Arts
Trans-figurations. Mythologies indonésiennes

Trans-figurations. Mythologies indonésiennes

20 June 2011 | PAR Justine Hallard

Et au milieu coule une rizière. L’Indonésie, ce pays « de Terres et d’Eau », comme le nomme eux-mêmes ses habitants, Tanah Air.
C’est à ces dix-sept mille îles, qui s’égrènent le long de l’équateur, que l’Espace culturel Louis Vuitton rendra hommage en ses murs à partir du 24 juin. Et plus particulièrement à la bouillonnante pépinière de la création contemporaine : la cité de Yogyakarta, au cœur de l’île de Java.

Yogyakarta.
Berceau de la culture javanaise, vibrante, face à la mer dont les entrailles tremblent si souvent, tout en étant adossée aux pieds du Mont Merapi – volcan tout aussi terrible qu’adoré.
À l’image de la terre qui gronde, c’est aussi toute une nouvelle génération d’artistes qui apporte à la cité du Sultan une pulsation sans pareil dans le reste de l’archipel, inscrivant définitivement celle-ci comme le foyer incandescent de l’art contemporain indonésien.

Onze de ses artistes de talent y ont été invités à venir présenter leurs créations à Paris, et ce sur le thème original de la « Transfiguration ».
« Trans-figurations » pour nous dire la pluralité de ces propositions artistiques, pour évoquer l’âme de ce berceau de civilisation javanaise revisitée, pour donner le rythme de ce mouvement artistique émergeant.

Eko Nugroho – Stranger Always Looks Strange

Ainsi, sous les mains des artistes, le traditionnel théâtre d’ombre du Wayang Kulit se métamorphose, les anges se réinventent, les installations vidéo invoquent les ancêtres et les transes, les bambous quant à eux s’échafaudent, pendant que la poésie glisse sur les feuilles de papier à dessin et que des personnages hybrides y prennent naissance…

Autant de manières que d’artistes pour présenter ces univers intimes à la croisée des mythologies et du monde moderne, d’interroger cette Indonésie nouvelle, qui nous est encore si peu connue.

Une exposition exprimant toute la créativité du poumon de l’océan indien. Un voyage à faire, résolument.

Artistes invités : Heri Dono, Arie Dyanto, Mella Jaarsma, Jompi Jompet, Agung Kurniawan, Eko Nugroho, Garin Nugroho, Ariadyhitya Pramuhendra, Eko Prawoto, Bayu Widodo, Tintin Wulia.

 

Rencontre à la javanaise avec l’un des onze artistes invités, Bayu Widodo.
Assis par terre avec un café. Ça sentait presque la Kretek, cette cigarette sucrée aux clous de girofles qui embaume l’Indonésie…

Bayu Widodo – Last Flower

Toute la culture : Tout d’abord, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle donc Bayu Widodo. J’ai terminé en 2007 l’École des Beaux-Arts de Yogyakarta, en Indonésie. Aujourd’hui, je suis artiste, je dessine, fais de la sérigraphie et de la peinture murale. Je vis à Yogya (ndlr : « Yogya » est le diminutif pour Yogyakarta) dans mon studio. Et j’ai aussi un magasin. Un magasin d’art alternatif, le « Survive ! Garage ».

Qu’est-ce que tu y vends ?
Des Tee-shirts, des badges, des BD, des petits trucs, qui proviennent en général de mon propre travail. Du « Merchandising » artistique en quelques sortes ! (Rires)

Ça marche bien ?
À vrai dire… c’est en cours ! Doucement, doucement !

En général, on ne connait pas grand-chose de l’art indonésien. Si ce n’est l’aspect traditionnel, issu des légendes indiennes du Ramayana, que l’on retrouve dans les danses balinaises par exemple.
Pourquoi ne connaît-on pas l’art contemporain indonésien comme l’on connaît l’art contemporain chinois ou japonais par exemple ?
C’est vrai, mais je pense que ça va venir. C’est actuellement que les choses vont évoluer et commencer à se jouer. Il y a désormais de nouvelles opportunités pour les artistes indonésiens, pour monter des projets ou des expositions en Europe. De plus en plus.
Mais c’est vrai que l’art contemporain est encore quelque chose de « petit » en Indonésie, l’art traditionnel est, lui, plus important à ce jour. Mais la création contemporaine est réellement en train de prendre son élan désormais !
En 2008, ça a été un vrai boom artistique ! Beaucoup de nouveaux artistes, la création de galeries et d’écoles d’art, la multiplication des expositions…
Et aujourd’hui, pour cette exposition à l’espace culturel Vuitton, nous sommes onze artistes ! C’est pas rien !

L’Indonésie étant une ancienne colonie hollandaise, il y a t-il davantage d’opportunités de se rendre à Amsterdam qu’à Paris, Londres ou Berlin par exemple ?
A vrai dire, c’est pareil ! L’art indonésien reste une « petite » chose partout en Europe, mais ça va venir !
On connaît mieux aussi l’art chinois ou japonais par exemple car il y a aussi davantage de liens commerciaux entre eux et l’Europe, pour revenir à ta question précédente. Et il y a aussi la question du marché de l’art interne à chaque pays pour qu’il soit ensuite connu à l’extérieur.
Et là aussi, en Indonésie, c’est en réel développement. Il y a de plus en plus de collectionneurs, des galeries s’ouvrent à Jakarta, Yogya et Bandung. Mais seulement dans ces trois villes-là, ça ne fait pas beaucoup !

Oui, surtout que les trois sont sur Java, donc effectivement cela ne fait pas beaucoup, comparé à la taille du pays ! (Rires)
Oui ! (Rires) Pour l’art contemporain, c’est seulement à Java pour l’instant (ndlr : mais 80% de la population indonésienne vit à Java) !

Qu’est ce que cela représente d’être un artiste aujourd’hui en Indonésie ?
Déjà d’une part, tous les artistes vivent à Yogyakarta. Alors il y a aussi une sorte de compétition ! Même si cela reste très difficile de survivre en tant qu’artistes, il y a quand même maintenant quelques opportunités, comme pour moi, de venir ici. Quand tu travailles dans la continuité, tu commences ensuite à exposer et des acheteurs peuvent aussi commencer à se manifester.

Il y a des acquéreurs indonésiens pour l’art contemporain ?
Oui, maintenant il commence à y avoir un certain nombre de collectionneurs, à Jakarta, Yogya ou encore à Surabaya. Des gens riches, majoritairement chinois (ndlr : la communauté d’origine chinoise en Indonésie appartient souvent aux classes aisées)

En Indonésie, on remarque que les artistes ne travaillent pratiquement qu’en communautés, ce qui n’est pas très courant ici. Et toi, comment travailles-tu ?
Je travaille moi aussi avec ma communauté artistique. Pour moi, pour nous, c’est une occasion unique de partager nos expériences, de collaborer, de monter ensemble des projets. Tout simplement, quand tu organises une exposition à 5 ou 6 artistes, c’est beaucoup plus facile de partager les frais pour la galerie par exemple, et c’est aussi l’opportunité d’avoir beaucoup plus de gens qui viennent pour le vernissage !
C’est très important pour moi la communauté artistique. Tu échanges des techniques… mais c’est aussi partager autour de la vie, de nos différentes perceptions…
La communauté c’est aussi une manière de vivre. Tu deviens plus créatif à travers les autres.
Mais je vois qu’en Europe aussi cette manière collective de travailler se développe, surtout dans les milieux alternatifs. J’ai vu beaucoup d’espaces partagés à Berlin.

Que penses-tu du nom de l’exposition « Trans-figurations. Mythologies indonésiennes ».
Christique ?
Je ne suis pas un grand fan de la religion en général ! Mais j’aime bien le terme de « Trans-figurations » qui pour moi, ici, veut dire qu’il rassemble toutes sortes d’artistes aussi différents les uns des autres, que ce soit dans leurs personnalités, leurs manières de travailler, les matériaux qu’ils utilisent, leurs différentes interprétations de la vie.
Par exemple mon travail tourne autour d’un discours ouvert sur la vie, la question sociale, et particulièrement en contexte urbain. D’autres parlent de la culture javanaise, un autre des femmes, d’autres travaillent avec la vidéo…
Finalement le thème de « Transfiguration » est assez universel !

Le 28 mai 2006, à Sidoarjo (Java-Est), s’est ouvert un « volcan de boue », recouvrant une très vaste zone, densément peuplée. Catastrophe étroitement liée au forage de gaz de la société PT Lapindo Brantas. Des dizaines de milliers d’habitants y ont tout perdu. Et l’éruption continue encore cinq ans plus tard. Les indemnités, quant à elles, ne sont pas encore franchement arrivées.
Il me semble que tu t’es réellement investi dans la dénonciation de cette catastrophe.
Oui, avec la communauté artistique Taring Padi de Yogya et l’ONG Iafadl, nous nous sommes rassemblés là-bas pendant deux semaines en 2010. Une manière de dire au bout de quatre ans « N’oubliez pas ce qui se passe, les problèmes sont toujours là ! ». Les habitants de cette région sont complétement désœuvrés et ne savent plus ce qu’ils peuvent faire. Les négociations avec le gouvernement n’avancent pas, jouant du fait de savoir s’il s’agit d’une erreur humaine imputable à Lapindo, ou s’il s’agit des conséquences du séisme qui a eu lieu à Yogyakarta deux jours auparavant (ndlr : bien que les deux villes soient situées à plusieurs centaines de kilomètres l’une de l’autre, thèse apparaissant donc comme peu crédible).
Alors on s’est rassemblé deux semaines là-bas, non seulement pour continuer à dénoncer la situation auprès du gouvernement mais aussi comme soutien psychologique auprès de ces populations. On a créé plein de choses ensemble : de la musique, des marionnettes… en fait un carnaval !
Le problème en Indonésie, c’est souvent l’issue politique de ces catastrophes. Là, c’est en lien direct avec Bakrie (ndlr : Aburizal Bakrie est un haut dirigeant du gouvernement indonésien et actionnaire majoritaire de PT Lapindo Brantas).
Le gouvernement ne fait rien, en attendant juste que les gens oublient. Alors nous on est venu, d’une part pour apporter un peu de soutien moral mais aussi pour rappeler aux uns et aux autres que les problèmes restent les mêmes, bien que les années passent.

Je vais finir avec quelques mots et dis moi à quoi cela te fait penser!
Crâne – mort – couleurs –  dessin – sérigraphie – pas de décor :
Hey ! Mais c’est mon travail ça ! (Rires)
Oui, effectivement je veux que mon travail soit facile à comprendre, qu’il parle directement aux gens. Quelque chose qui touche, simplement. J’y parle beaucoup des problèmes urbains.
L’art peut parler aux gens directement. C’est ce que je veux.
C’est vrai que j’utilise beaucoup le symbole du crâne, il est universel. C’est pour rappeler aux gens que la prochaine étape c’est la mort, alors avant ça, il faut prendre un temps pour s’arrêter, pour s’interroger, entrer en introspection.
Un temps pour réfléchir… mais surtout pour pouvoir prendre justement ensuite… du bon temps !

Terima Kasih Mas Bayu* ! (*Merci Bayu !)

Infos pratiques

Playlist Invitation au Voyage !
Festival Live Fnac à Paris plage
Justine Hallard

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