Galerie
[Interview] Eric Boudry, fondateur de la galerie Argentic à Paris et Raynal Pellicer, collectionneur

[Interview] Eric Boudry, fondateur de la galerie Argentic à Paris et Raynal Pellicer, collectionneur

23 May 2015 | PAR Christophe Dard

C’est une nouvelle venue sur le marché des galeries. La galerie Argentic a ouvert ses portes à Paris, en avril dernier, tout près de la touristique Rue Mouffetard, dans le 5ème arrondissement de la capitale. Pour sa première exposition, la galerie s’intéresse aux photographies de presse retouchées. Rencontre avec celui qui a collectionné ces clichés, Raynal Pellicer, et le fondateur de la galerie, Eric Boudry.

 

Vue de l'exposition La Fabrique des icônes à la galerie Argentic
Vue de l’exposition La Fabrique des icônes à la galerie Argentic

 

C’est au départ un site Internet. La galerie Argentic a poussé son premier cri sur la Toile un jour de 2006. Dans son berceau, des photographies, des photographies et encore des photographies… mais pas n’importe lesquelles ! La plupart des clichés sont des photographies humanistes, un courant international dont les photographes ont un intérêt commun, l’être humain dans sa vie quotidienne. Argentic est gâtée. Certaines des photos qu’elle abrite sont signées des plus grands maîtres de cet art tels Willy Ronis, Robert Doisneau et Henri Cartier-Bresson.
Les années passent. Les ventes sont très bonnes. Il est vrai que l’on trouve des clichés à tous les prix et donc n’importe qui, potentiellement, peut se payer une photo en fonction de ses moyens. Les collectionneurs proposent leurs catalogues, les ouvrages s’accumulent autant que les clichés. En 2013, Raynal Pellicer, auteur, réalisateur et collectionneur de photos expose une importante collection de photographies de presse retouchées. Parmi les visiteurs, un certain Eric Boudry, fondateur d’Argentic. Quelques mois plus tard, lorsqu’il veut faire prendre l’air à ses photographies, les sortir d’Internet et en exposer une partie dans un espace entièrement dédié situé au 43 rue Daubenton dans le 5ème arrondissement de Paris, Eric Boudry pense à Raynal Pellicer et à sa collection pour son exposition inaugurale. Le fruit de cette brillante idée est exposée actuellement. Forte de son succès, La Fabrique des icônes est même prolongée jusqu’au 18 juillet 2015.
Toute la culture a rencontré Eric Boudry, le fondateur de la galerie Argentic, et Raynal Pellicer, collectionneur.

 

Au départ, Argentic est un site Internet
Eric Boudry : A l’origine je suis un passionné de photographie. J’en ai toujours fait depuis l’âge de 10 ans. Et dés que j’ai commencé à gagner ma vie, j’ai fait des expos, acheté des livres et des tirages que j’ai accroché chez moi. Et à force cela a pris de la place. En 2004/ 2005 je me suis dit que je voulais en vendre une partie. Et avec un ami qui avait une collection de livres, le site a ouvert en janvier 2006 pour vendre des tirages de collections et des livres de photos. Il y avait peut-être au départ 200 œuvres photographiques ou livres. On a fait quelques foires, on a eu des tirages de collectionneurs et petit à petit cela a grossi rapidement. 2/3 ans après l’ouverture du site nous avons pris un petit bureau à Paris pour recevoir les collectionneurs, les acheteurs et les vendeurs. On avait alors quelques centaines d’œuvres voire plusieurs milliers sur le site. Et je cherchais depuis longtemps un endroit pour montrer les choses en réel. Sur le site il y a des milliers de choses et d’autres en réserve. J’ai cherché sur Paris et j’ai trouvé cette adresse et cet endroit, bon mélange entre un espace chaleureux et non guindé. Et cela se traduit dans ce que l’on propose. On peut trouver des choses à tous les prix. Chaque œuvre a son prix et son public. La galerie est ouverte à tous.

 

Eric Boudry
Eric Boudry

 

Votre galerie est aussi une librairie…
Eric Boudry : Si il y a un art dans lequel le livre est important c’est la photographie parce que c’est devenu une représentation à part entière. C’est pour cela que lorsque l’on s’intéresse aux photos on s’intéresse aux images, aux tirages et à la production de livres. J’ai voulu intimement mêlé les deux. Le livre n’est pas qu’un catalogue d’exposition mais il y a une mise en page, des zooms et des textes. Sur le site il doit y avoir 2500 livres, 1500 ici et plus de 10 000 en réserve. Ce sont des pièces uniques.

Vous voulez exposer de la photographie humaniste. De quoi s’agit-il ?
Eric Boudry : La photographie humaniste met la représentation humaine au cœur de l’image. L’âge d’or de la photographie humaniste remonte à l’après-guerre, les années 1950-1960. Les grandes figures sont essentiellement françaises, Ronis, Cartier-Bresson ou Doisneau. La photographie humaniste a des ramifications et des prolongations dans le photoreportage et la photo promotionnelle. Raynal Pellicer, avec son univers, se raccroche à la photographie humaniste. Les années 1920-1930, d’où proviennent majoritairement les clichés de cette exposition, sont les racines de la photographie humaniste.

La Fabrique des icônes est présentée jusqu’au 18 juillet 2015. Pourquoi cette exposition inaugurale ?
Eric Boudry : J’ai vu cette exposition pour la première fois en juillet 2013 à Arles. Je ne connaissais pas Raynal Pellicer. Je l’ai contacté l’année dernière. Je voulais démarrer par une exposition autour de l’unité. Et avec Raynal et cette exposition, chaque pièce est unique et en même temps tout l’ensemble forme quelque chose.

Raynal Pellicer, comment avez-vous constitué cette collection dont une partie est présentée actuellement à la galerie Argentic?
Raynal Pellicer : Depuis plusieurs années, je constitue des collections pour en faire à chaque fois un livre et raconter une histoire. Avant cette collection, j’ai travaillé sur la photographie judiciaire et les photomatons (un ouvrage, Photomaton, est sorti aux Editions de La Martinière en 2011). Ensuite je me sépare en général de ces collections pour en constituer une autre. Et depuis quelques années je travaille sur la photographie de presse retouchée. Pour cela, j’ai cherché un peu partout, sur des sites de vente en ligne à des collectionneurs aux Etats-Unis fidélisés sur des collections précédentes. Je me suis procuré des photos de presse soit par lots soit par pièces individuelles. Ces tirages Argentic ont une particularité. Ils ont été retouchés avant publication, à la gouache, à l’encre, à la plume, au pinceau ou à l’aérographe. Cela a pris 2/3 ans pour constituer cette collection.

 

Vue de l'exposition la Fabrique des icônes à la galerie Argentic
Vue de l’exposition La Fabrique des icônes à la galerie Argentic

 

Pourquoi cet intérêt pour les photographies de presse retouchées ?
Raynal Pellicer : Contrairement à une idée reçue, la photo n’est pas une image intangible par la lumière et le cadrage. Et dans la presse l’image a été très rapidement associée au texte. En fait, on a demandé aux journalistes de pouvoir écrire un texte avec peu de mots pour que cela soit compréhensible par tout le monde. Donc les textes ont été retouchés et écourtés. Très vite on a voulu faire la même chose avec les photos. Et j’ai découvert que les premières photos dans la presse ont été retouchées avec une simplicité absolue. Le fond était enlevé presque systématiquement puis toutes les manipulations, les retouches et les recadrages ont été possibles. Et cela ne se faisait pas que pour la propagande politique mais également avec des clichés quotidiens.

Ces retouches sont un peu l’ancêtre de Photoshop…
Raynal Pellicer : Les grands studios hollywoodiens embauchaient des photographes réputés pour faire des portraits des grandes stars (Clark Gable, Humphrey Bogart) et ils les envoyaient aux organes de presse pour faire la promotion de leurs films. Il y a d’ailleurs écrit en haut ou en bas « strictement réservé à l’usage de la promotion ». Ces portraits ont été tirés en série. Les journaux se sont accaparés ces images, les ont transformé (la cigarette de Humphrey Bogart qui disparaît par exemple), les ont encadré, les ont retouché puis ces photos ont alimenté tout autre chose que la promotion du film. Certaines servaient par exemple pour raconter les histoires de cœur de Humphrey Bogart. Ces images ont été archivées et des années plus tard, lorsque l’on avait besoin d’illustrer un article, on les ressortait et on les remettait dans le journal. Ce sont des photos décontextualisées. En revanche la réappropriation de la photo de presse s’est faite au détriment du photographe.

Qu’est-ce qui vous le plus marqué dans cette collection ?
Raynal Pellicer : Les retouches sont au premier coup d’œil extrêmement visibles et grossières. Mais une fois les photos publiées dans les journaux on ne voyait plus rien. On ne distingue aucune retouche. Cette exposition aurait pu s’appeler « devez voir ce que vous ne devez pas voir ». Ce qui est également intéressant c’est que ces photos ont été utilisées par plusieurs journaux mais retouchées uniquement par un seul journal, un seul retoucheur.
Eric Boudry: Ce métier existe toujours. On parle de repiqueur. C’est un artisan au savoir-faire extraordinaire.

Quel sera le thème de la prochaine exposition ?
Eric Boudry : Sur Paris, capitale de la photo. Il y a eu énormément de photographes parisiens qui ont représenté la capitale. Nous allons présenter plus de 150 ans de photos connues (Ronis, Doisneau) et moins célèbres, des représentations de Paris très anciennes (on a une photo de 1890 à bord d’un ballon par quelqu’un qui commercialisait les photos et les ballons) et des images d’aujourd’hui.

Un mot des autres expositions à venir dans les prochains mois
Eric Boudry : Nous allons organiser une exposition sur les portraits d’artistes. Deux types d’individus vont être exposés, le photographe, plus ou moins connu, et l’artiste. Nous allons partir de portraits très anciens, Nadar par exemple, jusqu’à des portraits très actuels.
Ensuite nous ferons une exposition sur un photographe en particulier, fin octobre début novembre. Mais nous en reparlerons d’ici là. L’idée de cette galerie est d’alterner des expositions pointues et des choses plus ouvertes et accessibles. Il faut expliquer pourquoi une œuvre vaut 10 euros et d’autres 10 000 euros.

Interview réalisée par Christophe Dard

 

INFORMATIONS PRATIQUES :
Galerie Argentic
Exposition en cours jusqu’au 18 juillet 2015 La fabrique des icônes. La photographie de presse retouchée 1910-1970
43 Rue Daubenton 75005 Paris
Ouverte du mardi au samedi de 15h à 19h
www.argentic.fr

Cannes, jour 10 : Michel Franco décevant, “Alias Maria” touchant et premiers pronostics
Box Office France : 900.000 entrées pour Mad Max Fury Road de George Miller. Joli succès de la Tête Haute avec Catherine Deneuve
Avatar photo
Christophe Dard
Titulaire d’un Master 2 d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Christophe Dard présente les journaux, les flashs et la chronique "L'histoire des Juifs de France" dans la matinale (6h-9h) sur Radio J. Il est par ailleurs auteur pour l'émission de Franck Ferrand sur Radio Classique, auteur de podcasts pour Majelan et attaché de production à France Info. Christophe Dard collabore pour Toute la Culture depuis 2013.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration