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Pari(s) 1900 réussi pour « La ville spectacle » au Petit Palais

Pari(s) 1900 réussi pour « La ville spectacle » au Petit Palais

30 May 2014 | PAR Franck Jacquet

Proposer un regard attractif sur Paris 1900 n’est pas chose aisée tant le risque est important de tomber dans la carte postale vieillie. L’exposition « Paris 1900, la ville spectacle » parvient haut la main à éviter cet écueil et à dérouler un ensemble composé de six très beaux tableaux et d’une scénographie riche appuyée sur une grande diversité documentaire permettant de restituer les facettes du Paris de la Belle Epoque. L’affluence évidente pour le Petit Palais (on se rappelle de l’exposition Yves-Saint-Laurent) indique que le public suit et on s’en réjouit. Le parcours que peuvent s’approprier les enfants comme les passionnés d’art nouveau est rendu accessible par une application dédiée sur smartphone. Le tout est à voir jusqu’à la mi-août.

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Six tableaux sur le Paris de la Belle Epoque

Le parcours se compose de six tableaux sur la vie parisienne de la fin des années 1890 et du début des années 1900. L’entrée, la plus logique pour couvrir le thème de l’exposition, est consacrée à l’exposition universelle de 1900, se déroulant sur plusieurs mois sur les bords de Seine et dont le Petit Palais en est, avec son imposant voisin le Grand Palais, l’une des traces les plus saillantes et réunissant en quelques mois près de 50 millions de visiteurs. Il est donné à voir quelques restitutions des pavillons, particulièrement celui de la Bosnie-Herzégovine par le biais des fresques ornant ses murs principaux, dessinées par Mucha, rappelant combien l’art nouveau pouvait se faire monumental. La scénographie restitue les scansions des pavillons grâce à de multiples cloisons ou encore la reconstruction d’une bouche de métro de type Guimard. On perçoit surtout deux traits particulièrement marquants et tant étudiés par Pascal Ory sur ces grandes foires internationales symboles de l’ère industrielle : le modernisme incarné notamment par Loïe Fuller, fée électricité ultra-médiatisée et le nationalisme illustré par l’ampleur des démonstrations cocardières. Les pavillons français sont en effet très nombreux puisque les régions déclament leurs folklores tandis que l’empire colonial français donne lieu à près d’une dizaine de pavillons censés incarner la plus grande France auprès des visiteurs français comme étrangers. Projets de construction, photographies, lithographies ou bibelots donnent à voir la Belle Epoque parisienne à l’œuvre, mais on retiendra surtout les deux films d’époque restaurés, projetés à taille réelle dans deux couloirs et avec lesquels le visiteur ne peut que se comparer un siècle plus tard, le port du costume bourgeois ou de l’ombrelle en moins… L’exposition est un aperçu de cette culture de masse qui déferle alors sur les sociétés impériales et dont Dominique Kalifa étudie une des facettes dans le très beau catalogue d’exposition.

Dans l’ordre et chacun identifiable avec une nuance scénographique propre, Paris se décline en centre de l’art nouveau, capitale internationale des arts attirant de nombreux artistes étrangers. Elle est ensuite la ville de la Parisienne, la ville lumières où la nuit les spectacles animent les lieux de sociabilités, y compris les théâtres et opéras populaires ou non. C’est sur cette dernière facette que s’achève l’exposition. Que retenir de ces facettes ?

Incontestablement, l’exhaustivité est impossible et les deux dernières parties, mettant en avant les loisirs particulièrement nocturnes, sous-estiment les loisirs élitistes et élitaires pour faire la part belle à ce que préfère le peuple parisien : le théâtre de boulevard, les grandes héroïnes comme Sarah Bernhardt (présente par de splendides affiches de plusieurs de ses triomphes), des films courts de pièces colorisées ou encore un extrait (franchement pas nécessaire) du « Voyage dans la Lune »… L’opéra semble à peine présent. Le mélodrame, style encore populaire malgré son déclin depuis le dernier tiers du XIXe siècle est oublié, ce qu’on pourra remédier en trouvant une évocation de sa place dans l’imaginaire populaire d’alors dans les travaux de Myriam Sfar. Cette dernière partie n’en reste pas moins la plus inédite pour les habitués des expositions sur le Paris 1900 et correspond bien à ce que l’exposition porte de manière générale.

La section concernant l’art nouveau peut sembler critiquable : le foyer parisien n’est que l’un des foyers de l’art nouveau européen et même français. On peut se dire que cette expression à la fois moderne et se fantasmant, par son goût de la « forme naturelle », hors des sociétés industrielles, n’est certes pas propre à la ville lumière. Plusieurs œuvres représentent d’ailleurs le foyer nancéen ou se situent même en lisière de la qualification d’art nouveau. De même, une section principalement composée d’une grande salle semble bien ambitieux pour l’ensemble du courant alors en plein développement. Pour autant on retrouve verres, céramiques, fer forgé, boiseries et ameublement Majorelle ou vitrail ainsi que la ligne « coup de fouet » caractéristique d’une partie de cette constellation artistique. Réussir une évocation générale en un espace si restreint et qui plus est avec quelques-uns des principaux représentants du courant est une gageure ! Et elle est réussie.

A l’inverse, on sera moins enthousiaste sur deux aspects. Le premier n’est pas ce qui est donné à voir dans la section « Paris, la nuit », mais dans ce qui est absent. Le Paris nocturne est restitué dans ses alcôves, ses bas-fonds où la part belle est donnée aux figures et lieux habituels que sont la Goulue, les prostituées des Maisons closes ou encore les cabarets et les apaches et où l’on rencontre quelques artistes de la « Bohême du caniveau ». Le regret que l’on pourra émettre réside en ce que cette section comme la dernière de l’exposition ne laissent que peu de place aux pratiques et lieux de l’élite qui font aussi la gloire parisienne et où l’on voit « persister l’Ancien Régime » (Arno Mayer) à travers la Haute Banque, les résidus des aristocraties et leurs cercles fermés. Les bas-fonds chers à Dominique Kalifa sont surreprésentés et ne contaminent pas l’ensemble de la bonne société parisienne. Le second point est sans doute plus gênant et concerne « Paris, capitale des arts ». Les salles doivent ici montrer le foisonnement et l’attractivité de Paris pour les artistes de tous courants et toutes provenances. On comprend bien, et c’est là l’intention de l’exposition, qu’entre déclin de l’impressionnisme, vagues échos du symbolisme ou émergences de formes de réalismes, il est bien difficile de voir ce qui peut marquer la scène parisienne de la fin du XIXe siècle. Mais l’accrochage est un tel embrouillamini qu’on ne sait où donner de la tête. De même, les Rodin présents sont des esquisses donnant une place à celui qui est alors incontournable (mais alors, pourquoi oublier Dalou ?) mais qui sont d’une piètre valeur pour ce qui serait de représenter la qualité et la diversité de sa production du début des années 1900. C’est donc bien en cette touche superficielle et brouillonne que réside la petite déception de l’exposition.

Une « parisienne » pour peupler les amusements d’une (si) Belle Epoque

Mais alors, qui peuple les foires, les expositions, les salons, théâtres et parcs parisiens d’alors ? La parisienne. Si l’homme n’est évoqué que par quelque haut de forme décelable dans une projection ou une photographie, une section entière est consacrée à celle-ci. Evidemment, elle est bourgeoise, mais on n’oublie pas, une fois de plus, celle qui souhaite lui ressembler et qui lui confectionne ou lui vend ses atours, la vendeuse ou manufacturière – couturière dont le travail est simplifié par les robes « prêtes à coudre » apparues une génération plus tôt. Quels sont donc les signes distinctifs de cette parisienne élevée au rang de stéréotype et qui demeure encore aujourd’hui l’un des principaux clichés dont on abuse pour « vendre » Paris et le goût français ? Elle est d’abord donc aisée ou héritière de la noblesse ; elle peuple d’ailleurs le monde de Marcel Proust. Ici l’élite reprend une place plus importante dans les représentations et les œuvres. La luxueuse robe de Worth pour la comtesse de Greffulhe est sans aucun doute celle qui attire le plus les regards mais elle prend place parmi d’autres magnifiques atours qui dessinent une ligne alors idéale, stéréotypée pour cette parisienne. Loin de résider dans un seul habit, l’identité parisienne est faite de codes, de lieux, de manières de se mouvoir… On s’amusera des dessins de Vallotton critiquant la bonne société et mettant particulièrement en scène l’héroïne de ce quatrième tableau. Rappelons qu’il est assez logique d’évoquer la mode dans la mesure où se constituent alors les premiers acteurs de ce qu’on nomme par la suite la haute couture.

Compartimenter, mettre en scène pour éviter l’ennui : une mise en abîme de la ville lumière ?

La femme idéale, les spectacles déchus, les héroïnes disparues et les pavillons démontés… On pourrait en rester à une impression jaunie de 1900. Il n’en est rien. Les six sections sont équilibrées bien que construites très différemment. Le parcours sinueux et la mise en scène découpent et rythment l’espace.

La cohérence (voulue ?) entre le fond de l’exposition et sa forme est remarquable : de la même manière que Paris scindait et mettait en scène pour construire ses distractions, l’exposition compartimente son propos et joue sur plusieurs registres illustratifs et démonstratifs avec succès. La diversité remarquable des œuvres et pièces exposées permet de restituer la ville au sens fort du terme et de « coller » à chaque ambiance. Si la première partie est découpée comme autant de pavillons, l’unité dans la diversité du mouvement art nouveau en 1900 est illustrée par la confrontation de toutes les pièces en une salle et donc un regard. Les alcôves des cabarets et maisons closes transparaissent avec un petit salon central recréant l’isolement des lieux de plaisir. Les couleurs criardes de la section des spectacles témoignent du foisonnement du boulevard d’alors. Enfin, on saluera un très beau détail, une projection d’un Paris nocturne. Ces dessins réalistes et figurant une « sky line » éclairée des quais de Seine en 1900 sont projetés entre deux sections sur les vitres du Petit Palais de sorte à tamiser la lumière. Ce dispositif immersif est particulièrement réussi.

On notera que cette manière de diviser l’espace correspond bien à la manière dont Paris s’organise en société ségrégée socio économiquement depuis les travaux haussmanniens et la montée des groupes sociaux caractéristiques d’une société industrielle et alors que les anciens n’ont pas disparus, apparaissant d’ailleurs par touches discrètes au cours de l’exposition. On pense alors à ce que le Paris et ses spectacles de la Belle Epoque reflètent une société qui s’effondre en grande partie avec la Grande Guerre commémorée par plusieurs expositions cette saison.

Une application smartphone pour visiter et compléter

Dernière belle initiative à signaler, une application générée exclusivement pour l’exposition. Téléchargeable gratuitement, elle permet de voir plusieurs introductions et explications (d’ailleurs développées dans le catalogue illustré comme il se doit et enrichi d’essais pour part inédits). Elle permet au visiteur d’écouter et de lire plusieurs commentaires d’œuvres et surtout, choix astucieux, de faire le lien avec des pièces des collections permanentes présentes au Petit Palais et souvent oubliées par les visiteurs. Alors que les cartels sont de plus en plus rares dans les expositions temporaires, que les audioguides sont de plus en plus nécessaires pour qui cherche quelques explications, on ne peut que saluer cette initiative de Paris Musées et du Petit Palais donnant un plus large accès aux contenus de l’exposition. Bravo !

Incontestablement, « Paris 1900, la ville spectacle » est l’une des grandes expositions à ne pas manquer parmi les expositions d’un printemps parisien bien fourni. Les quatre commissaires de l’exposition ont su éviter l’écueil d’un tableau jauni. Au milieu d’une très grande diversité d’œuvres mises en reliefs par des ressources documentaires utiles, c’est tout un pan de cette société d’avant la Grande Guerre si commémorée cette année que le visiteur voit se reconstruire.

Visuels :

Visuel 1 :
Visiteurs à l’Exposition universelle de 1900 ; extraits vidéo projetés ; 1900.

Visuel 2 :
« Vitrail-paysage » ; Union centrale des arts décoratifs ; vitrail, fer ; vers 1900.

Visuel 3 :
L’exposition universelle de nuit ; reconstitution – mise en scène de l’exposition à l’entrée de la section Paris la nuit ; projection.

Visuel 4 :
Cape du soir de la comtesse Greffulhe ; Charles-Frédéric Worth ; caftan – soierie, mousseline, or, dentelle métallique ; vers 1896.

Visuel 5 :
Série de danseuses ou Le jeu de l’écharpe ; Agathon Léonard – Manufacture nationale de Sèvres ; céramique ; 1910.

Visuel 6 :
Scène de rue parisienne ; Théophile-Alexandre Steinlein – Manufacture de Sarreguemines ; faïence polychrome à glaçure ; 1902.

Infos pratiques

Musée national Fernand Léger de Biot
Musée d’Ethnographie de Bordeaux 2
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