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Le Pérugin, Maître de Raphaël ? : le musée Jacquemart-André rouvre le débat

Le Pérugin, Maître de Raphaël ? : le musée Jacquemart-André rouvre le débat

11 September 2014 | PAR Géraldine Bretault

Après Fra Angelico en 2011, le musée Jacquemart-André invite un autre grand Maître de la Renaissance sur ces cimaises. Plus qu’une monographie, cette exposition tente de répondre à une question qui continue de diviser les spécialistes : la parenté stylistique entre Le Pérugin et Raphaël est incontestée, mais le futur génie de la Renaissance est-il passé par l’atelier du Pérugin, ou s’en est-il simplement inspiré ?

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Dans une scénographie sobre et classique, la commissaire de l’exposition Vittoria Garibaldi a imaginé un parcours qui prend le temps d’asseoir le contexte de la création à l’époque de Pietro Vannucci (vers 1450-1523), dit le Pérugin, pour s’achever avec emphase dans les deux dernières salles qui confrontent les œuvres du Pérugin à celles de Raphaël.

Après une première salle consacrée à la formation du peintre, la seconde entre dans le vif du sujet, en nous permettant de comparer les fonds dorés hérités du gothique de Bartolomeo Caporali, par exemple, avec les magifiques paysages ombriens dans lesquels s’inscrivent les douces Madones du Pérugin. Un devant d’autel en marbre illustre par ailleurs l’influence de la sculpture, découverte auprès de Verrocchio.

Pour évoquer les fresques du Pérugin au Vatican, il faudra se reporter à la vidéo dans le salon voisin de l’exposition. Jouxtant les portraits des artistes ayant collaboré avec lui dans la chapelle Sixtine, se détache le magnifique portrait de l’artisan aisé Francesco delle Opere, qui traduit à lui seul tout le savoir-faire technique du Pérugin : du pur simulacre physique, le portrait se fait esquisse psychologique sous son pinceau, et le regard du sujet laisse transparaître sa perplexité face aux sermons de Savonarole – un contexte politique et religieux qui domine la vie florentine en fin de XVe siècle, et qui nous est rappelé par le phylactère qu’il tient dans sa main droite. Notons également la vivacité de la chevelure rousse, traversée de lumière, et la beauté du paysage, à l’image du lac de Trasimène voisin.

Après une digression autour du portrait vénitien, découvert par le Pérugin lors d’un voyage dans la Sérénissime, l’exposition aborde sa production profane, autour de l’œuvre “ratée” conçue pour et avec Isabelle d’Este pour son studiolo dans le Palais ducal de Mantoue. Si la commanditaire et son artiste n’ont pas su s’entendre, ce dont se ressent la composition embrouillée du premier plan, il faut y voir, au-delà du caractère réputé difficile de la marquise, le reflet des discussions sans fin qui animaient les humanistes autour des théories néoplatoniciennes.

Le clou de l’exposition nous attend dans les deux dernières salles : le visiteur est maintenant prêt à exercer son propre regard critique pour tenter de discerner ce qui caractérise l’art de Raphaël, et l’éloigne de celui de son Maître (?) Pérugin. Si la présentation parallèle de deux prédelles de retable est très intéressante pour jouer au jeu des différences, il est dommage en revanche qu’aucun schéma ne permette de comprendre la composition générale des retables dont sont issus ces fragments d’oeuvre, puisque ces polyptiques répondaient souvent à des compositions originales dictées par leurs commanditaires.

Le visiteur découvrira les avis divergents des spécialistes de ces peintres dans le catalogue, mais rappelons l’enjeu de ce débat : si Raphaël n’a pas été l’élève du Pérugin et s’en est simplement inspiré, la figure du Pérugin ne saurait être complètement réhabilitée, malgré la réparation d’anciennes erreurs d’attribution, comme l’Apollon et Daphnis du Louvre auparavant attribué à Raphaël. Si en revanche, on accrédite cette thèse, alors Raphaël est redevable au Pérugin de la douceur dont il a su nimber ses personnages pétris d’humanisme, et d’aucuns avancent qu’il ne serait jamais devenu ce génie incontournable de la Renaissance sans l’enseignement avisé du maître ombrien…

Site de l’exposition

 

Visuels :

Saint Bernardin guérit d’un ulcère la fille de Giovanni Antonio Petrazio da Rieti © Soprintendenza BSAE Umbria-Perugia
Vierge à l’enfant © National Gallery of Art, Washington
Saint Philippe et saint Augustin, © STC Mairie de Toulouse
La Résurrection © C. Lancien, C Loisel / Musées de la Ville de Rouen
Francesco delle Opere © Soprintendenza Polo Museale della Citta di Firenze
Retable de Fano © Soprintendenza ber i Beni Storici Artistici delle Marche

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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