Des artistes “naïfs” très professionnels à la Fondation Cartier pour l’art contemporain
“Naïf”, “primitif”, ou, pour reprendre un qualicatif plus sympathique, “autodidacte”, cet art pratiqué par des travailleurs du monde entier qui se sont découverts artistes en dehors des académies et des codes occidentaux, connaît une certaine reconnaissance à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Dans une scénographie lumineuse et colorée pensée par l’architecte et designer Alessandro Mendini, plus de 50 personnalités au savoir-faire authentique et accessible sont à découvrir, en marge du parfois snobisme de l’art contemporain.
Ils sont pour beaucoup brésiliens, mais aussi congolais, indiens, japonais, mexicains, européens et américains. Ils ont souvent souffert (ou souffrent encore) de la pauvreté, ainsi que de travaux ingrats et épuisants. Mais ils expriment leurs particularités culturelles, leur rapport intime à la nature ou encore leur fascination pour le monde moderne, dans des productions artistiques d’une rare sincérité.
Potiers, céramistes, forgerons, travailleurs du bois, dessinateurs à leurs heures ; par le biais de leurs créations, ils espèrent pour beaucoup mettre en valeur et transmettre à la postérité une iconographie traditionnelle et des techniques ancestrales. Faut-il les reléguer dans la caste des artisans ? A cela, Isabel Mendes da Cunha, prix UNESCO de l’artisanat pour l’Amérique latine et les Caraïbes, répond : “être artisan c’est la même chose qu’être artiste.” Le Moyen Âge européen considérait les enlumineurs, les bâtisseurs de cathédrales ou encore les créateurs de vitraux comme des artisans. Quelques exceptions mises à part, ils étaient des anonymes et ne bénéficiaient d’aucune reconnaissance artistique. Alors tâchons d’adopter un regard moderne et d’apprécier une maestria, parfois nouvelle à nos yeux, à sa juste valeur.
Chacune des oeuvres présentées dans cette exposition est née d’une main dirigée par un esprit original, dégagé de tout artifice. Elles sont le reflet d’un univers et d’une vision du monde particulière : celle de prêtres vaudous haïtiens, celle d’un Japonais fasciné par le travail du Douanier Rousseau, celle de tribus amazoniennes du Brésil, celle d’un militant politique danois subjugué par la beauté de la savane africaine, ou encore celle d’un Mexicain consommateur de peyotl, un cactus hallucinogène qui confère le “don de voir” et influence sa pratique de l’art de la chaquira.
On peut éventuellement regretter une certaine impression de méli-mélo, tous ces artistes étant présentés, certes de façon monographique, les uns à côtés des autres, mais sans discours didactique apparent. On sort du formatage académique jusque dans la muséographie, qui privilégie plutôt une esthétique, une sensibilité, une humanité, une chaleur toute exotique qui tire parti du cadre végétal de la fondation et de la lumière teintée qui entre par les immenses baies vitrées.
Mais la lecture des biographies de ces hommes et de ces femmes que des milliers de kilomètres séparent parfois, l’observation de leurs créations, mettent en évidence des similitudes frappantes, propres à des sociétés humaines au puissant folklore, restées proches de la faune et de la flore. On retrouve aussi bien chez le Brésilien Antônio de Dedé, chez le Mexicain Gregorio Barrio ou encore chez le peuple amérindien Guarani la figure du fauve, tigre ou panthère, sculptée dans le bois ou recouverte de perles colorées. Sur tous les continents, on se passionne pour des essences de bois, pour la végétation, le cycle de la nature. Reviennent également des formes simples, épurées, parfois enfantines. Mais aussi des figures grotesques, chimériques, extraordinaires.
Le visiteur se crée lui-même un discours : le monde est riche de bien des arts contemporains, aussi nombreux qu’il y a de cultures populaires porteuses d’une identité et d’un regard sur ce qui les entoure. L’exposition par ailleurs ne présente pas seulement à des yeux occidentaux des images tribales, pittoresques ou mythologiques venues d’un autre univers. Elle propose également la vision admirative que des Européens ont eue sur des paysages lointains, ainsi que quelques interprétations imagées faites par des populations reculées sur le monde occidental, sans qu’il n’y ait là aucun jugement de valeur. Car il ne s’agit pas de parcourir cette exposition comme l’on regarde des curiosités exotiques ayant reçu l’honneur d’être exposées chez des grands frères bienveillants. Ce sont des cultures, des savoir-faire, des identités artistiques montrés à d’autres.
Visuels :
1. Affiche de l’exposition “Histoires de voir – Show and Tell” (c) Fondation Cartier pour l’art contemporain.
2. Isabel Mendes da Cunha, sans titre, 2008 (c) Izabel Mendes da Cunha. Photo (c) João Liberato.
3. Tadanori Yokoo, Heavy Smoker, 2007 (c) Tadanori Yokoo.
4. Valdir Benites, sans titres, non datés (c) Valdir Benites / Photo André Morin.
5. Gregorio Barrio, sans titre, 2012 (c) Gregorio Barrio / Photos Carlos Varillas.