Fernand Pelez, un sombre poète au Petit Palais
Depuis le 24 septembre, le Petit Palais abrite une exposition inédite consacrée à Fernand Pelez, brillant membre du mouvement naturaliste, intitulée « La Parade des Humbles ». Si Pelez fut en effet un peintre populaire témoin de la dureté de son temps, son œuvre demeure néanmoins empreinte d’une rare poésie et d’une profonde empathie pour l’être humain.
Ne vous fiez pas à la rebutante affiche de l’exposition, ornée d’un clown blanc : ce choix contestable, détail de la toile “Grimaces et misères”, “Les Saltimbanques” est fort peu représentatif de l’œuvre du peintre. Formé aux Beaux-Arts de Paris, Fernand Pelez (1843-1913) suit une formation classique avant de rejoindre les rangs du naturalisme sous l’influence de son contemporain Jules Bastien-Lepage. Indubitablement enfant de son époque, Pelez s’attache à traduire les conditions de vie des habitants du Montmartre des années 1880, où il demeure, à la manière d’un Zola de la peinture.
S’ensuivent de poignantes toiles consacrées aux métiers de rue, telles “Le petit marchand de citrons”, “Le petit marchand de mouron” ou à la misère sous toutes ses formes, “Orphelins”, “Orphelines”, “Mendiants”, ou encore “La Bouchée de pain,” étonnante série grandeur nature représentant individuellement chaque homme dans une file d’attente pour la soupe populaire. Pelez parvient à sublimer la misère de ses semblables et leur délivre une véritable beauté en les faisant exister en tant que personnes. S’il entend dénoncer l’insalubrité dont sont victimes nombre de ses contemporains, son regard est avant tout humaniste, et apparaissent sur la toile des êtres à part entière plutôt qu’une condition sociale défavorisée. L’artiste donne une réelle importance et une grâce élégante, parfois presque diaphane, aux laissés pour compte des débuts de l’ère industrielle.
Pelez possède un surprenant sens de l’esthétique. Avec des toiles comme “La Morte”, représentant une femme à la morgue dans le plus simple appareil, ou “L’Asphyxiée” (aussi intitulé “La Victime”), jeune macchabée aux lèvres bleuies et à la perturbante beauté, il va à la conquête de cette dernière sur des terrains inattendus. Peintre de la misère dans son horreur, il a pourtant le don de la rendre poétique et mélancolique, éveillant un curieux sentiment de contradiction chez le spectateur. Parfois, une image féérique apparaît au milieu de l’insupportable réalité, telle “La Libellule”, jeune fille à la fois pâle et sombre dotée de sublimes ailes, pour une toile à la saisissante luminosité. Mais chez le peintre, la légèreté ne dure jamais longtemps et sa passion pour les femmes insectes se verra complétée d’une “Cigale poitrinaire”…
Si Fernand Pelez, comme nombre de ses confrères de l’époque, s’attacha à représenter les danseuses, il le fit avec le même surprenant regard. Pas de gracieuse ballerine en tutu à la Degas, mais de gigantesques formats parfois étonnamment flous mettant en scène les coulisses de l’opéra. Très jeunes ou moins jeunes filles uniquement vêtues de collants, se vêtissant, ou mollement assises, le dos voûté, l’air pétri d’ennui. Désacralisation du fantasme de la danseuse comme éternelle muse ? Pelez semblait voir la beauté là où elle était la moins attendue, la moins perceptible, et inversement. Son œuvre mêle rêve et réalité, lumière et obscurité, beauté et horreur pour un résultat dont la véracité égale l’originalité.
« Fernand Pelez : La parade des Humbles ». Jusqu’au 17 janvier 2010 au Petit Palais, avenue Winston-Churchill, Paris 8e, m° Champs-Elysées Clémenceau, Du mardi au dimanche de 10h à 18h. Le jeudi jusqu’à 20h.9 euros (TR 7 euros, pour réserver, cliquez ici)