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Les Désastres de la guerre (1800-2014) au Louvre-Lens : entre commémoration et actualité

Les Désastres de la guerre (1800-2014) au Louvre-Lens : entre commémoration et actualité

05 August 2014 | PAR Audrey Chaix

Afin de commémorer le Centenaire de la Grande Guerre, le Musée du Louvre-Lens a choisi de proposer une réflexion autour des représentations de la guerre par les artistes depuis le début du 19e siècle. C’est ainsi que l’exposition Les Désastres de la guerre. 1800 – 2014 donne à voir un parcours chronologique qui, des guerres de conquête napoléoniennes à nos jours, retrace les différentes visions de la guerre par les artistes, au fur et à mesure qu’évoluent les mentalités, les représentations de la guerre, et les moyens de s’exprimer. Une exposition qui ne se veut pas exhaustive, mais qui a soigneusement choisi les œuvres représentées pour souligner son propos. 

 La première œuvre qui accueille le public, après la lecture du cartel introductif, c’est celle de tous les livres d’histoire : la représentation glorieuse du Premier Consul franchissant le Col du Grand Saint Bernard, de David. Une antithèse complète du titre de l’exposition. Mais qui permet d’anticiper le processus identifié par les commissaires de l’exposition, Laurence Bertrand Dorléac, Marie-Laure Bernadac et Dominique de Font-Réaulx : il s’agit ici de montrer comment les artistes sont peu à peu passés d’une représentation héroïque de la guerre à une vision désenchantée. En regard du tableau de David sont ainsi présentées des œuvres de Géricault et de Goya beaucoup plus sombres, sur lesquelles soldats blessés et civils sont montrés en situation de souffrance.

Cette salle consacrée aux guerres napoléoniennes est ainsi le commencement d’un long désenchantement qui se traduit au fur et à mesure que de nouveaux conflits déchirent l’Europe, puis les Etats-Unis, et enfin le monde entier. Une grande place est accordée dans l’exposition à la diversification des moyens d’expression à la disposition des artistes. Ainsi, c’est pendant la Guerre de Crimée (1853 – 1856) qu’apparaît l’usage de la photographie pour donner des nouvelles du front. Sauf qu’à l’époque, la photographie est là pour servir la propagande, elle ne doit donc pas montrer de cadavres ou de blessés. Ce sont donc des photographies désertes qui représentent le front de Crimée, d’autant plus poignantes qu’elles suggèrent des images bien pires que celles qu’elles ne peuvent montrer.

Alors qu’arrive la Première guerre mondiale, seule la photo semble suffisamment fidèle à la réalité pour représenter fidèlement l’horreur de ce qu’ont vécu les Poilus dans les tranchées – même si les gravures d’Otto Dix, inspirées de celles de Goya au 19e siècle, donnent à voir le cataclysme avec une force peu commune. Alors que l’exposition évoque les conflits de la seconde moitié du 20e siècle, la photographie devient essentielle, à la fois journalistique et artistique, formidable influenceur d’opinion.

Artiste engagé, artiste soldat ou artiste journaliste, tous font état de ce désenchantement qui contourne la censure et se fait porte-parole de ce qu’endurent les troupes et les civils lorsqu’une guerre éclate. Ce sont les peintures d’Auguste Vinchon pendant la guerre d’indépendance des Grecs (1821 – 1830) qui représentent la population, les couvertures satiriques réalisées par Jean Veber pour L’Assiette au Beurre pour dénoncer les exactions commises par l’armée britannique pendant la guerre des Boers (1899 – 1902), les photographies poignantes des victimes des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki ou encore les enfants fuyant le napalm devant les GI américains… L’artiste, autrefois outil de propagande, bascule du côté des victimes pour dénoncer l’horreur des conflits et défendre les plus faibles, tout en dénonçant l’absurdité des guerres. Conscient de la portée de ses propos – surtout en ce qui concerne la photographie de guerre – l’artiste se fait aussi dénonciateur.

Alors qu’elle retrace l’histoire des conflits du monde depuis 1800 en regardant les guerres au travers du prisme des représentations livrées par les artistes contemporains, l’exposition Les Désastres de la guerre. 1800 – 2014 apparaît criante d’une douloureuse actualité. Car, alors que défilent devant nos yeux les images de guerres qui peuplent notre imaginaire, on ne peut s’empêcher de penser que la liste est loin d’être arrivée à son terme, et que de nouvelles salles pourraient bientôt enrichir une telle exposition : Syrie, Mali, Ukraine, Palestine… autant de noms qui pourraient bien figurer eux aussi sur les cimaises des salles d’exposition temporaire du Louvre-Lens.

Crédits photos :

Yan PEI-MING, Exécution, après Goya, 2008, huile sur toile, 280 x 400 cm, Collection particulière © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris 2014. Photographie André Morin

Emile BETSELLÈRE, L’Oublié !, 1872, huile sur toile, 125,5 x 200,5 cm, Bayonne, musée Bonnat-Helleu. Dépôt de l’État en 1873, transfert de propriété de l’État à la Ville de Bayonne, le 27 avril 2007 inv. CM 173 © Bayonne, musée Bonnat- Helleu / cliché A. Vaquero

Marcel GROMAIRE, La Guerre, 1925, huile sur toile, 130 x 96,5 cm, Paris, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris AMVP 649 © ADAGP, Paris 2014 © RMN-Grand Palais (Musée d’Art moderne de la Ville de Paris) / Agence Bulloz

Nick UT, Vietnam Napalm 1972, 1972, photographie noir et blanc, New York, Associated Press Image © Nick Ut / Associated Press / Sipa

Infos pratiques

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Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

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