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Renaissance – Grand Siècle : une transition au Musée des Beaux-Arts de Nancy

Renaissance – Grand Siècle : une transition au Musée des Beaux-Arts de Nancy

02 July 2013 | PAR Franck Jacquet

nancy arcimboldo à caravageJusqu’au 4 août prochain, le Musée des Beaux-Arts de Nancy propose avec « L’Automne de la Renaissance, d’Arcimboldo à Caravage » un parcours sur le XVIe siècle et l’orée du XVIIe siècle de la peinture essentiellement, alors que les tentatives pour retrouver les Antiques s’estompent et que les foyers de production continuent de se diversifier. L’exposition s’attache en particulier à l’Europe de l’Ouest, depuis l’Italie du Nord jusqu’aux régions flamandes en passant par la France et le monde rhénan. Très riche et mettant en lumière un second seizième siècle moins connu, si ce n’est les maîtres vénitiens, son déroulé n’est cependant pas toujours très lisible.

Une monographie thématique sur le maniérisme
L’exposition aborde avant tout, par le terme « marketing » de l’automne de la Renaissance le maniérisme. On ne retrouvera pas réellement les tenants de « l’orthodoxie » antique et la recherche de ses idéaux, alors qu’ils continuent de produire sur tout le continent. De même, plusieurs foyers centre-européens ne sont pas ou peu représentés (au-delà de Prague, Cracovie, Buda et Pest…). Rodolphe II, empereur habsbourgeois, incontournable par l’ampleur de ses commandes et la richesse de sa cour, est cependant présent par un portrait officiel. On perd donc en exhaustivité ce qu’on gagne en clarté sur ce qui est finalement central dans le parcours, le maniérisme.

Au second quart du XVIe siècle, alors que la Réforme protestante se précise, les peintres italiens mais et leurs homologues d’Europe francophone et du Nord délaissent la recherche des proportions idéales et de l’équilibre de leurs pairs jugés indépassables pour mettre en avant leur manière (d’où le terme de maniérisme). Les visages se tordent, les corps des héros mythologiques sont gagnés par la disproportion des musculatures mises à l’épreuve, les architectures sont moins symétriques… Le temps de la recherche de la cité idéale est donc bel et bien fini, Les massacres du Triumvirat de Pomarède de même que d’autres allusions aux conflits religieux font écho au contexte de divisions internes à l’Europe et à la fin de cette tension des milieux érudits et artistiques qui avaient animés le début de la Renaissance. Une armure vient renforcer le trait. La période est troublée, la peinture le reflètera. Le prêt du Louvre (l’exposition est un partenariat entre la ville de Nancy, l’institution parisienne et Ecouen) est l’une des pièces majeures de l’exposition. Il rappelle d’après Appien étrangement la Saint-Barthélemy, ou plutôt l’annonce (il date de 1566). Mais les maniéristes comme Carrache, Goltzius, Bunel… sont avant tout des peintres de cour et le cheminement de l’exposition rappelle dès son commencement cet aspect essentiel. Ils renouvellent le style du portrait royal. Se font ainsi face Elisabeth Ière, Henri IV, Rodolphe II et Philippe II. Ils impriment leur point de vue sur ces portraits et laissent paraître le corps mortel du souverain derrière le pouvoir, sans pour autant en faire des représentations intimes, du for privé. Pour autant, l’espagnol reste invariablement hiératique.

La première section de l’exposition est donc très « politique » dans son approche du travail des maniéristes. Le Greco y tient une petite place par un portrait étonnant d’expression.

Parmi les peintures, les estampes…
Plus loin, le visiteur admire les thèmes religieux et mythologiques réinterprétés par le Tintoret, Véronèse et consorts. Les comparaisons d’un même thème continuent de nourrir notre regard : Noli me tangere est un bon exemple, alors que le Christ ressuscité ne doit pas être touché par ceux-là mêmes qui ont foi en lui. Lorsque la comparaison sur place est impossible, les cartons rappellent les œuvres similaires, rappel pédagogique appréciable. Ulysse et Circé de Spranger, abondamment cité, est un autre exemple.

Les estampes de Bellange impressionnent par les traits tirés des personnages ainsi que par leurs inquiétants doigts effilés. La lumière elle-même se fait inquiétante… Au cours de l’exposition, une large place est consacrée à Jacques Callot dont la première partie de son œuvre est consacrée à une production de cour qu’on oublie souvent au profit de la série Les grandes misères de la Guerre de Trente Ans. On cherchera Arcimboldo pourtant présent dans le titre même de l’exposition…

Le parcours conduit ainsi le visiteur de l’évolution à la digestion et jusqu’à l’extinction des critères esthétiques de cette civilisation de la Renaissance qui avait essaimé en Europe et que Jean Delumeau avait analysée. Le maniérisme depuis les années 1520 et pour un demi-siècle en est le fossoyeur joyeux ou grondant mais toujours excessif.

La diversité d’un XVIe siècle d’influence italienne
L’exposition fait aussi une place, entre représentations de souverains et peinture religieuse, aux « peintures d’agrément » qui s’inspirent du monde rural. Les héros antiques reparaissent, notamment avec Le jugement de Paris, preuve que l’époque réinterprète mais n’oublie pas les thèmes majeurs. Une salle est entièrement consacrée à ces forêts et au monde des champs. L’école d’Utrecht, prenant le relais de l’art italien s’essoufflant, y est particulièrement représentée.
Dans son prolongement, on entre dans une salle quasi close et correspondant bien à son thème, le cabinet des curiosités. Amoncellement d’objets scientifiques, de curiosités exotiques (coquillages sertis et décorés) ou encore d’animaux empaillés et transformés (un crocodile géant est présent), le cabinet reflète cet esprit toujours conquérant de l’Europe des guerres de religion aussi bien que la magnificence du Prince. Il est par ailleurs le lieu où peuvent s’exprimer les autres représentants des beaux arts et de l’artisanat d’art d’alors : joaillerie, ferronnerie, travail de la pierre, sculptures…

On reconnaîtra une partie des œuvres qui avaient été présentées il y a quelques années dans l’exposition du musée Maillol consacrée aux Trésors des Médicis. Le memento mori, référence fréquente à la mort, est étrangement absent mais la marqueterie de pierre si caractéristique de l’art florentin est bien là. On ne sait cependant pas trop si certaines pièces sont plus tardives (les cartons sont parfois moins clairs). Ces deux sections très courtes n’en donnent pas moins un aperçu plus général de la production artistique de l’époque.

La genèse du XVIIe siècle artistique européen
L’exposition se termine avec l’aube du XVIIe siècle après un parcours tortueux et discontinu (l’objectif étant sans doute de faire se promener le visiteur – un peu longuement – dans les très riches collections du musée). Le fil chronologique déjà peu clair est donc finalement raccroché par une ultime salle où trônent Annonciations et autres motifs religieux. On pourra rester longtemps devant cet art de la Contre-Réforme que Rubens incarne particulièrement, avec la monumentale Transfiguration, issue des collections du musée.

Dans cette salle, on saura apprécier combien le début du XVIIe siècle a tiré un trait précieux, avec une nouvelle génération, sur les deux siècles précédents. Les formes du Rubens ne se réfèrent directement que par le thème à la production italienne passée. Les jeux de lumière préparent la maîtrise du clair-obscur du Caravage, de Carrache. On a vu l’Ecole de Fontainebleau, plus tôt, réinterpréter les thèmes majeurs et travailler puis faire passer un « style français » qui prépare déjà celui du Grand Siècle, peut-être même du rocaille. Les représentations royales elles-mêmes vont devoir être restaurées après la crise du second XVIe siècle et la fin d’un premier âge absolutiste des monarchies atlantistes.

Point faible de l’exposition, on aura du mal à comprendre la circulation des thèmes et des styles, leur renouvellement si on n’est pas familier de l’histoire de l’art des XVIe et des XVIIe siècles. Les rapports entre maniérisme et baroque, si importants en France, sont de même éludés.

L’exposition est au final un propos largement monographique et thématique riche. Ouvert sur la comparaison de thèmes ponctuels, il l’est moins sur les dynamiques d’échanges et de transmission. Il n’en abrite pas moins des chefs-d’œuvre se suffisant à eux-mêmes. Cette exposition prend place dans un programme « Renaissance Nancy 2013 ». Le visiteur pourra ainsi se rendre notamment au Palais du gouvernement, où la fabrique du Nancy de la période moderne est expliquée par de nombreuses illustrations.

catalogueCatalogue d’exposition : Collectif, L’Automne de la Renaissance, d’Arcimboldo à Caravage, Somogy Éditions d’Art, 2013, 384 p., 39 €. ISBN : 9782757206720.

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Franck Jacquet
Diplômé de Sciences Po et de l'ESCP - Enseigne en classes préparatoires publiques et privées et en école de commerce - Chercheur en théorie politique et en histoire, esthétique, notamment sur les nationalismes - Publie dans des revues scientifiques ou grand public (On the Field...), rédactions en ligne (Le nouveau cénacle...) - Se demande ce qu'il y après la Recherche (du temps perdu...)

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