
Bande dessinée et poésie au musée Picasso
Pour sa réouverture, le musée Picasso présente deux expositions ayant pour thème commun le rapport texte et image dans l’œuvre de Picasso : Picasso et la bande dessinée et Picasso poète. Deux regards inattendus sur un artiste protéiforme.
La bande dessinée, une inspiration méconnue
Pour cette toute première exposition explorant les liens de Picasso et de la bande dessinée, les commissaires ont choisi de s’intéresser à trois thématiques : Picasso lecteur de BD, son appropriation des codes du genre, et son apparition, lui ou ses œuvres, dans les BD modernes. Ce parcours est complété par des fresques très grand format d’auteurs tels que Clément Oubrerie, Emilie Gleason ou François Olislaeger, qui terminera la sienne devant les visiteurs.
De par des magazines de BD retrouvés dans sa bibliothèque et le témoignage de Gertrude Stein, on sait que Picasso lisait bande dessinée et comics, et ce probablement depuis son enfance, comme le laissent penser les journaux illustrés qu’il produisait alors. Picasso puisait son inspiration partout, même à des sources souvent dénigrées car jugées trop populaires ou enfantines. Mais pour celui qui n’hésitait pas à associer art africain, mythologie grecque et arts du cirque, aimer la bande dessinée ne fait que renforcer l’idée que tous les arts sont égaux.
De la case au cadre
C’est donc en toute logique que l’on retrouve l’influence stylistique de la bande dessinée dans l’œuvre de Picasso. Le texte est associé à ses dessins, parfois en faisant parler ses personnages par des bulles, souvent en récitatifs. Les deux œuvres les plus représentatives de ce lien sont sans doute une page racontant l’accession à la gloire de Max Jacob et le manifeste anti-Franco Sueño y mentira de Franco. Toutes deux découpées en cases et formant une narration, elles sont sûrement ce qui se rapproche le plus formellement de la BD.
Une autre similitude marquante avec la bande dessinée, mais aussi avec l’art africain ou la caricature, se trouve dans la simplification du trait et de la forme. Picasso utilise le même trait qui marque le contour et s’éloigne du réalisme pour extraire une forme pure. De plus, l’utilisation des couleurs en aplats, laissant de côté le modelé, est un autre élément qui peut dénoter une assimilation des codes de la bande dessinée dans l’œuvre de Picasso.
Picasso, icône pop
Il est donc naturel qu’un artiste ayant autant pioché dans la bande dessinée en devienne lui-même un personnage. Si l’exposition fait la part belle à Pablo, la magnifique série de Clément Oubrerie et Julie Birmant, elle n’oublie pas pour autant les albums de Nick Bertozzi ou Daniel Torres, ni les dessins satiriques de Geluck ou Maurice Henry. Picasso incarne un personnage facilement identifiable et connu de tous.
Mais l’évocation de Picasso en BD ne s’arrête pas à son personnage. On retrouve également ses œuvres dans des albums tels que Blake et Mortimer, chez Manara, Spiegelman ou Gotlib. Son œuvre est devenue iconique, et fait désormais partie d’une culture commune. Peintre de génie qui représente l’art moderne dans l’imaginaire populaire, Picasso est un artiste transversal qui relie les disciplines et les publics.
La poésie comme art graphique
Beaucoup des œuvres présentées dans l’exposition Picasso poète auraient pu faire partie de Picasso et la bande dessinée. L’artiste écrit comme il dessine, et les deux se mélangent et se composent sur la page. L’écriture se regarde comme une calligraphie et le dessin décrit, l’un complétant l’autre. Les feuilles de papier Arches pliée en deux présentées ici montrent le lien indissociable entre dessin et écriture dans son processus créatif. Sous forme d’un journal intime, ces pages d’expérimentations et de recherches donnent parfois naissance à un tableau ou se retrouvent dans une sculpture.
Grand lecteur de poésie, il était également ami de poètes tels qu’Apollinaire ou Eluard, pour qui il a illustré nombreux de leurs recueils. Et à partir de 1935, il commence à lui-même écrire de la poésie, en espagnol et en français, et sera validé en tant que poète par André Breton. La forme de ses poèmes est aussi variée que leur style ou leur support. Poème-fleuve ou simple phrase, écrit sur une enveloppe ou gravé en eau-forte, Picasso retrouve dans ses poèmes les thèmes récurrents de toute son œuvre. Car « au fond, les arts ne font qu’un » et Picasso ne se limite pas à un seul moyen d’expression.
Les deux expositions nous prouvent que l’œuvre de Picasso, dans son foisonnement incroyable, recèle encore de nombreuses surprises tant les points d’entrée sont multiples. Une lecture définitivement hors des sentiers battus de ce sujet d’envergure.
Picasso et la bande dessinée
Picasso poète
Du 21 juillet 2020 au 03 janvier 2021
Musée Picasso – Paris
Visuels : 1- affiches / 2- Pablo Picasso, Histoire claire et simple de Max Jacob – 13 janvier 1903, dessin à la plume, encre brune, vélin (papier), Paris (origine), Musée national Picasso-Paris, Photo (C) RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau, © Succession Picasso 2020 / 3- Pablo Picasso, Sueño y mentira de Franco (planche I), 8 janvier 1937, Paris (origine), Eau-forte, taille douce – Musée national Picasso-Paris, Photo (C) RMN-Grand Palais (Musée national Picasso- Paris) / Adrien Didierjean, © Succession Picasso 2020 / 4- Pablo Picasso, Etudes : Tête de femme et poèmes en français, 9 et 11 octobre 1936 – dessin à la plume, encre de Chine, lavis, vélin (papier), Le Tremblay-sur-Mauldre (origine) – Musée national Picasso-Paris, Photo (C) RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau, © Succession Picasso 2020