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Donatien Grau sur l’exposition Julian Schnabel à Orsay “A travers l’accrochage, nous avons voulu donner à ressentir la profondeur physique de la peinture”

Donatien Grau sur l’exposition Julian Schnabel à Orsay “A travers l’accrochage, nous avons voulu donner à ressentir la profondeur physique de la peinture”

12 October 2018 | PAR Yaël Hirsch

Dans deux salles historiques de la gare d’Orsay, le peintre Julian Schnabel est le premier invité contemporain du Musée d’Orsay. Après avoir passé un long moment dans ce lieu mythique pour y préparer son film sur Van Gogh, At Eternity’s Gate, c’est assez naturellement qu’il a choisi une douzaine d’œuvres des collections pour les faire dialoguer entre elles et avec ses propres créations. Donatien Grau, chargé de mission auprès de la Présidence des musées d’Orsay et de l’Orangerie nous a parlé sur place de son travail avec l’artiste et l’architecte d’intérieure Louise Kugelberg.

Parmi les œuvres exposées au 2e étage du Musée d’Orsay, dans une salle à coupole et avec vue sur la Seine et le Louvre, l’on trouve le plus célèbre portrait de Van Gogh, de Gauguin, de Cézanne, Manet, Toulouse-Lautrec ou Courbet. On y découvre ou redécouvre des artistes moins connus comme Carolus-Duran et Théodule Ribot. Les couleurs, matières et tailles de ces œuvres dialoguent par les motifs et par l’espace entre elles et avec ses propres oeuvres choisies sur une période allant des années 1980 à nos jours.

Ne manquez pas une des œuvres clés de Julian Schnabel qui est exposée dans les collections décoratives et parisiennes du musée : le portrait rouge du regretté Azzedine Alaïa.  

Quel a été l’implication de Julian Schnabel dans cette mise en regard ? 

Julian Schnabel a conçu l’accrochage, il a choisi les œuvres, il en a peint certaines et il a aussi écrit des textes dans le catalogue sur chacune des œuvres de l’exposition. Il a passé beaucoup de temps ici avant le film At Eternity’s Gate de qui a été présenté à Venise il y a quelques semaines et il travaillait beaucoup à ce projet qui est un film consacré à Vincent Van Gogh joué qui est joué par Willem Dafoe. Il est venu passé du temps au musée, regarder les œuvres, parce que les tableaux de Van Gogh du film sont peints par William Dafoe, lui et une troisième personne. Il est venu montrer à Willem Dafoe comment Van Gogh peignait. Il a passé beaucoup de temps ici à l’automne – hiver, et passant beaucoup de temps ici, il est apparu nécessaire et légitime de l’inviter à faire quelque chose.

Vous vous occupez des “relectures contemporaines” au musée d’Orsay. Julian Schnabel est le premier artiste exposé dans cette optique. Pouvez-vous  nous en dire un peu plus sur Orsay et l’Art d’aujourd’hui? 

Cézanne disait « le Louvre est le grand livre où nous apprenons à lire ». Notre idée est qu’Orsay est un livre où on apprend aussi à la lire la jeunesse de la modernité. Beaucoup de choses qu’on voit dans notre monde d’aujourd’hui que ce soit des problèmes sociaux, économiques, artistiques … trouvent dans le musée une forme d’origine. Donc de venir relire le musée, c’est à la fois relire les significations culturelles, politiques, humaines des œuvres qui sont conservées dans ce musée, que ce soit des peintures mais aussi de la sculpture, de la photographie ou de l’architecture. Et c’est exactement cette démarche que propose Julian Schnabel dans cette exposition.

Dans cette exposition, comment se passe ce travail de relecture ?

L’idée est que chaque visiteur puisse faire son propre cycle et il y a aussi le livre qui, lui, donne une lecture des œuvres. Faire qu’on puisse avoir un nouveau regard, une nouvelle lecture. L’idée est de donner accès au public à d’autres manières de voir les œuvres, de défiger, de fluidifier le rapport aux œuvres pour qu’on puisse en avoir une expérience plus complète, plus riche et différente. C’est aussi pour ça que Julian Schnabel a choisi son espace. Il a beaucoup de manières de peindre différentes. Comme il a voulu intégrer toutes ces différentes manières, il peut dialoguer avec la collection et tous ces aspects. Parce qu’au fond l’exposition, c’est comme une multiplicité d’approches de la lecture. Pour se rendre compte qu’il n’y a pas qu’une manière de peindre et qu’au contraire chacune des ces manières est une rencontre avec les objets, la matérialité, avec la vie tout simplement. C’est une exposition très vivante, avec des portraits, très physique aussi avec les grands formats. Avoir un rapport vivant, actif, pas figé.

Comment se passent les résidences : les artistes viennent travailler ici avec un badge?

Une chose importante pour nous est d’être un lieu ouvert aux artistes. Nous n’avons pas forcément vocation à aller chercher quelqu’un à l’extérieur et lui imposer quelque chose. Nous voulons être un lieu qui accueille les artistes, où ils peuvent être à l’aise et de là naissent des collaborations. Ils viennent ici pour trouver de l’inspiration, pour réfléchir, regarder de l’art. Quand je dis « artiste » je le pense au sens large c’est-à-dire musicien, écrivain, chorégraphe, etc. Pour après apporter des relectures au public.Cette exposition par exemple n’aurait pas été possible si Julian n’avait pas passé autant de temps au musée. C’est en venant au musée qu’il a sélectionné les œuvres, qu’il a réfléchi aux œuvres qui peuvent nous inviter à jeter un nouveau regard sur les œuvres de la collection. Ce sont ces gens là qui ont rendu tout ça possible.

Ce qui est aussi fascinant, c’est que Julian Schnabel est peintre mais qu’il inclut beaucoup de chose dans sa peinture et que l’exposition fait réfléchir à cette diversité des médias ? 

Et cela permet aussi de redécouvrir des œuvres qu’on ne voit plus. A travers l’accrochage, nous avons voulu donner à ressentir la profondeur physique de la peinture c’est-à-dire d’une réalité qui n’est pas simplement une image mais qui a aussi une surface. Suivre Julian Schnabel, c’est ouvrir le musée à une « polyphonie ». Il est d’ailleurs une polyphonie à lui tout seul puisqu’il est peintre, cinéaste, sculpteur et dans l’exposition il a conçu tout l’espace.

Qui est la figure de proue de cette exposition, cette tête d’homme au -dessus d’un cercueil où est écrit le nom de Freud et qui regarde vers la Seine ? 

C’est son père, Jacck Schnabel. Il venait de mourir quand l’artiste a mis une main sur son visage. Il lui a fermé les yeux et a mis l’autre main sur la glaise. C’est un peu le symbole de l’exposition. Quand je lui ai demandé pourquoi son père regarde le fleuve et pas ailleurs il a dit : « Mais parce que je veux qu’il voit le fleuve, qu’il voit l’éternité et qu’il ait la lumière sur le visage ». C’est une sorte d’hommage à ses pères qui fait que du cercueil vide surgit la tête de son père.

La patte de Julian Schnabel s’étend aux collections permanentes avec le portrait de Azzedine Alaïa. Vos pouvez nous en parler ? 

Azzedine Alaïa est une figure importante pour le Musée.  En 1996 pour l’anniversaire d’Orsay il a participé à une vidéo qu’on a fait en lien avec l’exposition. Après son décès on a redécouvert cette vidéo. Et cela nous a donné envie de créer un programme de vidéos avec des artistes venus de plusieurs disciplines pour parler des collections. Alaïa était le meilleur ami de Julian qui voulait lui rendre hommage. C’était aussi une figure de Paris, qui aimait Paris, dans ces salles consacrées à Paris, à la vie artistique au travers de toutes les disciplines. Il y est donc en la compagnie de femmes et quasiment face à une couturière qu’il admirait par dessus tout : Jeanne Lanvin.  C’est la première fois que le portrait sort de chez Azzedine Alaïa et c’est aussi la première fois qu’une oeuvre contemporaine est présentée dans la collection. Le dialogue, le vivant, la relecture se poursuivent ainsi.

Interview réalisée par Yaël Hirsch, retranscription par Lisa Bourzeix

visuels
Julian Schnabel Tina in a Matador Hat, 1987 Huile, assiettes brisées et Bondo sur bois, 182,9 x 152,4 x 18 cmBischofberger Collection, Männedorf-Zurich, Switzerland, Inv. GBB No. 5027© Julian Schnabel Studio / Photo by Phillips/Schwab
Vincent Van Gogh (Groot Zundert, 1853 –Auvers-sur-Oise, 1890)Portrait de l’artiste, 1889Huile sur toile, 65 × 54,2 cm Paris, musée d’Orsay, RF 1949 17Photo © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais /Patrice Schmidt
Julian SchnabelPortrait of Tatiana Lisaovskaia As The Duquesa De Alba II, 2014Huile, gesso et resine sur toile, 335,3 x 243,8 cmCollection de l’artiste, Inv. P14.0080© Julian Schnabel Studio / Photo by Tom Powel Imaging
Photo © Musée d’Orsay / Sophie Crepy Boegly

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Géraldine Bretault
Diplômée de l'École du Louvre en histoire de l'art et en muséologie, Géraldine Bretault est conférencière, créatrice et traductrice de contenus culturels. Elle a notamment collaboré avec des institutions culturelles (ICOM, INHA), des musées et des revues d'art et de design. Membre de l'Association des traducteurs littéraires de France, elle a obtenu la certification de l'Ecole de Traduction Littéraire en 2020. Géraldine a rejoint l'aventure de Toute La Culture en 2011, dans les rubriques Danse, Expos et Littérature. Elle a par ailleurs séjourné à Milan (2000) et à New York (2001, 2009-2011), où elle a travaillé en tant que docent au Museum of Arts and Design et au New Museum of Contemporary Art. www.slowculture.fr

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