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Un empire de l’éphémère éclectique ? Mode et décoration à Compiègne

Un empire de l’éphémère éclectique ? Mode et décoration à Compiègne

06 July 2013 | PAR Franck Jacquet

Jusqu’au 14 octobre 2013, le château impérial de Compiègne abrite une exposition dédiée au textile de mode et de décoration durant la période de prédilection du lieu : le Second empire. « Folie textile » est conçue à partir des collections du château mais aussi avec la participation de plusieurs institutions dont le musée Galliera (toujours très avare de ses pièces), les Arts décoratifs et surtout le musée de l’impression sur étoffe de Mulhouse. Le parcours excelle pour expliquer avec pédagogie les aspects techniques et sociaux de la production de textile, de l’ameublement ainsi que la mode en France dans les années 1850 et 1860. Seule nuance, les aspects chronologiques, les évolutions à l’intérieur de la période n’étant pas toujours évidents pour le regard du non averti.

L’omniprésente ombre d’Eugénie

L’exposition rappelle souvent le contexte du second tiers du XIXe siècle et permet ainsi de montrer combien le foisonnement de la production textile, cette « folie » s’insère dans la logique de la seconde révolution industrielle, celle des colorants par la chimie (le bleu, indigo, est ainsi bien plus facile à obtenir), de l’accélération de la mécanisation textile avec des machines plus légères et devenant vite indispensables comme la machine à coudre ou encore avec l’accélération des échanges commerciaux de matières premières et transformées (types de cotonnades, lin, soieries…). La France des notables orléanistes devient celle des notables et industriels d’empire et ce sont bien eux qui vont consommer et rivaliser par leurs habits. De même, cet élan de la production ne se comprend que par la politique des fastes impériaux : fêtes, expositions universelles, foires, cérémonies officielles…

folie textile 1 La concurrence de l’industrie anglaise doit être combattue, particulièrement dans les années 1850 alors que le régime se construit dans la durée et que l’on n’en est pas encore à une politique clairement libre-échangiste. La couture, le costume et les textiles d’appartement des fonctionnaires sont ainsi littéralement dopés par la décision d’obliger une solennité aux représentants de l’Etat. On impose l’habit officiel notamment à pantalon de feutre, ceinture et de passementerie avec parfois les fils d’or et le bicorne. La production parisienne peut ainsi s’épanouir. Mais d’autres régions bénéficient tout autant de cette impulsion. L’exposition fait une large place aux collections du musée textile de Mulhouse dont la production tient alors une place de choix, étant depuis l’Ancien Régime une place majeure dans les domaines de l’indiennage (les fameuses indiennes) et de l’impression sur tissus. Il faut donc toujours avoir à l’esprit avec cette exposition le soubassement politique de cette débauche d’étoffes.

Le personnage donnant l’une des impulsions majeures est sans aucun doute une femme, l’impératrice Eugénie. Il n’est pas une salle, pas un seul tableau de l’exposition ne faisant allusion directement à la souveraine, très pieuse, mais dont l’exubérance espagnole et tridentine donne le ton des modes se succédant d’année en année. Les historiens débattent encore de la réalité et de l’ampleur de la vie de Cour. Est-ce encore une vie de Cour au sens où on l’entend précédemment ? L’historien Thibaut Trétout montre à quel point il est difficile dès la Restauration de ranimer ce vieux corps de la société d’Ancien Régime. On peut donc voir la marque, dans l’usage de ces décorations, de l’étiquette comme d’un rythme de vie parfaitement bourgeois. L’exposition ne s’attarde pas sur ce débat, cherchant à coller aux données techniques, mais donne assurément de nombreux éléments pour y répondre. Il n’en reste pas moins qu’Eugénie est logiquement, avec la famille impériale, un commanditaire de choix des plus belles étoffes et tenues. Elle s’implique aussi bien dans le choix de ses habits, affectionnant particulièrement le violet, que dans la décoration de ses différents appartements : lés à motif, fauteuils du salon de thé de Compiègne ou pièces du Château de Fontainebleau…

On admire en fin d’exposition son lit à colonnes du Palais de l’Elysée vert et or, damas et passementerie… Restauré en 2007, la Maison lyonnaise Le Manach a pu donc restituer les soieries lyonnaises. La salle un peu sombre ne permet pas de faire honneur au travail et de donner complètement à voir l’ouvrage d’art dont la passementerie recouvrait jusqu’aux parties supérieures de ce lit. Autre personnage de la Cour très représenté, la Princesse Mathilde dont plusieurs tenues sont exposées et dont on peut se dire que sa rondeur devait sans doute alourdir la tâche du port de la crinoline. La crinoline évolue d’ailleurs et la silhouette de la femme est de plus en plus portée vers l’arrière. Assez rapidement, on comprend que l’ornemental gagne comme signe d’une décadence progressive. Une déliquescence de l’empire avant l’heure. On pourra nuancer en lisant C. W. Cunnington ou avec H. I. Marrou…

Il reste que le propos sur la place d’Eugénie est nuancé, allant au-delà de l’admiration de l’impératrice pour Marie-Antoinette et permettant de comprendre que l’impératrice correspondait à son temps en ce qu’elle savait établir une étiquette plus souple et une apparence plus « bourgeoise » dans les stations de tourisme de l’élite qui se développent alors comme les villes d’eau, Biarritz ou Nice… Les habits sont alors bien plus simples que ceux des bals officiels des Tuileries et les lignes de bains ou de sport se développent en écho au développement de la civilisation des loisirs qu’entraîne rapidement l’industrialisation : le noir, le blanc, les tissus simples remplacent pour l’occasion les passementeries, le fil d’or, les ornements et les voiles. Les accessoires restent cependant présents, notamment les ombrelles de l’exposition. On peut ajouter de même au crédit de l’impératrice qu’elle savait reprendre d’anciennes pièces du mobilier royal ou impérial pour les retravailler et ainsi être « économe » plutôt que de commander systématiquement à partir de nouvelles matières premières.

Au bout du parcours, on s’interroge sur le fait qu’Eugénie n’ait pas été plus centrale dans le propos de l’exposition, alors que son ombre est omniprésente. Son nom aurait pu porter l’ensemble, ou à défaut celui des femmes si présentes : la Castiglione, Pauline de Metternich (on conseillera son aigreur et ses remarques assassines dans sa correspondance publiée par E. Lever) ou encore la princesse Mathilde…

folie textile 2Donner à voir l’effervescence des productions textiles
L’exposition se décompose en deux grandes parties, la première étant consacrée à la mode et la seconde au textile et à l’artisanat de décoration. La première est sans doute la plus réussie car donnant un excellent point de vue sur les tenues d’apparat et autres habits depuis la matière première jusqu’aux produits finis. Cotonnades, passementeries, tissus, fils, trames, voiles, dentelles, taffetas, moirure, reps de soie…

La folie textile est un tourbillon ! L’ornementalisme et l’éclectisme du Second Empire transparaissent très clairement. Les cartons très utiles expliquent les différences entre pièces tissées et imprimées. Le propos est très pédagogique, très clair et les produits que le visiteur peut toucher est une originalité qui plaira aux jeunes comme à ceux qui ne distinguent pas vraiment a priori le velours des trames et les types de points. Les concepteurs ont ainsi figuré un « comptoir de la couturière » où l’on voit les différents types de points, ou encore à la boîte à outils du passementier. Plus loin se trouvent les patrons pour construire les robes (bien plus complexes qu’aujourd’hui) ou encore des modèles de robe en kit qui firent fureur au milieu du siècle. Les grands magasins, lieux de commercialisation alors essentiels sont évoqués mais restent quasiment absents alors que leur organisation et leur décoration correspondaient à cette recherche de variété dans l’habit.

La scénographie, privilégiant les petites vitrines et une certaine proximité faite de décors permet d’incarner une civilisation de la silhouette si éloignée de notre recherche du longiligne et de la structure contemporaine dominante du vêtement. Ces petits espaces de la première partie tranchent avec le choix des Arts décoratifs qui avaient choisi les grandes baies vitrées avec Fashioning Fashion (voir la critique).

Pour ce qui est de la partie décoration, elle reste axée sur la déclinaison dans l’artisanat du textile et ne s’étend pas sur les autres matières. Celui-ci est très présent et est associé à l’architecture comme au bois : les tentures, tissus et soieries recouvrent les murs des appartements aussi bien que les rampes d’escalier pour cacher les jambes des dames. On le perçoit notamment avec les productions des manufactures prestigieuses d’alors comme Thierry-Mieg & Cie. Les motifs expriment à la fois l’éclectisme mais aussi la permanence de styles et représentations proprement français : références au Grand Siècle par les motifs ou à Louis XV par les détails rocaille, meubles aux moulures style Louis XVI…

Les robes Louis XV ou dites à la polonaise étaient déjà très présentes au début du parcours. Les paysages typiques sont aussi légion. On comprend combien la diversité textile plonge dans le passé national. Le tissu est donc aussi présent sur l’ameublement, particulièrement sur les fauteuils et sièges. L’exposition expose intelligemment par la confrontation des indiscrets et des confidents la sociabilité d’alors et les limites entre public et privé. L’art de la table où les tissus sont présents reste au contraire le grand négligé de l’exposition.

folie textile 3Décoration et ameublement, un lien évident ?
On regrettera cependant que l’exposition néglige d’étayer le lien entre textile d’ameublement et de vêtement. Il peut paraître évident mais les styles ne sont pas confrontés. Ils sont juxtaposés par la construction du parcours général. On perçoit les transmissions entre les deux domaines notamment par les pages des revues de confection et de mode exposées ou par le catalogue de l’exposition, permettant de développer ce point. Quand on sait combien l’effervescence du textile permise par la révolution des techniques prend part à la généralisation des ornements à la fin du XIXe siècle et combien cette dernière suscite de vives réactions dans les sphères esthétiques, on aurait aimé que l’exposition élargisse vers les premières critiques déjà présentes dans les années 1860 et 1870.

L’exposition s’achève par un aperçu des appartements impériaux du Palais de Compiègne et restitue l’espace privé et public de la famille impériale (quelques clichés de famille complètent ce tableau). Le salon des Cartes avec son damas de soie jaune ou encore le salon de Musique dont l’exotisme fut choisi par Eugénie rappellent ce lien entre fin du XIXe siècle et traditions du XVIIIe siècle dans le décor.

La dimension technique et sociale efface largement l’évolution historique des deux décennies mais l’exposition la réintroduit en allant au-delà de 1870 : Eugénie, toujours elle, reste présente avec son habit de deuil noir qu’elle continue de porter en exil en Angleterre ou dans le Sud de la France…

L’exposition est une réelle réussite en ce qu’elle parvient à expliquer des éléments techniques du vêtement et de la confection sans ennuyer, sans oublier les données économiques et sociales. De même, on n’enferme pas les habits dans leur simple rôle d’apparat comme dans la majeure partie des expositions traitant de la mode, et ce bien que cette dimension soit présente. Le parcours est pédagogique dans le très bon sens du terme même si on regrette que la dimension évolutive soit un peu négligée. Il reste que la diversité des collections présentées permet de voir la diversité des lieux et acteurs de la production en France au milieu du XIXe siècle dans un pays où les foyers industriels semblent aujourd’hui disparaître. Saisissante perspective qu’une France productrice de toutes sortes de textiles… On peut enfin remettre ces objets, meubles et robes dans leur contexte, celui du Château impérial à visiter dans le prolongement de l’exposition.

folie textile afficheListe des légendes des visuels :
Visuel 1 : Robe de jour ayant appartenu à la princesse Mathilde avec châle – vers 1867 – soie, faille, mousseline tuyautée – Musées et domaine nationaux du Palais de Compiègne © RMN – Grand Palais (domaine de Compiègne) / Stéphane Maréchalle
Visuel 2 : Arthur Martin (dessin) – Lé à décor en grisaille d’inspiration rocaille sur fond satin rouge ponceau (détail) – 1867 – soie – Archive de la Manufacture Prelle © Manufacture Prelle
Visuel 3 : Ateliers de menuiserie et de tapisserie du Mobilier impérial / Maison Mathevon et Bouvard, Lyon (pour le damas d’origine) – Lit à colonnes de l’impératrice Eugénie au Palais de l’Elysée – 1867 – 440 x 230 x 212 cm – bois laqué blanc, sculpté et doré, soie, damas de Lyon vert émeraude ; style Louis XVI – Musées et domaine nationaux du Palais de Compiègne © RMN – Grand Palais (domaine de Compiègne) / Christophe Chavan
Visuel 4 – Catalogue : Collectif. Folie textile – Mode et décoration sous le Second Empire – 22 x 28 cm, 144 pages, 180 illustrations, broché – Editions de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, Paris 2013 – 25 €

Lieu : Château de Compiègne, Place du Général de Gaulle, 60200 – Compiègne, Tél : 03.44.38.47.00, Tarifs : 8,50 € (tarif réduit : 6,50 €). Ouverture : 07 Juin 2013 – 14 Octobre 2013 / Tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h (dernière admission à 17 h15).

Infos pratiques

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Franck Jacquet
Diplômé de Sciences Po et de l'ESCP - Enseigne en classes préparatoires publiques et privées et en école de commerce - Chercheur en théorie politique et en histoire, esthétique, notamment sur les nationalismes - Publie dans des revues scientifiques ou grand public (On the Field...), rédactions en ligne (Le nouveau cénacle...) - Se demande ce qu'il y après la Recherche (du temps perdu...)

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