, son désir d’accomplissement vont le mener ailleurs, vers les guérilleros du PAIG, en lutte contre les Portugais.

Abandonnée, enceinte, Nambu va vivre des épreuves terribles. Nome, de son côté, se révèle dans l’action. Mais pour quelle finalité ? Sana Na N’Hada entremêle les temporalités : entre l’immobilité du ciel et de la forêt et les soubresauts de l’Histoire, le rythme change radicalement. Nome s’est-il coupé de ses racines ? La liberté qu’il vise ne risque-t-elle pas de l’asservir ?

Le récit s’articule souplement, entre film de guerre – avec des images d’archives tournées par Sana Na N’Hada – conte merveilleux, basculant par moments dans le fantastique. Romanesque, l’histoire individuelle se heurte à la grande histoire, qui bouleverse l’écosystème du petit village. Paysan, puis guerrier, Nome s’adapte à tout, en caméléon. Nous le retrouvons en costume et pince à cravate, feignant de parler le français. À l’aise dans le domaine de la corruption. Qu’a-t-il gagné ? Qu’a-t-il perdu ? de quoi se souvient-il encore ? Quel nom portent les choses lorsqu’elles changent ?

Dans les plus belles séquences du film, un esprit de la forêt apparaît légèrement translucide. Il parle, déplace des objets, prend ou rend la vie. Ses paroles ne concluent pas, mais interrogent : “Est-ce là trop de bonheur pour la Guinée ?“.

Nome de Sana Na N’Hada, Guinée-Bissau, France, Portugal, Anogola 1h52, 2023. Sélection ACID, Cannes 2023.

visuels : photo officielle du film ©

“Frère” interroge notre rapport au pardon
“Sublime” jolie petite histoire au masculin
Avatar photo
Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration