L’utopie artistique de Vitebsk au Centre Pompidou
Le Centre Pompidou expose un chapitre méconnu de l’histoire des avant-gardes russes : l’effervescence artistique de l’Ecole populaire d’art de Vitebsk où Chagall, El Lissitzky, Malévitch et bien d’autres artistes développent un “art de gauche” fondé sur les idéaux révolutionnaires.
Pour Angela Lampe, commissaire de l’exposition, il était nécessaire d’apporter un éclairage sur cet épisode peu connu de l’histoire de l’art russe. En 1917, la révolution bolchevique renverse la monarchie tsariste. Qu’en est-il de l’art dans ce nouvel ordre politique et social ? Lui aussi se transforme. En phase avec les idées révolutionnaires, Marc Chagall décide de fonder une institution où sera délivré un enseignement artistique de haute qualité et où aucun droit d’entrée et aucune limite d’âge ne seront exigés. L’école populaire d’art de Vitebsk naît ainsi, dans la vague révolutionnaire dont elle épouse les valeurs : collectivisme, éducation et innovation. A l’écart des grandes métropoles, la petite ville de province se transforme en laboratoire de talents où émergent de nouvelles formes d’art.
L’exposition retrace donc l’histoire de cette école qui, initialement fondée sur des valeurs communes, héberge pourtant des styles très différents.
Il y a les formes géométriques de l’Ounovis fondé par El Lissitzky, qui prend en charge les ateliers d’imprimerie, d’art graphique et d’architecture, et Malévitch, figure majeure de l’abstraction. Cercles, carrés et rectangles fleurissent sur les toiles mais aussi dans toute la ville de Vitebsk. Les tramways, opéras, théâtres, façades, affiches, banderoles, magazines ou cartes d’alimentation revêtent les couleurs du courant artistique qui souhaite infuser toute la société. Les deux peintres et leurs élèves affirment “les nouvelles formes de l’utilitarisme du suprématisme”. Cette doctrine du “nouveau en art” est d’ailleurs enseignée aux enfants dans un petit cahier exposé à Pompidou qui raconte, sous forme d’un conte à l’humour assez mordant, la victoire du carré rouge, symbole du communisme, sur le carré noir. “Es-tu prêt à affirmer la philosophie de l’Ounovis dans la vie ?” “Es-tu prêt à te battre pour la réalisation d’une vérité ?” , telles sont les questions peu banales soumises aux étudiants dans le questionnaire des enseignants de l’Ounovis.
L’esthétique de l’Ounovis tranche complètement avec les couleurs chatoyantes de Chagall qui n’adhère pas à ce nouveau courant et affirme son propre “art de gauche”. Mauvais enseignant, ses étudiants lui tournent le dos pour rejoindre le charismatique Malévitch. Avant que les formes géométriques suprématistes n’envahissent la ville, les aquarelles de Chagall étaient pourtant les premières à décorer les rues de Vitebsk pour fêter l’anniversaire de la révolution. On y décèle la joie de l’artiste juif, enfin reconnu comme citoyen russe à part entière, suite à la loi de 1917 abrogeant toute discrimination nationale et religieuse. Le couple Chagall et les hommes du peuple volent au-dessus de la ville, silhouettes immenses éprises de pouvoir et de liberté.
Alors que Malévitch défendait la création d’œuvres collectives, Chagall a sans doute bien fait de conserver son identité artistique, ses toiles colorées aux personnages flottants constituant peut-être la plus belle partie de l’exposition.
Chagall, Lissitzky, Malévitch L’avant-garde russe à Vitebsk (1918-1922) au Centre Pompidou jusqu’au 16 juillet
Visuels © Claudia Lebon