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18 Jours : un parcours saisissant au sein du printemps égyptien

18 Jours : un parcours saisissant au sein du printemps égyptien

20 July 2011 | PAR Morgane Giuliani

10 réalisateurs égyptiens ont fait le pari de raconter la révolution qui a soulevé l’Egypte durant 18 jours en janvier dernier, ayant soufflé le Président Moubarak du pouvoir. Un pari réussi, nourri de 10 histoires singulières apportant chacune leur pierre à cet édifice audacieux et passionnant. Présenté comme “le premier film du printemps arabe”, il a fait sensation au dernier Festival de Cannes.

Chacun de ces courts-métrages est comme une perle enfilée sur le fil de l’Histoire. Une fois disposées les unes à côté des autres, et le fil clôt par un solide noeud, on obtient une présentation éclectique, mais réaliste au possible de ce que fut le printemps égyptien. L’intelligence de ce procédé est qu’il permet d’aborder cet évènement majeur de différents points de vue, plus ou moins riches de faits, mais toujours empreints d’authenticité. Aussi, on est touchés par “Tahrir 2/2” (Mariam Abou Ouf), racontant la peur d’une jeune épouse alors que son mari ne rentre pas des manifestations place Tahrir, et que les médias ne cessent de rapporter la montée des violences.

Ces 10 histoires sont également à voir comme entrecroisées, liant ensemble un peuple composite, occidentalisé ou pas, qui finit par s’unir contre un même homme, symbole d’une vie devenue invivable. Aussi, on s’émeut devant “Intérieur/Extérieur” (Yousry Nasrallah) dans laquelle Mona, jeune Egyptienne aisée, échappe à la surveillance de son petit ami inconscient des enjeux en cours pour aller rejoindre la foule, se perdre dans les protestations, et penser que l’instant d’avant, elle était prisonnière, et à présent, libre, priant Dieu que ce sentiment demeure. Fil conducteur de cet assemblage : la figure de Dieu, que l’on retrouve semée un peu partout, que ce soit par la prière pour son salut (“Liberté” de Marwan Hamed), ou simplement au détour d’une phrase (“Couvre-Feu” de Sherif El Bendari).

Certains courts-métrages font l’audace du rire, comme “Quand Le Déluge Survient” (Mohamed Aly), donnant la révolution à voir par le prisme du commerce, et dont l’un des personnages, un vieux commerçant aguerri, prête à sourire par son sens des affaires imperturbable. On se plait aussi à suivre les tourments intérieurs d’un jeune couturier barricadé dans sa boutique (“Les Gâteaux de la Révolution” de Khaled Marei), faisant mille hypothèses sur l’agitation régnant au-dehors, et pesant soigneusement le pour et le contre de sa possible sortie, retournant sa veste au gré de ses humeurs.

La révolution est ainsi racontée dans toutes ses dimensions : on assiste avec effroi à l’interrogatoire plus que musclé d’un militant (“Liberté“), tandis que le portrait d’une jeune femme partagée entre passé et présent, se retrouvant malgré elle au coeur des manifestations (“Création de Dieu” de Kamla Abopu Zikri), on s’exaspère avec les personnages devant l’absurdité des règles de sécurité poussée à bout (“Couvre-Feu“), ou encore, on observe avec admiration un coiffeur s’improvisant médecin (“Achraf Seberko” de Ahmad Alaa).

Sentiment qui parcourt les différents courts-métrages :  la surprise avec laquelle les personnages comprennent qu’il s’agit plus que d’une simple petite manifestation sans conséquence. On sent également un profond amour pour l’Egypte, qu’il soit scandé dans “Achraf Seberko” ou plus long à être avoué dans le passionnant “Fenêtre” (Ahmad Abdallah). Sans aucun dialogue, on y suit la vie morne d’un jeune égyptien occidentalisé (posters des Simpsons et Mario Bros couvrant les murs). Réveillé au son de la messagerie MSN, il suit sur Internet le déroulement des manifestations, fumant cigarette sur cigarette, semblant vivre coupé de la réalité. Si le titre est au singulier, la “fenêtre” est ici présentée comme un concept. Non plus simplement objet matériel, mais virtuel grâce à Internet. C’est via ces deux supports qu’il va se passionner pour l’extérieur et quitter son confort pour rejoindre la rue.

La richesse de cet assemblage est enfin la diversité des mises en scène, rompant avec l’ennui qu’un seul long-métrage aurait pu causer. Cela va d’une mise en scène théâtrale pour le premier court-métrage sur un asile laissé à l’abandon pendant les manifestations (un décor neutre, des accessoires déroutants comme une corde séparant l’un des personnages des autres), à une ambiance digne d’un thriller des plus angoissant pour “Liberté” (couleurs sombres, personnages dans une grande pièce sale, alternance de gros plans et vues d’ensemble). Mais le plus saisissant demeure “Création de Dieu” où Kamila Abou Zikri fait le pari réussi de brouiller la frontière entre réel et fiction, alternant images de médias et scènes tournées, revenant-même sur des lieux stratégiques, nous donnant au final l’impression de plonger au coeur des manifestations.

Ainsi, 18 Jours, par son enfilade de petites histoires tour à tour tristes ou amusantes, permet un tour d’horizon passionnant des révoltes égyptiennes, et rend avant tout hommage au courage du peuple égyptien. Un beau film parfois dur, mais toujours juste, ouvrant les yeux sur la complexité d’un évènement déjà historique.

Sortie le 7 septembre.

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Morgane Giuliani

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