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Le Voyage à Nantes, embarquement immédiat

Le Voyage à Nantes, embarquement immédiat

05 July 2018 | PAR Laetitia Larralde

Pour sa septième édition, le festival estival nantais fait l’éloge du pas de côté, pour mieux nous entraîner de l’autre côté du miroir et sauter à pieds joints dans un grand bouillonnement artistique.

Pourquoi proposer de faire un pas de côté? Pour se retrouver, à l’instar de la photo illustrant cette édition et de la statue éponyme de Philippe Ramette, fermement campés un pied au-dessus du vide, le regard porté au loin et sûr de son équilibre instable? Si l’on se base sur les autres Eloges tout aussi joueurs de l’artiste disséminés dans la ville, ce pas de côté est une invitation à prendre les chemins de traverse, changer de point de vue comme l’Eloge de la paresse allongé au plafond du passage Pommeraye, s’échapper de son quotidien comme l’Eloge de la transgression qui descend de son socle. On obtempère donc, on fait un pas chassé et on se laisse guider par cette ligne verte qui sillonne la ville et relie les lieux, ses habitants et ses visiteurs.

Le festival est profondément intriqué dans le tissu urbain et révèle tout un réseau de participants regroupant les institutions culturelles bien sûr, mais aussi restaurants, hôteliers, commerçants, jusqu’au service des espaces verts et le fontainier de la ville. Le niveau d’implication est divers : certains confient leur enseigne à un artiste comme la pharmacie Arrouet-Feydeau qui maintenant prend la température des gens, d’autres deviennent commerçants-médiateurs, quand ce n’est pas pour participer activement à la création de l’œuvre. C’est en collaboration étroite avec le service des espaces verts de Nantes que l’artiste Evor a pu créer sa Jungle intérieure, cachée dans une cour d’immeuble donnant dans un passage privé. Du haut d’un observatoire en bois, on domine la canopée de cette forêt en pots qui semble vouloir se répandre encore plus loin, recouvrir les façades blanches et faire profiter à tous de ses couleurs.
Le travail avec le vivant est l’une des tendances qui se dégagent de ce festival. Michel Blazy, après avoir recouvert le sol du Temple du goût de charbon de bois comme base crissante et vouée à disparaitre pour son Last Garden, installe ses expérimentations botaniques telles des jardins minimalistes post-apocalyptiques. A la HAB Galerie, Céleste Boursier-Mougenot remplit l’espace de sa musique créée par osmose avec l’environnement : une batterie reçoit des noyaux de cerise selon les vibrations de la salle, des pinsons sautillent sur les cordes de guitares électriques en piaillant tel un tout petit groupe de rock, un piano actionné par un programme retranscrit et joue les vibrations des arbres.

Le Voyage à Nantes semble occuper tout l’espace disponible. Il trône au milieu des places, s’immisce dans le moindre interstice, se faufile dans les lieux laissés inoccupés. Et certains lieux surprennent, comme ce sous-sol en béton brut et entièrement vide du Carré Feydeau où s’est installé Daniel Firman avec Outside, ensemble d’œuvres habitant cet espace étrange. Une sculpture gigantesque en néon nous apprend que Something strange happened here, tandis que des guitares électriques tournent sur elles-mêmes jouant à l’infini le dernier accord d’un morceau inconnu ou qu’un feu de bois en bronze fume, créant un sentiment de décalage singulier, comme d’assister à un évènement dont tous les participants auraient subitement disparu. Pour le volet Inside de son installation, Daniel Firman occupe le Théâtre Graslin, en travaux pour l’été. Là un corps en cristal soufflé palpitant de rouge et de bleu est suspendu au-dessus de nos têtes, répondant à la musique qui évoque un rythme cardiaque et à la projection vidéo aux allures kaléidoscopiques, le tout dans une ambiance bleue et feutrée, comme si on avait tourné notre regard vers l’intérieur de nous-même.

Les musées proposent des expositions variées et internationales. Le Château des ducs de Bretagne accueille une exposition du Musée historique de Suède, Nous les appelons Vikings, qui vise à déconstruire le mythe du viking sanguinaire et à dresser un portrait contemporain au plus proche de la vérité anthropologique. Le Musée d’arts de Nantes regroupe plusieurs étapes du parcours, dont une rétrospective de James Turrell, avec en point d’orgue deux pièces noires où l’on rentre à tâtons pour y découvrir des installations lumineuses jouant avec nos sens et notre perception, nous laissant un peu étourdis. Et le Lieu Unique, quant à lui, s’est associé avec le Barbican Centre de Londres pour créer Mangasia, un panorama de la bande dessinée asiatique qui ne se résume pas à ce mastodonte qu’est le manga. En prenant ce dernier comme point de départ, on découvre les productions de la Corée du Nord et du Sud, du Bouthan, de la Chine, des Philippines… au travers d’un nombre incroyable d’originaux et de fac-similés.
Le festival n’oublie pas d’inclure les architectes et les designers dans le parcours, aussi bien en tant qu’artistes que comme partenaires pour la signalétique et le mobilier.

Après une journée riche en découvertes étonnantes, vous pourrez prolonger votre parcours artistique dans un des lieux de convivialité pensés pour l’occasion, comme la Cantine, ou le bateau Ouch, ou si vous en avez la chance, rejoindre l’un des dîners secrets réalisés par des grands chefs. Et pour que l’expérience soit complète, essayez de réserver dans l’une des trois chambres d’artistes, avant de poursuivre vos explorations artistiques hors du centre-ville, voire même hors de la ville, jusqu’à Saint-Nazaire et Saint-Malo.

Le voyage à Nantes – Eloge du pas de côté
Du 30 juin au 26 août 2018

Visuels : 1- Philippe Ramette, Éloge du pas de côté; Nantes, 2018 – Le Voyage à Nantes 2018 © Marc Domage / LVAN // 2- Evor, Jungle Intérieure, le Voyage à Nantes 2018 © Philippe Piron / LVAN // 3- Daniel Firman, Outside – Something Strange Happened Here- , le Voyage à Nantes 2018 © Martin Argyroglo / LVAN // 4- James Turrell, “Awakening”, 2006. Courtesy Fondation Almine et Bernard Ruiz-Picasso © James Turrell, 2018 // 5- Michel Blazy, Last Garden, le Voyage à Nantes 2018 © Martin Argyroglo / LVAN

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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