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Alex Hanimann, encyclopédiste de la perception

Alex Hanimann, encyclopédiste de la perception

25 March 2020 | PAR Christophe Dard

En raison de la situation sanitaire actuelle et suite aux décisions gouvernementales, le Frac Grand Large de Dunkerque ferme ses portes au public jusqu’à nouvel ordre. Néanmoins, Toute la Culture vous fait découvrir Same but different de Alex Hanimann, la première exposition d’envergure de l’artiste suisse, un voyage dans le temps et qui place la réalité au centre de la réflexion.

 

Comme les plages de la mer du Nord doivent se sentir seules alors que les printaniers rayons du soleil ont réservé une location céleste pour plusieurs mois. Les kilomètres de sable doivent prendre leur mal en patience pour voir à nouveau déferler les flâneurs qui fréquentent la région. Mais dans leur solitude, les plages sont soutenues par les lieux également fermés au public en cette période inédite et si particulière.

Installé au cœur des anciens chantiers navals de Dunkerque, le Frac Grand Large Hauts-de-France, riche d’une collection d’art et de design contemporains des années 1960 à aujourd’hui, continue toutefois ses activités et propose notamment, dans une vidéo, de se promener dans l’exposition consacrée à Alex Hanimann, sous le commissariat de Keren Detton, la directrice du Frac, et commentée par l’artiste. Le plus multidisciplinaire des Suisses (il conçoit des vidéos, des peintures et des installations) vit et travaille entre Zurich et Saint-Gall, où il a co-fondé la galerie d’art de la ville, la Kunsthalle St Gallen.

 

 

Same but different s’ouvre par une scène étrangedes vêtements et des accessoires féminins éparpillés, des valises éventrées qui pourraient porter plainte pour effraction, et des miroirs. Cette introduction intrigante se prolonge avec des photos d’identité d’Alex Hanimann, agrandies et montées sur caisson lumineux, des clichés récents mais déjà préemptés par le passé. A partir de là, le visiteur va remonter le temps…

 

Alex Hanimann
Turning inside out
2019 @ Photo : Sebastian Stadler

 

A l’étroitesse de l’espace et à l’amoncellement des vêtements et des objets de la première salle succède une partie plus vaste et dépouillée, aux tons plus froids. Des sculptures réalisées en aluminium à partir de scans 3D, particulièrement idéales pour un grand espace d’exposition comme celui du Frac, se dressent, semblables à une armée de clones statufiés. Ces personnages effectuent des gestes du quotidien, consulter son écran, attendre, se détendre, des actions à la fois singulières et collectives mais qui éloignent les êtres. Incapables de communiquer, ils sont perdus dans un no man’s land mental et leur image en projette une autre, la nôtre. Ces individus sont nos hologrammes, figés devant un échiquier de quarante-sept monochromes, noirs et blancs.

 

Alex Hanimann
o.T. [Reinhard, left]
2019 (de la série Conversation Piece, 2018-2019) @ Photo : Sebastian Stadler

 

Tel un triptyque, la dernière partie de l’exposition Same but different dévoile un Alex Hanimann peintre d’histoire. Sur la base de coupures de presse soigneusement conservées et retravaillées au moyen des techniques graphiques ou photomécaniques, l’artiste revient sur des événements des années 1960 et 1970. Ces épisodes ont marqué sa jeunesse, les assassinats perpétrés par l’Armée rouge en Allemagne, le débat Kennedy-Nixon de la présidentielle américaine de 1960, le charisme de Luther King, les chanteuses venues soutenir le moral des soldats américains engagés au Vietnam, la libération sexuelle… Mais Hanimann dévoile le plus souvent les coulisses de l’image, des angles que le spectateur n’est pas censé voir mais qui sont en train de créer l’événement. Dés lors, comme dans sa série d’instantanés nocturnes d’animaux sauvages, l’artiste montre que l’image surveille, contrôle et trompe.

 

Alex Hanimann
Gesture serie 4: A vietnamesian partisan, packed with bombs (22/24-11-1963) 2011 Encre sur papier 229 x 187 cm © Courtesy Galerie Skopia, Genève © Photographie : Frank Kleinbach
Alex Hanimann
1971 [Entertainers at the Aussie Badcoe Club Vung Tau, Vietnam] 2018 Encre sur papier 230 x 187 cm © Courtesy Galerie Skopia, Genève / Galerie Bernard Jordan, Paris / Hengesbach Gallery, Wuppertal. Photo : Studio Hanimann

 

Chez Hanimann, l’image et la réalité se confondent. Des épisodes historiques sont immortalisés mais par les techniques employées (agrandissements de photographies et peintures à l’encre de Chine), notre regard posé sur l’image ainsi que les connaissances et les références que ces événements véhiculent donnent le sentiment que la réalité qui nous échappe prend le dessus et s’impose, active, dans un présent immédiat. Pour paraphraser Magritte, peut-on dire que ceci n’est pas une image mais plutôt la réalité dans toute sa splendeur ? De fait, le travail de Alex Hanniman instaure une confusion avec le temps dont la généalogie n’est plus linéaire. La représentation de l’événement saisi appartient au passé mais cette même image, retravaillée avec les outils du présent, se dote d’un nouveau sens. Par exemple, ces jeunes étudiantes à Téhéran en 1974 ne sont-elles pas les silhouettes de celles qui militent actuellement pour l’émancipation des femmes ? Suivant cette logique, les films projetés en fin d’exposition, l’un tourné dans un parc, sur le modèle de Blow up d’Antonioni (l’un des films favoris de Alex Hanimann), et l’autre sur le terrain de jeu d’une école musulmane, semblent dérouler la même scène du passé, se pétrifier dans le présent tout en étant sans cesse en mouvement.

 

Alex Hanimann
1974 [Teheran 1]
2017 Caisson lumineux en aluminium anodisé, LED 94 x 100 x 10 cm © Courtesy Galerie Skopia, Genève / Galerie Bernard Jordan, Paris / Hengesbach Gallery, Wuppertal. Photo : Studio Hanimann

 

Le confinement se poursuit mais on garde le moral !

A l’instar de nombreux sites culturels, le Frac de Dunkerque propose, en cette période de confinement, la découverte en ligne de toute sa collection, plus de 1500 œuvres ! Sur Twitter, Facebook et Instagram, avec le hashtag #CultureChezVous , le Frac Grand Large Hauts-de-France fait un focus quotidien sur une femme artiste de sa collection.

 

Christophe Dard

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Christophe Dard
Titulaire d’un Master 2 d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Christophe Dard présente les journaux, les flashs et la chronique "L'histoire des Juifs de France" dans la matinale (6h-9h) sur Radio J. Il est par ailleurs auteur pour l'émission de Franck Ferrand sur Radio Classique, auteur de podcasts pour Majelan et attaché de production à France Info. Christophe Dard collabore pour Toute la Culture depuis 2013.

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