« Graphisme contemporain » : l’exposition engagée de la BNF
Sur son site François Mitterrand, la BNF propose actuellement une exposition rassemblant des créations de 27 graphistes travaillant en France de 2000 à aujourd’hui. Les champs abordés, de l’humanitaire au social en passant par les causes politiques sont fédérés autour d’un fil rouge : l’engagement. Une exposition incisive.
Comment ces artistes français engagés ont soutenu et continuent de soutenir des opinions, de rappeler des droits fondamentaux, de prêter leur créativité à ceux dont la voix est trop peu entendue, voire étouffée ? Comment ne pas être troublé par l’actualité travail de Pascal Colrat, datant de 2011, qui interpelle le visiteur d’un « Il n’ a pas d’étrangers, il n’ a que des gens que nous ne connaissons pas encore » ? Comment rester indifférent aux « Très précis de conjugaisons ordinaires » de David Poullard & Guillaume Rannou, qui conjuguent dans « Le Travail » le verbe cadre diriger à tous les temps, telle une prophétie auto-réalisatrice ? Comment rester indifférent à ces voix qui s’élèvent à l’unisson pour des droits fondamentaux, comme le droit des femmes, car oui, dans les années 2000, il faut encore le rappeler ?
En filigrane, la défense de l’utopie
L’exposition pose au travers d’une réflexion récurrente sur différents thèmes la question de la nécessité des utopies. Et Gérard Paris-Clavel de proclamer « Utopiste debout, Rêve générale », affiche sous-titrée de « Défense d’affliger », tel un commandement trop souvent oublié et qui transcende toute croyance et toute religion. En 2006, en guise de vœux de bonne année, Thierry Sarfis dans son « Atlas subjectif de l’expression » illustre la Russie un cadre vert reprenant les mots de Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine « Sans utopie, aucune activité véritablement féconde n’est possible ». Plus loin, une affiche pour le Marc’Had Reizh, (« Marché équitable » en breton) de Nantes, réalisée par Jil Daniel en 2013, proclame « Pas d’avenir sans utopie ! » pour la défense d’un commerce et d’un artisanat de proximité. Les graphistes français, militants des utopies ? L’utopie est-elle nécessaire à la réalisation, à la fécondation d’idées qui nécessite un temps désormais disparu ? Ou bien permet-elle, telle un mirage, de rendre une réalité d’une violence toujours plus paradoxale et antinomique avec la marche du progrès juste supportable ? A ce titre, l’affiche conçue par Anne-Marie Latrémolière avec Les Graphistes Associés, d’abord parue sous forme de tract en 1995-1997 repris au format affiche dans le cadre de Graphisme dans la rue 2005 à Fontenay-sous-Bois, reprenant les mots du regretté Alain Jacquart, grand militant de l’évolution de la conscience collective, fait l’effet d’une douche froide à l’heure du tout capital et du tout immédiat : « J’ai peur d’une société qui est tellement axée sur la compétition, la concurrence… une société qui ose nous dire : « vous devez-être des gagnants ». Mais qu’est-ce que c’est qu’un gagnant sinon un fabricant de perdants. Je n’ai pas le droit de fabriquer des perdants… »
Car une chose est certaine : « Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été péché alors on saura que l’argent ne se mange pas. » et il est une réalité inaltérable, celle de la finitude de l’existence. Et ce temps, celui qui nous reste encore, libre à nous de savoir ce que nous voulons en faire. Merci à ces graphistes de mettre leur créativité au service de ce questionnement fondamental et à la BNF de le mettre en exergue avec brio.
« Graphisme contemporain et engagement(s) », jusqu’au 22.11.2015 à la BNF, site François Mitterrand, allée Julien Cain.
Araso
Visuels : ©BNF