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Art et engagement au CAPC de Bordeaux avec Judy Chicago et Latoya Ruby Frazier

Art et engagement au CAPC de Bordeaux avec Judy Chicago et Latoya Ruby Frazier

26 June 2016 | PAR Maïlys Celeux-Lanval

L’une est une icône de l’art féministe, l’autre une activiste sociale. Leur arme est leur art, la peinture pour la première, la photographie pour la deuxième. Toutes deux sont américaines et touche-à-tout, aussi bien visuelles que théoriques, portant le verbe haut et défendant leurs causes avec ferveur. Actuellement exposées séparément au CAPC de Bordeaux, Judy Chicago et Latoya Ruby Frazier ne dialoguent pas et peut-être même ne se connaissent pas, mais se ressemblent, combattives et fortes face à l’adversité. Chacune à un étage, elles entraînent le spectateur dans leurs luttes respectives. Un grand cri, qu’on aime à entendre.

CAPC de BordeauxCe sont de grands motifs de rêves tout en camaïeux, des formes organiques éminemment sexuelles, des hallucinations colorées délicieuses. Le regard y pénètre comme dans une grotte, un vagin fantastique et fantasmagorique, un sexe puissant qui ose se montrer. L’artiste Judy Chicago (née en 1939) a mis un certain temps avant de laisser son esprit et ses mains tracer sur le papier les figures que son imaginaire formait, lignes scandaleuses et douces qui allaient complètement à contre-courant de ce qu’elle appelait la « peinture de mecs », cet art contemporain officiel et adoubé dont le concret et le concept récupéraient tous les honneurs. En somme, des angles droits, des lignes, et rien d’autre. Face à cela, son art semblait fou, inhabituel, ultra-sensible, comme participant d’une autre histoire de l’art. Les critiques la snobaient, mais qu’importe : faire ces toiles était pour elle une libération. « C’était comme d’ouvrir ma fleur et de ne plus avoir peur d’être rejetée. »

CAPC de BordeauxAinsi elle peint. Ainsi elle installe des fumigènes dans le campus de Chicago, pour que la fumée voluptueuse adoucisse les traits durs et phalliques de cette université si masculine. Ainsi elle invite des femmes à créer des nappes et des assiettes en céramique pour sa Dinner Party, gigantesque installation qui réunit les grands noms féminins de l’Histoire. Aussi, elle écrit des textes extrêmement percutants, présentés au CAPC comme des œuvres parmi les œuvres, manifestes de cet art féministe ; car Judy Chicago est à la fois artiste et pionnière, elle signe de nombreux textes expliquant pourquoi les femmes sont empêchées de créer, tout en produisant elle-même une œuvre profondément atypique et ambitieuse. Présentée par le génial commissaire d’exposition Xabien Arakistain, spécialiste des questions queer, l’œuvre de Judy Chicago offre donc une prise de conscience – à qui se demanderait encore pourquoi il y a longtemps eu si peu de femmes artistes – et des images fortes et rares.

CAPC de BordeauxPlus contemporaine, l’autre exposition présentée par le CAPC est consacrée à Latoya Ruby Frazier, artiste afro-américaine (née en 1982) engagée dans la cause écologiste. Elle photographie sans cesse sa famille, ainsi que les paysages désolés de sa ville natale, sinistre banlieue de Pennsylvanie délabrée et délaissée nommée Braddock. Ses images noires et blanches sont habitée d’une tristesse de bitume : avec un œil critique, elle immortalise les ruines du seul et unique hôpital de la ville, les terrains anciennement habités, rachetés par des entrepreneurs et recouverts de déchets et les publicités insolentes d’une marque de jeans. Ces paysages industriels sont ceux qui ont ruiné la vie de chacun des membres de sa famille, qui ont tué son grand-père et forcé sa mère à la honte. Ils apparaissent dans des portraits saisissants, sortes de mises en scène documentaires de ce qu’est sa vie quotidienne, vie douloureuse dont la seule joie apparaît dans les motifs floraux d’un drap, dans une caresse entre sa mère et son beau-père, dans la collection de poupées de sa grand-mère. Mais le sol est sale, recouvert de détritus, la mine est grise et les regards errent. Ici, ce ne sont pas uniquement les femmes qui trinquent, mais chacun des membres de cette famille afro-américaine pauvre ; toutefois les responsables sont les mêmes, maîtres du monde phallocratiques qui tiennent dans leurs mains les rênes du monde, les mêmes qui pissent sur la nature (dans une peinture de Judy Chicago), les mêmes qui dénigrent les migrants (dans une vidéo de Patrick Bernier et Olive Martin présentée à deux pas de l’exposition de Latoya Ruby Frazier). Ainsi, cet été 2016 au CAPC se veut particulièrement politique et engagé ; cela donne une saison d’expositions d’une importance rare, qui mérite le détour – sans aucun doute bien plus que la récente et tapageuse Cité du Vin !

Informations pratiques :
Judy Chicago, du 12 mars au 4 septembre 2016
Latoya Ruby Frazier, du 21 mai au 9 octobre 2016
Au CAPC de Bordeaux

Infos pratiques

Centre National Jean Moulin
Petites formes mouvantes et émouvantes
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