Sanja Ivecovic, une rétrospective de l’artiste croate au Mudam
Alors que l’artiste engagée est bien présente à la 13ème doumenta de Kassel jusqu’au 19 septembre prochain,l’exposition que le MoMa lui avait consacrée cette hiver est reprise et agrémentée dans le musée qui lui convient peut être le mieux : le clair, majestueux et paisible Mudam, à Luxembourg. Installée sous la voûte transparente du musée dessinée par Pei, sa monumentale “Lady Rosa” revient sur les lieux qu’elle avait enflammés d’une immense polémique en 2001. Le reste de l’attente ironique de la révolution par cette féministe engagée est parfaitement rangée au sous-sol du musée. Une très belle exposition, à recommander à tous ceux qui passent par Luxembourg et/ou villes frontières avoisinantes. Jusqu’au 16 septembre 2012.
Si le titre de l’exposition “Wainting for the Revolution” est soufflé par un discrète (et rare) esquisse du sous-sol, le morceau de bravoure de la rétrospective que le Mudam consacre à Sanja Ivecovic est son immense sculpture de “Lady Rosa of Luxemburg”. Il s’agit d’ une réplique ironique (la même égérie, mais enceinte) de la “Gëlle Fra” (femme dorée), équivalent Luxembourgeois de la piéta de Käthe Kollwitz dans l’antre de la Neue Wache de Berlin ou de notre Tombe du soldat inconnu. En 2001, quand Ivecovic avait placé sa Rosa en double, dans l”espace public et à quelques mètres du symbole national commémorant les morts de la Première guerre mondiale, l’opinion publique Luxembourgeoise s’était enflammée : il y a avait les défenseurs de l’art et de la liberté d’expression et les patriotes outragés. Le Mudam a réuni les actes de cette polémique dans un petit journal qui reproduit les nombreux articles et courriers des lecteurs en 3 langues publiés en réaction à l’installation.
En 2012, c’est un peu comme si les Luxembourgeois s’étaient fait une raison et avaient à la fois accepté que l’art contemporain fasse partie de leur ville avec le désormais très apprécié Mudam et que la Lady Rosa y trône, cette-fois-ci clairement définie comme pièce de musée. Onze ans plus tard, avec le recul, les 3 grandes idées qui sous-tendent cette “Lady Rosa” semblent caractériser tout l’art de Sanja Ivecovic : un féminisme prononcé qui perdure dans l’Ouest généralisé de sociétés patriarcales, une réflexion poussée sur la mémoire. Et surtout une ferme volonté de mettre en pièces les symboles de ces deux champs, ou ce que d’autres appelleraient simplement un sens de la provocation.
Or, pour la partie féministe de l’œuvre présentée sur l’aile gauche de l’exposition du sous-sol (galerie 2), le happening provocant fonctionne. Les photos des années 1970 où Sanja Ivecovic remet en cause les modèles des magazines en se mettant d’ailleurs elle- même en scène et en danger sont doublement fascinantes : pour leur message, et comme preuve qu’en Yougoslavie, un minimum de liberté d’expression existait. Et Sanja Ivecovic va souvent plus loin que la simple provocation, elle montre aussi certains liens de solidarité entre femmes et l’esquisse d’une réponse politique à l’oppression, avec par exemple les témoignages de femmes battues aux lunettes noires glam” et aux vies dévastées de “Women’s House” (2002).
Mais quand Sanja Ivecovic quitte une posture féminine et personnelle (galerie 1) pour réfléchir sur la question de la mémoire en général. Quand elle insulte pour provoquer un symbole national comme la Lady Rosa, quand elle demande aux jeunes de la ville coréenne de Gwangju de chanter les funérailles d’un massacre refoulé pendant 30 ans, ou quand elle demande aux habitants d’une ville autrichienne de reproduire une scène d’appel dans le camp d’extermination nazi pour commémorer le génocide des Tsiganes (Rohrbach Living mémorial”, 2005), la mémoire se réveille peut-être mais le message se brouille dangereusement. L’on comprend la volonté de déconstruire certains symboles, de revenir sur le passé et la mémoire. Mais si l’artiste ne se met pas elle-même en cause et en danger et si elle se contente juste de juger avec ironie sans proposer d’autres interprétations ou actions possibles, le révisionnisme flirte toujours avec une négation gênante. Une négation qui ne dérange pas seulement les vieux bourgeois conservateurs qui veulent enterrer le passé et les crimes pour vivre dans une fausse quiétude…
Ainsi dans cette section de l’œuvre de Sanja Ivecovic sur la mémoire, toutes les installations -aussi esthétiques soient-elles- mettent éthiquement et politiquement vraiment mal à l’aise. Sauf Personnal cuts, une vidéo à la fois politique et intime où Sanja Ivecovic sait interroger la mémoire de son propre pays de manière on ne peut plus personnelle.
A voir également dans les riches expositions du Mudam :
– le nouvel accrochage des collections permanentes qui interroge “les détours de l’abstraction”.
– les photos oniriques et anti-exotiques eu Japon d’Emily Bates “The sky is glowing with the setting gun”
– les vidéos réfléchissant sur la mémoire portugaise de Filipa César, “1975”.
– la vie intime entre humour, liste et déprime de Simon Evans “How to be alone when you live with someone”
– les véhicules fous et futuristes de Steven c. Harvey
-l’installation aussi méticuleuse qu’imposante de Sarah Sze, “Fixed points finding a home”.
Grand angle : Sanja Ivekovic : Lady Rosa of Luxembourg, 2001, Collection de l’artiste © Photo : Aurélien Mole
Visuel 1 : Sanja Ivekovic, The Right One (Pearls of Revolution), 2010, 10 tirages couleurs chromogènes, Dimensions : 112 x 112 cm chaque, Collection de l’artiste © Photo : Sandra Vitaljic
Visuel 2: Sanja Ivekovic, Personal Cuts, 1982, Vidéo sur moniteur, Noir & blanc, couleur, son, Durée : 3′ 40”, Collection Generali Foundation, Vienne © Image : Sanja Ivekovic