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[Interview] Thierry Klifa, réalisateur et metteur en scène hyperactif

[Interview] Thierry Klifa, réalisateur et metteur en scène hyperactif

28 November 2016 | PAR Ophelie Masson

Thierry Klifa, est réalisateur, mais également metteur en scène depuis 2011. Une carrière artistique démarrée sur le tard pour cet ancien journaliste, fasciné depuis toujours par les actrices. Il nous accueille dans les bureaux des Films du Kiosque, qui produit son prochain film Tout nous sépare, prévu pour la rentrée prochaine. Rencontre.

Pouvez-vous nous expliquer de quoi parle le film que vous êtes en train de monter ?
Je suis en train de monter Tout nous sépare, dans lequel jouent Catherine Deneuve, Diane Kruger, Nicolas Duvauchelle et Nekfeu notamment.
C’est un film noir, une sorte de polar qui se passe à Sète, de nos jours, et c’est l’histoire de deux mondes qui n’auraient jamais pu se rencontrer. Deux garçons décidés et deux femmes bourgeoises, une mère et une fille. Et ces deux mondes vont être amenés à se rencontrer à travers une disparition, un chantage. Ça nous amusait de rassembler un peu tous les codes du film noir des années 1950 américain, et de les adapter au monde d’aujourd’hui notamment à travers un personnage de femme, interprété par Catherine Deneuve, un personnage qui pourrait être comme ceux interprétés par Barbara Steinwick ou John Crowford dans les années 1950.

Vous aimez les personnages de femmes fortes ?
J’aime les personnages de femmes et souvent par rapport aux actrices que je choisis et que j’aime. Je pars souvent des personnages pour écrire mes histoires, et qui dit personnages, dit actrices ou acteurs. Je pense souvent à des acteurs ou actrices avant de démarrer une histoire. Et c’est vrai que les actrices qui m’inspirent le plus ont souvent cette image de femmes fortes.

Qu’est-ce qui vous attire tant chez elles ? Qu’est-ce qui vous donne envie de travailler avec ces personnes là, avec ces femmes-là ?
Je pense que mon amour du cinéma est né avec mon amour des actrices. Et ça depuis que je suis très petit, très jeune. J’ai vu, comme beaucoup d’enfants, Peau d’Âne, et je suis tombé fou amoureux de Catherine Deneuve. Je donc suivi son parcours dans d’autres films, d’autres univers. Elle a été au centre de tout ce qui s’est fait de plus passionnant dans le cinéma européen depuis des décennies, donc ce sont les actrices qui souvent m’ont amené aux réalisateurs. Je suis tombé amoureux d’actrices comme Catherine Deneuve, Danielle Darrieux Fanny Ardant ou Nathalie Baye, qui ont tourné avec les plus grands metteurs en scène. Et forcément quand on commence à s’engager dans un film avec Catherine Deneuve on tombe sur Luis Buñuel, Truffaut, Robert Aldrich, tous ces gens passionnants qu’elle a rencontré. Ma cinéphilie est née de cette envie de suivre des actrices que j’aimais.

Il y a une forme de fascination finalement ?
Au départ c’était de la fascination, après ça a été davantage de la cinéphilie et mon amour du cinéma est indissociable de l’amour que j’ai pour les actrices et aussi pour les acteurs. Mais ce n’est pas de l’idolâtrie, je les aime dans des rôles, dans des films, je ne les aime pas uniquement parce qu’elles font des couvertures de magazine ou uniquement parce que je les trouve belles. C’est beaucoup plus profond que ça. La possibilité de pouvoir travailler avec des gens qu’on admire, c’est une opportunité et une chance inestimables.

J’aimerais qu’on revienne un peu sur votre parcours avant le cinéma. Vous avez été journaliste avant ?
Mais c’était déjà du cinéma finalement. Je suis rentré très jeune à Studio Magazine et j’ai adoré être journaliste de cinéma, j’ai fait ça pendant plus de dix ans. Mais à 22 ans je voulais déjà faire du cinéma, je voulais déjà écrire des histoires, mais je n’aurais jamais été capable à cette époque de diriger un film, de mener un plateau. J’étais beaucoup trop timide et réservé, je n’était pas « fini ». Studio Magazine, ça a été l’apprentissage de ce métier mais plus largement l’apprentissage de la vie. Et je me suis très vite focalisé sur le cinéma français, même si j’ai toujours aimé le cinéma européen et américain. Mais c’est parce que ça me permettait d’entretenir des liens avec des gens que j’aimais et que j’admirais et ça m’a permis de passer du temps sur les plateaux de cinéma et de pouvoir observer des grands réalisateurs au travail. Quand on est journaliste de cinéma, sur un plateau on n’a rien d’autre à faire que d’observer et surtout de se faire oublier. Donc j’étais dans mon petit coin et quand j’ai fait mon court-métrage des années après (Emilie est partie en 2001), je me suis rendu compte de tout ce que j’avais appris à mon insu. Et la familiarité que j’avais avec un plateau de cinéma, qui peut être un endroit un peu hostile au premier abord parce qu’il y a des codes, il y a des choses qu’il faut savoir.

C’est après avoir eu le sentiment que vous aviez accumulé suffisamment de connaissances que vous vous êtes dit que c’était votre tour, que vous étiez prêt pour vous lancer ?
Je ne pense pas qu’on se formule les choses ainsi, puisqu’on n’est jamais vraiment prêt. J’ai écrit un premier court-métrage et des personnes ont bien voulu le produire. C’est drôle parce qu’on fait l’interview aujourd’hui dans l’endroit même où j’ai préparé ce court-métrage. Je n’aurais jamais pensé revenir ici, aux Films du Kiosque. Fanny Ardant dit qu’il faut faire ce métier avec la certitude des fous, c’est vrai qu’il y a une folie dans le fait de se dire : « je quitte mon métier et je me lance ». Mais le fait d’être prêt, ça on ne le sait qu’une fois que le film est fini, qu’on voit s’il plaît ou non. Mais est-on jamais prêt ?

En tout cas ça s’est suffisamment bien passé avec ce premier court-métrage Emilie est partie, pour vous donner envie de continuer ?
Le fait que le court-métrage ait été très bien accueilli m’a permis de continuer avec un scénario que j’avais commencé à écrire depuis quelques années avec Christopher Thompson et qui a plu aux producteurs. Une vie à t’attendre a aussi été un succès puisqu’il a fait plus d’un million d’entrées.

Dans Le héros de la famille, c’est l’histoire d’une famille qui s’aime mais qui s’engueule, il y a quelque chose entre ces personnalités qui ne fonctionne pas. Est-ce que ça vous rappelle vos dimanche en famille ?
Je pense qu’il y a des névroses, des non-dits ou des “trop-dits” dans toutes les familles, et puis ça explose parfois. D’ailleurs il vaut mieux que ça explose tant que les gens sont vivants. Bien sûr qu’avec Christopher Thompson on s’est inspirés de nos vies ou de ce qu’on a pu observer autour de nous. Mais c’est souvent ce qu’on fait, on s’inspire de ce qu’on a vu, de ce qu’on a su “digérer” ou pas. Au-delà du milieu du cabaret puisque ma famille n’a rien à voir avec ça, c’est un univers baroque et beaucoup basé sur les apparences.

Le thème de cette famille qui se déchire, c’est assez récurrent dans vos films finalement ?
Oui, parce que je crois c’est un peu ça la vie. Claude Sautet disait que les gens heureux n’ont pas d’histoire, donc il faut toujours chercher un peu de chagrin dans sa propre existence pour faire naitre des situations. On puise davantage dans ses conflits, ses névroses ou ses chagrins que dans ses joies en général. C’est quelque chose qui est un moteur pour moi. Même si je n’aime pas être malheureux !

Qu’est-ce qui vous a amené au théâtre, depuis 2011 ?
C’est avant tout un texte, L’année de la pensée magique de Joan Didion, un texte absolument sublime sur le deuil. Comment on y survit, comment on y fait face. C’est un texte qui est arrivé pile au moment où moi-même je faisais face à un deuil terrible, qui était très dur et très compliqué. C’était un roman au départ, dont Joan Didion a fait une pièce qui s’est jouée à Broadway et à Londres, joué par Vanessa Redgrave. Quand j’ai su ça, je me suis dit que ça devait absolument se jouer en France. Ca a été compliqué d’avoir les droits car c’est un texte très personnel pour l’auteure donc elle ne voulait pas le confier à n’importe qui. C’est véritablement avec l’envie de faire entendre et connaître ce texte en France que je me suis lancé dans cette aventure théâtrale. J’ai proposé le rôle à Fanny Ardant qui a accepté dès le lendemain. On s’est jetés là-dedans en se demandant qui viendrait voir cette pièce qui parle de deuil et de résilience, pleine d’humour noir. Et ça a cartonné, les gens étaient très émus. C’est là qu’a commencée mon aventure théâtrale, qui est intimement liée à Fanny Ardant puisqu’après on a toujours gardé des liens de confiance et d’amitié. Elle souhaitait travailler avec Nicolas Duvauchelle, un ami proche avec qui j’avais fait un film, et j’ai trouvé cette pièce de Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres. Une fois de plus, ca s’est très bien passé. Et puis Fanny Ardant a voulu se tourner vers la comédie, un rôle qui la replonge dans sa jeunesse. Je suis tombé sur Croque-Monsieur, en sachant que ce serait quelque chose de nouveau pour elle, et là aussi ça fonctionne. Mon envie de théâtre est intimement liée à notre collaboration.

Quels sont vos projets pour l’avenir ? Racontez-nous.
Pour l’instant il s’agit de finir cette pièce, et de poursuivre en parallèle le montage de Tout nous sépare. Après j’ai des envies et de projets de pièces et de films. Il est un peu trop tôt pour en parler, mais les idées sont là, dans le théâtre comme le cinéma. C’est formidable de pouvoir faire les deux. Quand j’ai terminé le tournage de Tout nous sépare, j’ai enchaîné avec les répétitions de Croque-Monsieur et ça m’a aidé d’avoir fait ce film avant. Et quand est ensuite venue l’heure du montage, mon expérience au théâtre m’a aussi aidée à prendre du recul sur les images.

Si vous étiez un style de musique…
Une musique de film
Une chanson…
Ton héritage, de Benjamin Biolay
Un objet…
Un DVD, celui de Il était une fois en Amérique
Un lieu…
La place Maubert à Paris
Un livre…
Un livre de Tchekhov, enfin tout de lui, l’intégrale. Ou A la recherche du temps perdu
Un héro ou une héroïne…
Belle de jour [interprétée par Catherine Deneuve]

Filmographie
Tout nous sépare : prévu pour la rentrée 2017
Les Yeux de sa mère, 2010
Le héros de la famille, 2006
Une vie à t’attendre 2003
Emilie est partie, 2001

Visuel: Youtube – Le Grand Eicar Webzine

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Ophelie Masson

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