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Les obsessions de Sam Szafran au Musée de l’Orangerie

Les obsessions de Sam Szafran au Musée de l’Orangerie

25 October 2022 | PAR La Rédaction

Sam Szafran, petite frappe devenu grand maître, est à l’honneur au Musée de l’Orangerie jusqu’au 16 janvier. Trois ans après la disparition de l’artiste intense et discret, cette exposition posthume réunit les pièces majeures de son œuvre aussi fabuleuse que déroutante. Plus de soixante pastels, aquarelles et fusains sont organisés autour de ses obsessions : ateliers, escaliers, et feuillages.

Par Hannah Starman.

Survivant rebelle et artiste autodidacte

Né le 19 novembre 1934 de parents juifs polonais, Sam Szafran, né Samuel Max Berger, grandit dans le quartier des Halles à Paris. A huit ans, il échappe à la rafle du Vel d’Hiv en se faisant passer pour le fils du concierge que l’on aurait embarqué par erreur avec les Juifs. Il se cache en province, d’abord chez des paysans et ensuite dans une famille de républicains espagnols, avant d’être arrêté par la SS en 1944 à Orléans et interné au camp de Drancy. Il sera sauvé par les Américains qui libèrent le camp en août 1944 et deviendra pupille de la nation après la mort de son père à Auschwitz. Envoyé en Suisse en 1944 par la Croix-Rouge, Sam Szafran ne reviendra en France qu’en 1951, après un désastreux séjour chez un oncle maternel en Australie.

Agé alors de dix-sept ans, Sam Szafran est déjà initié au dessin via le Journal de Mickey qu’il copie avec brio et amateur de l’univers de l’illustrateur célèbre de pin-up girls Alberto Vargas.

Il rejoint une bande de voyous qui sème la terreur dans les rues de Paris. Pétri de rage, il picole et file un mauvais coton. Quand Szafran arrive un jour sur une bicyclette prodigieusement décorée par ses soins, son chef du gang lui dit : “Si j’avais ton talent, je ne serais pas un malfrat.” C’est le déclic. Peu soutenu par sa mère qui considère qu’être peintre n’est pas un métier, il prépare son concours d’admission aux Beaux-Arts, mais il échoue en raison de la dictée. Il se confie dans une interview publiée dans le Figaro en 2019 : “Au départ, j’ai été très aigri de mon échec aux Beaux-Arts. Et puis, par la suite, je me suis rendu compte que j’avais eu beaucoup de chance. J’y ai gagné la liberté.”

Une création à contre-courant 

Dans les années 1950, le jeune artiste bohème fréquente les cafés de Montparnasse, la cinémathèque d’Henri Langlois et les cours du soir de la Ville de Paris en 1955. Il pose en tant que modèle à l’Académie de la Grande Chaumière et en échange, on l’accueille au cours d’Henri Goetz. Il rencontre des artistes et des écrivains qui l’inspireront et l’initieront à la peinture, la poésie, la littérature et au jazz : Alexander Calder, Raymond Masson, Nicolas de Staël, Jean Tinguely, Samuel Beckett, Joan Mitchell, Yves Klein et surtout Alberto et Diego Giacometti. En 1963, Szafran épouse son grand amour, Lilette Keller, une Suissesse de Moutier qui étudie la tapisserie avec Jean Lurçat. Leur fils, Sébastien, né l’année suivante, sera gravement handicapé.

En 1960, Sam Szafran reçoit une boîte de pastels Sennelier et délaisse la peinture à l’huile. Il tourne également le dos à l’abstraction et aux avant-gardes et choisit la figuration. Fasciné par le pastel – plus tard, il utilisera la marque Roche – qui lui offre une gamme de 1800 tons, il s’entraîne au dessin comme un forcené. Il s’impose une exigence qu’il explique à Jean Clair dans un entretien paru au Beaux-Arts Magazine en avril 1986 : “Je m’obligeais à un tracé direct, sans repentir. Je m’interdisais de gommer. Quand ce n’était pas ça, je déchirais.” Imperméable aux effets de mode, Szafran poursuit farouchement sa propre voie, réfugié dans son jardin, loin de ses congénères et leurs mondanités qui ne l’intéressent guère.

Les amitiés riches d’un solitaire désintéressé

Sam Szafran rencontrera ses premiers succès dans les années 1960 avec une première exposition personnelle organisée par Jacques Kerchache et la vente d’une vingtaine de fusains au Fonds national d’art contemporain. Il se liera d’amitié avec le poète libanais Fouad El-Etr, fondateur de la revue La Délirante. Szafran collaborera avec El-Etr et La Délirante jusqu’en 1983. Dans les années 1970, Claude Bernard lui offrira sa première exposition personnelle dans sa galerie, et deux ans plus tard, Sam Szafran rencontrera le célèbre photographe Henri Cartier-Bresson lors d’une exposition dédiée à l’art contemporain à Paris.

L’intense amitié qui unit les deux hommes durera jusqu’au décès de Cartier-Bresson en 2004. Le photographe offrira plus de 200 clichés à son ami Szafran et le décrira comme “l’intelligence acrobatique, le cœur en fusion et la déraison fulgurante.” L’extraordinaire collection de tirages originaux dédicacés à Szafran par Cartier-Bresson est exposée jusqu’au 22 novembre 2022 à la Fondation Pierre Gianadda à Martiny, en Suisse. Henri Cartier-Bresson présente Sam Szafran à Léonard Gianadda en 1994 et la Fondation Gianadda offrira au peintre plusieurs rétrospectives, la dernière en 2013.

Une exposition didactique et lumineuse

L’exposition à l’Orangerie ouvre par un rare autoportrait de Szafran de 1959. Le spectateur est ensuite introduit aux ateliers que Sam Szafran occupe à Paris, dans la rue de Crussol, rue du Champ-de-Mars ou encore à l’imprimerie Bellini au 83 rue du faubourg Saint-Denis. La deuxième partie de l’exposition braque le projecteur sur une autre thématique récurrente dans l’œuvre de Szafran : les escaliers. Ancrée dans son histoire personnelle, cette obsession naîtrait dans l’expérience terrorisante vécue lorsqu’il était petit enfant, suspendu dans le vide de la cage d’escalier par son oncle menaçant de le lâcher. Par la suite, menant la vie rude et précaire d’un adolescent à la dérive, Szafran aura passé de longues heures dans les cages d’escaliers, cet espace de passage ou de fuite n’appartenant à personne. “C’est le côté territorial, physique, la survie, les petites bandes de mômes qui tiennent un territoire,” expliquera-t-il plus tard.

La restitution du chaos qui règne dans les ateliers de Szafran ou du mouvement de la lumière de la lune dans l’escalier du 54, rue de Seine, domicile de son ami Fouad El-Etr, est précise, cinématographique et parfaitement réalisée. Szafran apprivoise l’espace en changeant les perspectives ou en zoomant d’une façon qui évoque l’œuvre de cinéastes que le peintre cite parmi ses maîtres de pensée: Serguei Eisenstein, Orson Welles et Alfred Hitchcock. “J’ai choisi dix pastels qui offrent dix vues du même endroit pour montrer comment Sam s’approprie un lieu,” explique Julia Drost, commissaire d’exposition et directrice de recherche au Centre allemand d’Histoire de l’Art.

Feuillages sans fin

Contrairement au cinéma qu’il fréquente dès l’âge de quatre ans, Szafran rencontre le philodendron monstera sur le tard. Il a 32 ans lorsqu’il qu’il découvre, dans l’atelier parisien du peintre chinois Zao Wou-Ki, cette plante qui le fascine, le captive, et fini par l’empêcher de travailler. “Cette impuissance est devenue une obsession,” se confie l’artiste plus tard. Ses grands formats débordant de feuillages qui envahissent l’espace en témoignent. “Quand je dessine mes plantes, je suis assommé par la créativité en elle-même, celle que je vois, et je suis en admiration devant la nature. Devant sa folie, sa violence, devant sa férocité aussi, et devant son calme, devant tout. Quand je pense être arrivé à ce que je m’étais fixé, je me rends compte qu’il y a autre chose. Oui, c’est sans fin.”

visuels (c)

1. Sans titre, 1959, Fusain et pastel sur papier, 78 x 58 cm, Paris, Galerie Claude Bernard © Sam Szafran, ADAGP, Paris, 2022, Photo Galerie Claude Bernard / Jean-Louis Losi

2. Intérieur II, L’atelier de la rue Crussol, mai 1972, Pastel sur calque contrecollé sur carton, 119,4 x 81,3 cm, Etats-Unis, New York (NY), The Metropolitan Museum of Art, New York. © Sam Szafran, ADAGP, Paris, 2022 Photo © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA

3. Escalier, 1974, Pastel, sur papier, 78 x 58 cm, Collection particulière ©

Sam Szafran, ADAGP, Paris, 2022

4. Personnage dans la végétation, octobre 1971, Pastel et fusain sur papier, 120 x 80 cm, Collection particulière © Sam Szafran, ADAGP, Paris 2022

Infos pratiques

Galerie Couillaud Koulinsky
Tourcoing Jazz Festival
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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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