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Les performances de Cindy Sherman sont éternelles à la Fondation Louis Vuitton

Les performances de Cindy Sherman sont éternelles à la Fondation Louis Vuitton

25 September 2020 | PAR Yaël Hirsch

On l’attendait pour mars, elle vient seulement d’ouvrir ses portes le 23 septembre : la rétrospective dédiée à Cindy Sherman investit tout l’espace de la Fondation Louis Vuitton, à travers deux étages dédiés et un dialogue avec les collections. Jusqu’au 03 janvier 2021.

C’est un évènement : plus de 300 oeuvres, immanquablement titrées #Untitled, réunies pour faire le portrait d’une artiste d’autant plus insaisissable qu’elle se met inlassablement en scène depuis 1975 dans des clichés qui tiennent plus de la performance que de la photographie. Selon une scénographie sobre, sur des murs de couleur (blanc, bleu pour les débuts, rose pour la mode, jaune pour le sexe de la poupée), d’immenses tirages venus de musées, collections, et de l’artistes donnent à voir son oeuvre en mutation, sur 40 ans d’un parcours quasi-chronologique. Des miroirs subtils viennent suggérer notre narcissisme en présentant au visiteur son propre reflet tandis qu’un marquage au sol compatible avec les mesures sanitaires en vigueur semble encore mettre plus d’ordre dans ce catalogue très raisonné de l’oeuvre de Cindy Sherman.

Et l’on commence tout en bas, respirant à plein poumon l’air d’Hollywood à travers trois séries : deux de la fin des années 1970, début des années 1980 : Untitled film stills & Rear Screen Projections, puis une plus récente des années 2000 qui porte le nom des garçonnes des années 1920 : Flapper. C’est dans ces grands clichés que l’artiste toujours métamorphosée propose de se présenter en icône, pour mettre en question ce que le 7e art fait aux images figées de la féminité. L’on revient ensuite aux origines et à 1975 avec trois films, des carnets personnels où l’artiste paraphe chacune de ces photos “It’s me”, une rare série où c’est le corps dénudé qui est grimé et reproduit et des couvertures de magazine d’autant plus distordues, que leur une est pastichée et démultipliée par trois avec le visage de Sherman en figure de proue. Enfin, cette section inaugurale se clôture avec l’impressionnante fresque en noir et blanc A Play of Selves où la photographe se démultiplie en noir et blanc sur 72 scènes et 244 silhouettes. S’ensuivent deux séries de flirt avec la mise à nu, d’abord Centerfolds (1981) en position lascive et centrale de tabloïds mais sans rien dénuder et qui devaient être publiés en double morbide dans la revue Artforum et puis la série Pink Robes (1982) où Sherman se met dans le rôle de la modèle qui enfile le peignoir après la pause et où elle est supposée être enfin au plus proche du “naturel” (qui est peut-être tout un concept à jeter aux orties en sortant de l’exposition). Ensuite, la mode a sa place dans une ambiance halée et années 1980 où les déguisements sont signés Gaultier ou Comme des Garçons. Deux séries d’héroïnes terminent cette première phase avec d’abord le fameux tribut à l’Histoire de l’Art History Portraits (1989) et puis, cachés et déconseillés aux âmes sensibles les clichés de poupées qui jouent avec Bellmer et le surréalisme en mode porno (1992). Enfin, l’étage se conclut par des paysages lunaires où le visage est un reflet à retrouver (Disasters), d’angoissants masques et des têtes de clown. C’est sur des fresques immenses et des collages fou que se termine la visite de l’étage.

L’escalator nous mène donc vers la suite où Sherman travaille toujours et encore avec la mode (trois séries dont la monumentale Landcsapes (2008) sur fond de dressing signé Lagerfeld pour Chanel et celles avec Balenciaga qu’on peut également trouver également en partie en ce moments à l’exposition Harper’s Bazaar aux Arts Décoratifs) et puis elle enfile perles, chinchillas, mauvais goût et rides pour Society Portraits (2008), sorte de mix entre Dallas et Desperate Housewifes et la partie vraiment centrée sur Sherman se termine de manière dramatique et peut-être un peu démodée sur une série vraiment travestie aux qualités picturales incontestables, Men (2019-20).

La suite de l’exposition se fond avec les collections de la Fondation repensées pour répondre à l’art de Cindy Sherman. Dans les cimes du bâtiment de Franck Gerhy, l’on redécouvre entre autres l’indépassable Andy Warhol, Annette Messager, Samuel Fosso, Wolfgang Tillmans ou Rineke Dijkstra après avoir eu du Sherman plein les yeux. L’occasion aussi de découvrir une série de tapisserie de la photographe et de sortir définitivement du medium “photo” pour mesurer combien, depuis les Trente glorieuses, “le moi est haïssable”.

visuels: affiche de l’exposition, YH, et Cindy Sherman, Untitled #602, 2019 Collection Fondation Louis Vuitton, Paris. Courtesy of the Artist and Metro Pictures, New York © 2020 Cindy Sherman

Infos pratiques

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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