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Jacques Pessis : « C’était le summum de la consommation d’électricité en France lorsque Pierre Dac parlait à la radio »

Jacques Pessis : « C’était le summum de la consommation d’électricité en France lorsque Pierre Dac parlait à la radio »

12 October 2020 | PAR Yaël Hirsch

Du 15 octobre 2020 au 28 février 2021, le MahJ présente la première exposition consacrée à Pierre Dac (1893-1975). Derrière l’inventeur du bigloton, du «?schmilblick?», l’exposition révèle l’homme en plus de 250 documents. Passionné, drôle et soucieux de le faire connaître dans nos salles de classe, l’exécuteur testamentaire et biographe de l’humoriste, Jacques Pessis, est le co-commissaire de cette exposition.

C’est une première grande exposition dédiée à Pierre Dac. Pourquoi « seulement » maintenant ?

Pierre Dac disait qu’il valait mieux hériter que de passer à la postérité et j’ai voulu démontrer le contraire. J’ai retrouvé beaucoup d’archives quand j’ai écrit sa biographie en 1992. Et depuis, j’ai tout fait pour que Pierre Dac entre dans les ouvrages scolaires. Cela fait des années que je pensé à l’exposition. Et puis un jour, il y a quatre ans, j’en ai parlé à la directrice du Mahj de l’époque, Anne Hélène Hoog, qui a trouvé l’idée formidable si bien qu’elle est co-commissaire de l’exposition. Nous avons voulu montrer le personnage au-delà de ses sketches, parce qu’on connait les sketches mais on ne connait pas l’homme. Et moi-même en fouillant dans les archives, j’ai découvert des choses que j’avais totalement oubliées ou négligées, que je ne savais pas. C’est vrai que c’était quelqu’un qui parlait peu de lui.

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre ?

J’étais un fan de Pierre Dac depuis toujours. J’écoutais ses feuilletons et ses émissions quand j’étais enfant. Et un jour, j’avais 15 ans, j’étais étudiant et je voulais me procurer les œuvres complètes de Pierre Dac. J’ai téléphoné à RTL et on m’a dit d’écrire au 38 avenue de Villiers. Donc je suis allé rue de Villiers, il y a un 36, un 40, mais il n’y a pas de 38. J’ai mené mon enquête et j’ai trouvé le 24. La concierge m’a demandé ce que je voulais et je lui ai dit que je voulais rencontrer Pierre Dac. Elle lui a téléphoné, il m’a reçu le jeudi suivant et on ne s’est plus jamais quitté. Je suis devenu son secrétaire général particulier, son neveu adoptif et son légataire universel. Et j’étais persuadé que son œuvre avait une valeur au-delà de ce qu’il pensait, car lui il disait : « après moi, ça n’intéresse personne ».

Puisque l’exposition a lieu au MAHJ, en quoi est-ce que l’identité juive était-elle importante pour Pierre Dac ?

Il en parlait beaucoup parce qu’il considérait que son humour était un humour juif, « qui avait 5 000 ans d’avance ». Cet humour lui venait aussi de son père qui était boucher. Donc il y avait un mélange de louchébème -le langage des bouchers- et d’humour juif, qui est un humour très particulier et que Goscinny avait aussi. Goscinny et Pierre Dac, même combat. Dac n’était pas forcément pratiquant, mais il revendiquait son identité juive. Il a écrit beaucoup d’articles dans Le Droit de Vivre pour la communauté juive entre 1938 et 1975. Et il disait « Je ne comprends pas, étant donné mon origine juive, que ma ville natale de Châlons-sur-Marne, ne soit pas renommé Chalom-sur-Marne ». Et avec Francis Blanche, on avait des sketches absurdes, rigolos, très populaires. C’était bien écrit, intemporel. Quand ils font “La recette du water pudding”, un numéro où ils font une recette de cuisine en s’arrosant, c’est à la fois rigoureux, fou et potache. Et il y a un côté canular gaulois en même temps qui se mêle à tout ça.

Et vous, comment définiriez-vous son humour ?

C’est ce qu’on appelle l’humour absurde, l’humour loufoque. Il y a une rigueur dans l’humour de Pierre Dac. Des générations d’humoristes : Desproges, Coluche, les Guignols, Elie Semoun qui a repris les petites annonces de l’Os à Moelle, Michaël Hirsch aujourd’hui … doivent beaucoup à Pierre Dac. Il est arrivé en 1922 dans les cabarets, Il a inventé l’humour à la radio, il a fait L’Os à moelle qui est un journal absurde. Il disait : « Le plus beau compliment qu’on puisse me faire en lisant mes textes c’est de me dire que c’est complètement con mais que c’est vrai ». C’était d’une logique de l’absurde, ce qui est la caractéristique de l’humour juif. Il y avait une logique totale dans ce qu’il disait mais c’était totalement absurde, il prenait le côté absurde de la situation pour la retourner. Et surtout c’était un humour très rigoureux, sans méchanceté et sans vulgarité, où la langue française est très importante. Souvent, il passait des semaines à travailler un texte pour que chaque mot soit parfait.

Qu’est-ce que « l’esprit gaulois » ? 

L’esprit gaulois, c’est l’esprit canular. Pour moi, Pierre Dac, comme Francis Blanche, était un enfant dans l’âme, c’est-à-dire toujours prêt à faire une bonne blague. Ils ont fait beaucoup de canulars ensemble Francis Blanche et Pierre Dac. Cela fait partie d’un esprit qui est en voie de disparition aujourd’hui, sinon c’est pour montrer sur les réseaux sociaux.
Pour vous donner un exemple de canular, l’un de leur grand jeu quand ils étaient en vacances au-dessus de Nice, c’était à l’époque des pistolets à plomb, donc ils en ont acheté un et quand il voyait une dame avec un enfant qui avait un pistolet à plomb, il tirait sur les fesses de la dame et c’est l’enfant qui se prenait une gifle. Et ils riaient comme des fous. Et un jour, un monsieur qui reçoit Pierre Dac lui dit « Vous n’avez pas honte de faire ça ? ». Pierre Dac le prend de haut, avec sa légion d’honneur et il se défend et dit « Ce n’est pas moi ». Et l’homme s’est excusé. Vous voyez le genre de canular qu’il faisait. Francis Blanche se baladait aussi avec une voiture sur laquelle il y avait marquée « Attention explosifs ». La police l’arrêtait et il sortait de sa boite à gants trois pétards.

C’est tout de même un humour engagé ?

L’humour engagé, il l’a surtout pratiqué dans la Résistance. Pierre Dac a fait deux guerres. En 1914, il part sur le front, il est blessé à deux reprises, il continue à se battre et il ressort avec la croix de guerre. Il est parti faire la Grande guerre pour venger ses grands-parents, des juifs alsaciens qui avaient été expulsés d’Alsace Lorraine en 1870 lors du traité de Sedan. Son frère meurt à la guerre, tué dans les attaques de Champagne, il survit et après il devient chansonnier.
Et puis en 1940, alors que dans L’Os à moelle, il a déjà beaucoup attaqué Hitler, il s’en va. Il n’entend pas l’appel du Général de Gaulle mais en entend parler. Il fait un an et demi de prison, dans les prisons espagnoles, avant de rejoindre Londres où il est l’un des français qui parlent aux français. En partant de sa forme d’humour absurde, il s’engage avec des textes très forts contre l’occupant. Il y a un texte qui s’appelle “Bagatelle sur un tombeau” où Henriot l’attaque en disant « Qu’est-ce que ce juif Isaac a à voir avec la France ? » et il répond : « Voilà ce que représente pour moi la France monsieur Henriot ». Et ce texte est un appel à lutter contre l’envahisseur, tout comme il a fait des chansons contre Hitler. Il a passé neuf mois à Londres, il était numéro un de l’humour à cette époque-là. Et il utilisait son humour absurde pour défendre les Alliés et pour apporter courage aux français, à tel point que quand ses chroniques étaient diffusées sur radio Londres, à l’époque, on mesurait l’audience par la consommation d’électricité. C’était le summum de la consommation d’électricité en France lorsque Pierre Dac parlait à la radio. Ça, c’est son engagement de patriote, de soldat, de résistant. Il a eu la croix de guerre et la légion d’honneur après la guerre. À l’après-guerre il a aussi été correspondant de guerre. Et après il y a eu la seconde partie de sa carrière, avec Francis Blanche, qu’il a rencontré, qui était son fils spirituel, avec qui il a monté des spectacles et des feuilletons délirants.

Comment fonctionne leur duo ?

La rencontre a lieu en 1949, à l’époque Pierre Dac est au plus bas, l’humour loufoque ça ne marche plus durant l’après-guerre. Et ils commencent à travailler ensemble, à écrire des émissions de radio, parfois avec De Funès. Cela s’appelle Faites chauffer la colle et ils créent tous les deux des revues, des sketches, des feuilletons, et deviennent le duo numéro un des années 1950 parce qu’ils sont parfaitement complémentaires. Pierre Dac écrit pendant des mois et des mois, Francis Blanche est un improvisateur, donc les deux se complètent. Ce sont deux gamins qui s’amusent ensemble.

Quel est votre sketch préféré ?

J’ai une préférence pour le feuilleton ‘Signé Furax’ et ‘Bons Baisers de partout’, le premier avec Francis Blanche et le second tout seul, qui sont des purs chefs d’œuvre. Vous pouvez les écouter sur Internet, il y en a sur Deezer, vous allez comprendre, pour moi c’est le chef d’œuvre absolu. A part ça, dans les sketches de Pierre Dac, j’aime tout. Mais quand même, il y a des chansons étonnantes comme ‘la Tyrolienne haineuse’, qui a été reprise par Juliette, la chanteuse. Il y a ‘Le Parti d’en rire’, avec Francis Blanche, qui est délirant. Mais il n’y a pas de sketch particulier, c’est une œuvre vous voyez. C’est une œuvre complémentaire, il y a des chansons de 1920 qui sont complètement dépassées, mais il y a des sketches des années 1950 qui sont d’une actualité brûlante. « Le sous-marin de poche revolver », par exemple, est est à pleurer de rire.

Et vous avez réussi à les mettre au programme des dans les écoles ?

Maintenant dans les écoles on apprend le schmilblick, le schmilblick c’est Pierre Dac, même si on a en tête le sketch de Coluche, le mot a été emprunté à Pierre Dac. On y étudie aussi Bagatelle sur un tambour. Et il ne se passe pas un mois sans qu’on me demande un texte de Pierre Dac pour les écoles. Par exemple, on m’a demandé l’autorisation de mettre dans un livre scolaire la parodie d’Après la bataille de Victor Hugo, et on me demande quel est le prix des droits. Et c’est gratuit parce que c’est une belle vengeance. A 15 ans, quand on m’interrogeait sur Après la bataille de Victor Hugo, je me trompais alors je racontais celle de Pierre Dac et j’avais zéro…

 

 

Visuel : affiche de l’exposition

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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