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L’archive et la collection au coeur des Rencontres photographiques d’Arles

L’archive et la collection au coeur des Rencontres photographiques d’Arles

18 July 2014 | PAR Yaël Hirsch

Dernière édition chapeautée pat François Hébel, ces 45èmes rencontres d’Arles se placent normalement sous le signe de la “Parade”. Mais à y regarder de plus près, dans un festival qui a quand même remis le prix Pictet à un Michael Schmidt, un photographe allemand tout juste décédé et obnubilé par les packagings industriels de la malbouffe qui nous ronge depuis les 30 glorieuses, c’est bien le passé qui prend toute la place. Une conjonction de collections, rétrospectives et archives de beauté, qui explique peut-être en partie la déception de certains journalistes en quête de nouvelle sensations et qui son plusieurs à décrier un festival “trop convenu”. De notre côté, la réinterprétation du passé, ne nous semble jamais vraiment “convenue” mais au contraire riche de sens sur notre société et notre création présentes (voir notre dossier). Bref, nous défendrons ces rencontres d’Arles où nous avons été éblouis et étonnés et où nous avons réfléchi à hier, à aujourd’hui et à demain!

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Lucien Clergue, l’omniprésence du fondateur
En tête d’affiche du caractère rétrospectif des 45ème rencontres, l’on retrouve l’incontournable Lucien Clergue, autodidacte originaire d’Arles, fondateur du festival en 1968, ami des plus grands dont Picasso, et inlassable amoureux de la Camargue. Il est présent au parc des Ateliers, à l’exposition de Christian Lacroix sur l’Arlésienne (voir notre article) et surtout au Musée Reattu, qui lui consacre une rétrospectives en trois étages, et un diaporama permanent en sa salle centrale. On redécouvre donc avec plaisir les maïs calcinés un peu surréalistes de Camargue, des scènes de la vie quotidienne des années 1950 & 1960 à Arles et surtout Saint Marie de la mer et les nus si poétique du grand homme.

Swirc, Bailey, Perez : du côté des “stars”, des rétrospectives “people”
Les “stars” de ces Rencontres aiment elles-mêmes immortalisée les stars et d’ailleurs volontiers en noir et blanc. Au cœur de la ville, la Chapelle Saint-Anne expose une rétrospective qui a fait courir le tout Londres du photographe de mode bristish David Bailey. Et il est fascinant de voir comment, de Michael Caine à Kate Moss en passant par les Stones, le photographe a siasi tout le star system depuis les années 1960. Mais il est aussi intéressant de noter que sa technique sépia de cadrage reste la même, ce qui rend parfois difficile l’art de dater les clichés et donne un caractère intemporel, voire rétro aux plus récents. Heureusement, de grands formats très rock et eighties viennent énergiser toute cette mélancolie de l’ère de la reproduction industrielle de la gloire.

Dernier chic, c’est un peu hors de la ville, à l’abbaye Romane de Monmajour que les autres photos de stars ont élu domicile. Le lieu est à tomber de beauté. Et dans les grands espace silencieux de l’Abbaye, les collections de portraits en noir et blanc de David Swirc font figure d’iconographie quasi-religieuse (Catherine Deneuve, . Il y a un peu de provoc’ (quelques hommes et femmes politiques dont les Le Pen père et fille) mais surtout un caractère spirituel à la Tarkovsky qui donne à l’exposition de faux airs d’éternité anonyme. Paradoxal et passionnant.

A côté, Vincent Pérez (oui! l’acteur de Fanfan) expose ses amis les people, volontiers en noir et blanc, dans un travail assez ancien et finalement montré, parfois loufoque sur les bords (Bernadette Chirac à l’entrée du palais de Tokyo avec un compagnon juché sur un âne vaut vraiment le détour!). Un passé très présent, donc..

Muniz, Belmenouar : Quelques cartes postales d’antan revisitées
Nous avons eu la chance d’entendre un des grands invités de ces Rencontres nous parler de sa vie et de son art, au Théâtre Antique. Faisant rire tout le public aux alentours de minuit, le brésilien Vik Muniz a des talents très vivants de stand up. Mais quand il explique comment il prend en photo ses collages et quand on voit que ce sont bien des (magnifiques!) cartes postales qu’il expose à l’Eglise des Trinitaires, on se sent partis pour un voyage dans le passé : celui où les grandes vacances c’étaient la mer bleue azur où la marie était en blanc et où les intellectuels peuplaient l’espace public en général et Saint-germain des Près en particulier. Une nostalgie diffuse sur fond rouge, donc.

Et dans le noir des espaces bureaucratique du bureau des lices, d’autres cartes postales ravivent et interrogent le passé. “Bon baisers des colonies” des collections Safia Belmenouar et Marc Combier exhument des images d’Épinal, enfin plutôt du Maghreb, de l’Asie du Sud-Est et d’Afrique occidentale, que soldats et colons envoyaient vers la métropoles. Les clichés sont nombreux mais semblables : femmes lascive aux seins nus, végétation luxuriante et soleil. Bref, un coup d’œil, même dans le noir, suffit à comprendre tout Edward Saïd. Dommage que ces cartes soient exposés en trois blocs “géographiques” sans aucun autre souci de scénographie. On aurait pu imaginer créer des choses bien plus dérangeante avec ce passé colonial toujours très présent dans les mentalités.

Walther & WM Hunt, Les collectionneurs à l’honneur
L’une des expositions les plus impressionnante des Rencontres est sans conteste la fameuse Walther Collection, qui emplit presque tout un bâtiment (Esoace Van Gogh) et force l’admiration tant par la diversité thématique et temporel des œuvres (les portraits solennels de August Sander aussi bien que les bondages d’Araki et les hommes et femmes politiques de Richard Avedon). dans cette diversité, un fil rouge et d’ailleurs encore une fois, volontiers noir & blanc : “Typologie, taxinomie et classement sériel”. L’art est bien mis en boite et rangé, comme il faut. Il se conserve mais n’irradie plus vers le présent. C’est beau, d’une beauté ployante de grand cadavre à l’Ouest.

Au cœur du Palais de l’archevêché, la collection est aussi à l’honneur, un peu plus brouillonne tout de même et moins “people” car on revient vers les foules d’antan avec la collection WM Hunt : qu’il s’agisse de pêcheurs américains des années 1930, de classes de filles ou de meetings politiques, le monde était un grand rassemblement avant que la globalisation ne vienne peut-être tout compliquer!

Mazzacio & Drowilal, Pistoletto et Martin Parr : de la révolution à une mystique qui ne passe pas
On a gardé pour les fin les trois exposition les plus iconoclastes et prometteuses de lendemains qui créent de ces 45ème rencontres. Pour mieux prouver qu’elles aussi s’engluent un peu dans un passé dont elles ne savent que faire au présent.

Dans l’obscurité propice des Lices, Martin Parr s’est fait aider du jeune binôme néerlandais au noms contractés : Wassinnklundgren, pour un mise en scène monumentale de photographies chinoise. L’exposition a l’ambition de brasser 150 ans de photo chinoise. Jouant à la fois la carte de l’archive et de l’humour, elle montre à la marge quelques photographes d’aujourd’hui (coup de coeur pour Jiang Jiang, photographe du Henan) mais dans le fouillis inexpliqué, on retient surtout le second degré sur les images de propagandes mettant en scène le gros mao et on se rattache à ce que l’on connait (Les photos magnifiques de Cartier-Bresson, From one china to the other). Le reste fait figure de vide-grenier auquel participerait un vioeux globe-trotter un peu loufoque.

Kitschs, iconoclastes, réclamant leur droit au mauvais goût, Mazzacio & Drowilal sont, avec leurs couleurs flashys et leurs thèmes dignes d’une téléréalité suédoise tout à fait énergiques. mais leur manière de ruer dans les brancards du beau académique a tout de même un goût de déjà-vu non?

Egalement iconoclaste, mais bien plus habité. Offrant pomme d’Eve à croquer, maints miroirs pour qu’on réfléchisse à notre situation présente, notre chouchou de ces rencontres d’Arles est le photographe italien Michelangelo Pistoletto. A côté des éditions Actes Sud, riche de symboles bibliques; son Troisième Paradis propulse le temps vers l’avant de la chute d’Adam. Somptueux regard vers la création et ce qu’on en fait, bien dans la tendance générale de ces Rencontres fascinées d’archives, mais rarement passéistes.

photos : yael hirsch

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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