Wright Morris, l’Amérique invisible
Cet été, la Fondation Henri Cartier -Bresson nous propose de découvrir l’œuvre de Wright Morris (1910-1998) pour sa première rétrospective en France. L’occasion d’admirer un portrait en creux des États-Unis.
Le profil de Wright Morris est atypique et intrigant. Écrivain reconnu aux États-Unis, il a pendant une dizaine d’années pratiqué la photographie, pour ne plus y retoucher ensuite. Professeur de littérature, il a créé toute sa vie. Ses vingt-sept romans sont la preuve de sa vitalité artistique, alors pourquoi abandonner la photographie ? Il s’est constitué en quelques années un corpus limité d’images et n’a eu de cesse ensuite d’y revenir. Il retravaille leur orientation, leur cadrage, ou les associe avec des textes différents et ainsi il démultiplie son œuvre photographique. Le sens de ses images se modifie, et son regard sur elles évolue.
Sa production tant photographique que littéraire lui a servi à alimenter sa réflexion sur ce qu’il a appelé le “photo-texte”, une alliance entre texte et photographie. La photographie n’est pas là pour illustrer le texte, ni le texte pour décrire, mais l’un enrichit l’autre. Pour lui, la photo pourrait saisir ce qu’il tentait de « capter avec des mots » et ses textes font entendre la voix des gens qui ne sont pas sur ses photos. On pourrait voir dans cette voie médiane entre texte et photo le précurseur du roman graphique américain, tant leur potentiel narratif est proche.
Si le succès critique a été au rendez-vous pour les trois livres publiés selon ce principe (The Inhabitants, 1946, The Home place, 1947, God’s country and my people, 1968), ils ne trouvèrent pas leur public, contrairement à ses romans. Le concept novateur et la qualité de ses photos lui attire le respect de ses pairs qui le reconnaissent comme photographe, bien qu’autodidacte et sans jamais avoir travaillé pour la presse.
L’exposition est conçue de manière à ce que les trois photo-textes soient au cœur de l’espace, au centre des photos regroupées par thématiques. Ils sont à la fois la résultante des photographies et ce qui pousse à les voir différemment, dans une dynamique créative en vase clos, en écosystème autosuffisant.
Si les romans de Wright Morris sont centrés autour de personnages flamboyants, il est très rare d’en croiser un dans ses photos. Ces paysages ou ces intérieurs inhabités laissent pourtant l’étrange impression que l’homme n’est pas si loin, comme s’il venait juste de quitter la pièce. On hésite entre l’idée d’une ville fantôme et celle que la photo a brièvement suspendu le temps et que la vie est revenue l’instant d’après. Et si le style est certes documentaire, la composante temporelle reste équivoque. Prises dans les années 1940-1950, elles pourraient tout aussi bien être contemporaines tant elles sont épurées et graphiques. La géométrie et le contraste confinent presque parfois à l’abstraction, créant des images intemporelles d’une modernité indéniable.
Wright Morris a ses sujets de prédilection, tels que les architectures en bois, les chaises ou les voitures. Autant de sujets qui racontent un usage humain et rendent visible une vie invisible. Il décrit par l’objet et l’architecture des hommes et leurs façons de vivre. La simplicité du cadrage, souvent frontal, les grands espaces du Nebraska et la géométrie des sujets permet une confrontation directe avec le spectateur, un face à face inévitable. Les images discrètes et sans fioritures fascinent et font naître de ces questions qui mènent à la libération de l’imagination.
Peut-être Wright Morris avait-il compris qu’il avait atteint l’essence invisible de l’Amérique avant de raccrocher son appareil, et qu’il n’avait plus besoin de chercher plus loin.
Wright Morris – l’essence du visible
Du 18 juin au 29 septembre 2019
Fondation Henri Cartier-Bresson – Paris
visuels : 1- Wright Morris, The Home Place, Norfolk, Nebraska, 1947 © Estate of Wright Morris / 2- Wright Morris, Silo à grains «Gano», Western Kansas, 1940 © Estate of Wright Morris / 3- Wright Morris, Tombstone, Arizona, 1940 © Estate of Wright Morris