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Le Palais de Tokyo surfe sur les « Nouvelles vagues »

Le Palais de Tokyo surfe sur les « Nouvelles vagues »

28 June 2013 | PAR Franck Jacquet

Jeudi 20 juin dernier, le Palais de Tokyo proposait son grand vernissage d’été à l’occasion de l’ouverture de l’exposition « Nouvelles vagues » se déroulant jusqu’au 9 septembre prochain. L’occasion de revenir sur la figure du curateur en donnant à une « nouvelle » génération (beaucoup parmi les présents ont déjà bien démontré leurs armes) de ces organisateurs et promoteurs d’expositions et d’événements carte blanche en une vingtaine de sections. Les 20.000m2 de création sont largement incarnés par la pluralité des approches et des choix individuels d’où un grand éclectisme : intéressant, enrichissant, parfois déroutant…

nouvelles vaguesLe curateur, figure centrale
Alors que Bernard-Henri Lévy devient cet été aussi commissaire d’exposition à la Fondation Maeght, le Palais de Tokyo fait le choix lui aussi de porter le projecteur sur le curateur. On doutera d’emblée de la profondeur de cette « transformation de l’écosystème de l’art » que serait le rôle pris aujourd’hui par cette figure dans la production et la diffusion, mais on doit tenir compte d’un phénomène de masse réel (à petite échelle) puisque depuis une vingtaine d’années, le terme s’est réellement développé. Une vingtaine de commissaires d’exposition âgés d’une trentaine d’années (parfois moins), de plusieurs continents depuis la Corée jusqu’à l’Amérique du Sud ont été choisis pour habiter le Palais le temps de l’été. L’ensemble n’existe qu’à travers des démarches juxtaposées, comme des pavillons. Chacun de ceux-ci est composé par un commissaire, parfois deux (« The floating admiral » par Ana Mendoza Aldana et Cartel de Kunst) ou même par un groupe (« Artesur, collective fictions ») qui choisissent les œuvres et les artistes. La seule « monographie » à proprement parler est choisie par Marc Bembekoff : « Baitogogo » de Henrique Oliveira est une œuvre très forte se présentant sous l’aspect d’un trompe-l’œil. Un puissant tronc et ses branchages prennent place dans une salle du niveau – 2, s’appuyant et tenant en même temps la structure métallique de la friche. On ne sait plus lequel des deux soutient l’autre. Ce brésilien propose ainsi une évocation des favelas poussant organiquement dans les grandes métropoles ; on pourra y voir une nostalgie primitive dans le Palais de Tokyo. L’installation doit durer au-delà de l’exposition et servira pour les jeunes publics…

Un parcours, une vingtaine de sections
Les 21 sections forment un ensemble de plusieurs centaines de travaux, ce qui peut apparaître pléthorique sans compter les installations annexes et les performances ou événements. Revue de quelques exemples marquants.

Si les racines de H. Oliveira se trouvent logiquement en terre, la section « Condensation » propose tout en haut un parcours faisant référence à l’alchimie et s’appuyant sur des matériaux dits nobles : cristal, soie, cuir, pierres précieuses ou semi-précieuses… Le point commun recherché par Gaël Charbau, réunissant ici plusieurs travaux de résidence de la Fondation Hermès est de mettre en avant le savoir-faire, le geste. Olivier Sévère, poursuit ainsi ses travaux précédents de la cristallerie de Saint-Louis où il mêlait cristal et pierres sur les forces créatrices de la terre par une installation de ce qui pourrait sembler des pierres taillées, travaillées, dont la disposition interroge le visiteur. Marie-Anne Franqueville joue sur la transparence et le double sens entre torture et torturé.
« This House », en contrebas, est le fruit d’un travail de six artistes réfléchissant à la structure sous toutes ses formes : film, collages, installation, peinture…
On s’arrêtera longtemps dans les « Champs Elysées » que nous proposent Julie Boukobza, Simon Castets et Nicola Trezzi. Cette station est sans doute l’une des plus marquantes du parcours. La mort est représentée comme fonction sociale dans notre Occident et même au-delà : les cimetières sont au fond construits pour les vivants, la barque mortuaire de Charon nous trompe autant qu’elle nous inquiète, les plaques rappellent aux proches des défunts où ils doivent se recueillir… Ne manque qu’un memento mori…

Plus ludique, le « Concert hall » est une grande installation environnementale, grande bâtisse que le Palais peut accueillir de par sa taille sans pour autant laisser le reste de l’espace être écrasé. Le collectif Rabid Hands et Sunita Prasad nous font entrer dans une maison vivante : de bois, elle respire par la musique qui joue en permanence ; par les échos intérieurs elle répercute les sons ; aux spectateurs elle réagit par ses mélodies. Attraction géante, elle est l’un des succès depuis l’inauguration.
On retiendra encore pour terminer la force, le primitivisme et le cosmopolitisme des œuvres composant « Companionable silences », ensemble plus classique pour le Palais de Tokyo où l’on trouvera des accents de naïfs, de Gauguin… Enfin, commençons par le commencement : « La méthode Jacobson » permet au visiteur d’entrer dans le parcours par une réflexion sur les images mentales et leur construction en référence aux travaux du célèbre médecin. Sombre et apaisante à la fois. On y trouve notamment les travaux d’A. Ryszkiewicz dont les dépouilles d’animaux font écho au contenu de cartes postales. « The real thing » est enfin à savourer en longueur.

Au chapitre de ce qu’on comprend moins, « Le principe Galapagos ». La bâtisse catalane, intéressante chez Bétonsalon paraît inutile face au « Concert hall ». Surtout, les visiteurs semblent totalement perdus par « Le club des sous l’eau » : le propos s’attache à mettre en résonnance les travaux du cinéaste Jean Painlevé, pionnier du cinéma scientifique et particulièrement des documentaires sous-marins, et les traces de ceux qui rappellent son travail au début du XXIe siècle dans le cadre d’un club de plongée. Inutile (?).Les performances de la soirée d’ouverture sont de même pour le moins déconcertantes. On se console en se disant qu’on reste hors cible… Ou alors on entre mal dans l’anecdotique : dans la salle de projection, un théâtre improvisé est animé par un acteur (panto)mime jouant sur le rythme d’une voix grave de femme confiant des jeux sexuels : « entre avec ma langue en moi avec… « toutes sortes de choses, dont de l’huile d’olive… No comment. On passe et on retourne vers « Champs Elysées » !

Le Palais de Tokyo à la conquête de Paris ?
L’exposition est complétée par plusieurs associations. Le bâtiment du Palais est lui-même transformé par plusieurs artistes dont l’habitué Vincent Ganivet mais aussi par Toiletpaper dont l’intervention a été annoncée à grand renfort de numéro spécial de Libération.
Surtout, le Palais affirme son leadership sur la création contemporaine en s’associant avec plusieurs galeries, une quarantaine au bas mot. Et pas des moindres : Perrotin, Praz-Delavallade, Le Minotaure et jusqu’à la Fondation d’entreprise Ricard. Les curateurs tout aussi jeunes ou plus expérimentés et reconnus (L. Grasso, A. de Galbert…) composent aussi leur propre pavillon essaimant loin du Palais. On recommandera la Galerie 1900-2000 avec « Purkinje effect » et le choix de Dorothée Dupuis à la Galerie Alain Gutharc.

Après le grand succès de « Soleil froid » et particulièrement de l’exposition J. Le Parc, le Palais de Tokyo devait continuer sur sa belle lancée. Si la juxtaposition peut désarçonner, beaucoup parmi les sections proposées par les jeunes curateurs des scènes nationale et internationale relèvent le défi et confirment le succès du centre parisien en présentant une grande diversité de travaux de tous horizons et dont les perspectives sont mises en reliefs par ces nouveaux commissaires amenés à animer la création des prochaines années.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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