Marché de l'art
De belles surprises à Frieze London et Frieze Masters

De belles surprises à Frieze London et Frieze Masters

08 October 2019 | PAR La Rédaction

La seizième édition londonienne de la Frieze vient de fermer ses portes à Regent’s Park. En pleine tension liée au Brexit, cette édition  rassemblant plus de 300 galeries venant de 35 pays différent a mis particulièrement en conversation différentes cultures, périodes et pratiques artistiques par le biais d’une sélection pointue d’artistes contemporains, présentés à Frieze London, et d’œuvres historiques majeures à Frieze Masters. Sous la direction de Victoria Sidall, l’événement se distingue une nouvelle fois et célèbre le caractère cosmopolite, international et pluriel de Londres, ainsi que son influence incontestable sur la scène artistique mondiale.

Par Anne-Sophie Bertrand

 

La semaine de Frieze a commencé avec de très belles enchères, notamment avec la vente record de l’œuvre Le Parlement des Singes de l’artiste britannique Banksy, adjugée 9,9 millions de livres chez Sotheby’s Londres le 3 octobre. Une adjudication qui amuse, compte tenu du contexte politique actuel. L’ambiance aurait d’ailleurs pu être ternie à l’approche du 31 octobre mais il n’en est rien : la capitale britannique reste toujours aussi dynamique et s’impose de nouveau comme un rendez-vous incontournable du marché de l’art. 

 

Il y a toujours une sorte d’excitation en arrivant à la Frieze. La géographie et l’organisation offre un véritable lieu de vie et de convivialité qu’aucune autre foire de cette importance n’arrive à égaler. Dans les jardins anglais de Regent’s Park, Frieze Sculptures dévoile dans un premier temps des œuvres monumentales signées par Robert Indianna, Jaume Plensa, LR Vandy, Joanna Rajkowska… Toutes semblent s’animer au contact de la ville et des personnes venues profiter du parc en famille ou entre amis. Cette année, le parcours proposé par la commissaire d’exposition du Yorkshire Sculpture Park, Clare Lilley, s’articule autour de la relation entre l’identité, la matérialité et l’adaptation à de nouveaux environnements. Une bonne entrée en matière : ces thématiques seront le fil rouge de Frieze London et Frieze Masters. 

 

Algorithm for tectonic regrouping and divergent boundaries, le titre d’une œuvre de l’artiste indienne Bharti Kher exposée chez Hauser and Wirth, pourrait également devenir la nouvelle signature de Frieze. Cette édition est résolument tournée vers l’international, les cultures s’entrechoquent. Parmi toutes les propositions, l’attention se porte naturellement sur des œuvres plus politiques avec lesquelles les visiteurs peuvent entrer en interaction : l’installation de Neïl Beloufa chez Kamel Mennour, le projet A Hundred Women d’Alfredo Jaar présenté par la Galerie Lelong, Cindy Sherman et Kaari Upson que l’on retrouve chez Sprüth Magers, Mirror Room de Joan Jonas chez Gavin Brown, ou encore les clichés des œuvres in-situ Principle of hopes de Robin Rhode (Lehmann Maupin), et l’installation immersive de l’artiste américano bolivienne Donna Huanca (Simon Lee) … 

 

Du côté des jeunes galeries, on découvre avec émotion Glow signé par l’artiste Kapwani Kiwanga (Tanja Wagner). D’impressionnantes sculptures en marbre noir se dressent à taille humaine, accompagnées de lampes à l’éclairage diffus : la Canadienne fait ici référence à la loi sur la circulation des esclaves afro-américains et indiens à New York en 1713 qui ne pouvaient se déplacer seuls la nuit sans lanterne. On retiendra également l’installation Queen Kong : The Girls Learn to Fight de l’artiste bolivienne Elisa Tejada-Herrera (Livia Benavides) qui dissèque la corrélation entre genres, violence et exploitation économique. La présence de nouvelles galeries venant du Caire, du Guatemala, du Liban, d’Inde, de Hong Kong… offre un panorama dense de la jeune création et donne à Frieze un axe bien plus intéressant. 

 

Cette angle historique, politique et social est également soutenu par la sélection Woven dont le commissariat a été confié à Cosmin Costinas. Pour reprendre les termes du directeur de Para Site (Hong Kong), ces huit présentations permettent un retour sur l’Histoire, les traditions et les conséquences indélébiles des diverses colonisations, notamment l’exploitation économique de l’industrie textile dont tous les gouvernements sont complices. On redécouvre une sculpture emblématique de l’artiste indienne Mrinalini Mukherjee datant de 1996 exposé par Nature Morte, une sélection d’œuvres de Pacita Abad de la série Immigrant expérience datant des années 90 chez Silverlens ou encore les tapisseries abstraites de Monika Correa représentée par Jhaveri Contemporary. La Galerie Wendi Norris expose quant à elle les œuvres récentes (2019) de Chitra Ganesh qui nous transportent vers des jardins cosmogoniques, où se mélangent mythes et réalité, histoires et projections futuristes. L’artiste évoque ainsi la capacité immuable de la Nature à survivre aux différentes violences et destructions, et ainsi à se réinventer.

 

Ce parcours thématique permet de mettre en perspective le dialogue constant entre les artistes contemporains et l’Histoire de l’art. Il tisse indéniablement le lien entre l’espace contemporain et Frieze Masters. Le textile est un art universel et transgénérationnel qui remonte à l’Antiquité. Il a eu une grande influence sur la création moderne et contemporaine. Paul Hughes Fine Arts propose ainsi de somptueuses et rares créations tissées originaires des Andes dont certaines datent de plus de 2000 ans, mises en parallèle avec les travaux de Max Bill (élève de Josef Albers et figure emblématique du Bauhaus) et du moderniste sud-américain Joaquín Torres García. On pouvait également admirer un Wall Hanging de Robert Morris chez Castelli, série d’œuvres dans lesquelles la matière (fibre) prend toute son importance dans la constitution de la forme et du mouvement. Ou encore les travaux mix-media trop peu connus de Keith A. Smith exposés chez Bruce Silverstein. 

 

Frieze Masters regorge de nombreux trésors venus de tous les horizons : les céramiques de Pablo Picasso et antiquités romaines (galerie Chenel Paris), des pièces rarissimes d’arts décoratifs chinois et indiens… Néanmoins l’axe sociétal entamé à Frieze London se retrouve assez rapidement à travers la représentation de courants artistiques tels que la Sécession, l’Art informel, l’avant-garde chinoise (Starts group), le collectif General Idea…. Les Œuvres des femmes artistes retrouvent également leurs lettres de noblesse avec notamment la présentation de Ming Smith chez Gordon Park, Susan Hiller et Joyce Pensato chez Lisson, Gina Pane chez Kamel Mennour, Mildred Thompson chez Lelong… 

 

Les points de vue se confrontent, les Histoires et les Cultures s’entremêlent. Cette édition de Frieze nous rappelle que l’Art est la seule discipline sans véritable frontière et en perpétuelle évolution. Un positionnement plutôt engagé, assez inattendu, mais qui fait toute la différence dans son appréciation. Sans oublier l’intérêt commercial de ce type d’événements, agréger un effort critique à la rencontre de cette multitude d’acteurs semble être une formule qui fonctionne et qu’on aimerait retrouver prochainement dans les allées de la FIAC.

 

Avant de quitter Frieze Masters, dernier stop sur le stand de Dr. Jörn Günther Rare Books pour admirer les exceptionnels manuels d’Albrecht Dürer dédiés à l’étude de la perspective. En parcourant ses recherches, on éloigne progressivement les visions canoniques de l’Antiquité. L’artiste a basé ses recherches sur la pluralité des morphologies, par observation et compréhension profonde des individus et de leur rapport à l’environnement. Une approche avant-gardiste et humaniste pour l’époque (qui font de lui un véritable génie) qui n’est pas sans rappeler quelques problématiques contemporaines.

Légendes & crédits :

1- Robert Indiana, ONE through ZERO, 1980-2002, Waddington Custot , Frieze Sculpture 2019 © Morgan Art Foundation Ltd. / Artists Rights Society (ARS), New York, DACS, London 2019. Photo by Linda Nylind. Courtesy of Linda Nylind/Frieze.

2 – Ivan Argote, Bridges (We are melting), 2019, Galerie Perrotin, Frieze Sculpture 2019 Photo by Harry Mitchell. Courtesy of Harry Mitchell/Frieze.

3 – Mirror Room de Joan Jonas, Gavin brown enterprise, Frieze London 2019 Photo by Linda Nylind. Courtesy Linda Nylind / Frieze

4 – Kaari Upson (premier plan) et Cindy Sherman (arrière plan) chez Sprüth Magers, Frieze London 2019 Frieze Art Fair 2019, London, UK. Photo by Linda Nylind.

5 – Kapwani Kiwanga, Galerie Tanja Wagner, Focus. Frieze London 2019 Photo by Linda Nylind. Courtesy Linda Nylind / Frieze

6 – Mrinalini Mukherjee, Nature Morte, Woven, Frieze London 2019 Photo by Linda Nylind. Courtesy Linda Nylind / Frieze

7 – Oeuvres de Chitra Ganesh sur le stand Wendi Norris Gallery, Woven, Frieze London 2019

8 – Céramique de Picasso et antiquité romaine, Galerie Chenel, Frieze Masters 2019 Frieze Masters 2019. Photo by Mark Blower. Courtesy of Mark Blower / Frieze

9 – Paul Hughes Fine Arts, Frieze Masters 2019 Photo by Mark Blower. Courtesy of Mark Blower / Frieze 10 – Albrecht Dürer, Sammelband, ensemble composé de trois manuels. Nuremberg: [Hieronymus Andreae], 1525-1528. Première édition. Dr. JörnGünther Rare Books

 

 

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One thought on “De belles surprises à Frieze London et Frieze Masters”

Commentaire(s)

  • Omar

    Merci pour cet article complet !

    October 14, 2019 at 19 h 34 min

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